Le vote électronique contre la démocratie
26 juillet 2013
Le vote électronique contre la démocratie
Le e-voting, ou vote électronique, désigne une procédure de vote dématérialisée et à distance. Utilisé par plusieurs pays à des échelles différentes (Inde, Brésil, Etats-Unis mais aussi et surtout les pays Baltes), le e-voting est également testé en Suisse. Cette procédure est apparue particulièrement utile à notre voisin en raison de son système de démocratie directe qui sollicite fréquemment les citoyens par référendum. Néanmoins, le e-voting est à l’origine d’une controverse importante ces derniers jours.
Un spécialiste en informatique a en effet déclaré la semaine dernière avoir réussi à pirater le système de vote en ligne de Genève : l’homme aurait introduit un virus capable de transformer un « oui » en un « non » et inversement, et ce sans que personne ne s’en aperçoive. Un audit de sécurité avait pourtant été réalisé par la chancellerie de l’Etat de Genève, rendant un avis « très positif ». L’audit en question se focalisait cependant sur la partie serveur tandis que le hacker-citoyen a trouvé la faille dans le logiciel apparaissant à l’écran.
L’incident est remarquable en raison du fait que Genève avait été désignée par les autorités fédérales précisément pour développer une application pilote de e-voting, un test qui serait ensuite repris par les autres cantons suisses.
De l’incidence du vote sur la légitimité démocratique
Ce piratage relance le débat autour de ce processus de vote et des conséquences possibles qu’il peut induire en termes de légitimité démocratique.
Une étude réalisée par Andreas Auer, professeur à la faculté de droit de l’Université de Genève, et Nicolas von Arx, assistant au c2d, relevait déjà en 2001 les défis que soulève le e-voting. Le vote par internet (depuis son ordinateur personnel) mais aussi le vote électronique (réalisé à partir d’une machine dédiée) ne peuvent être considérés comme des procédures légitimes qu’à deux conditions : qu’elles soient acceptées par les citoyens et qu’elles assurent un niveau de sécurité satisfaisant. C’est justement ce deuxième point qui apparaît le plus problématique.
A l’origine de la réflexion se trouve le fait que la procédure de vote est une condition de la légitimité des institutions démocratiques. Si la procédure est perçue comme opaque ou corrompue, le discrédit du vote a des répercussions directes sur les institutions.
Sécurité, contrôle et légitimité
En dehors du taux de participation d’une élection, la légitimité du vote provient de l’acceptation du résultat par les perdants. Etre en mesure de contrôler la régularité de la procédure de vote permet cette acceptation. Or, La technologie du vote par internet n’autorise pas un contrôle direct, non seulement par le citoyen mais également par l’Etat :
– D’une part, la procédure électronique ne permet pas la vérification directe et concrète du vote, matérialisée par le bulletin en papier dans le système classique.
– D’autre part, les autorités publiques doivent avoir recours et donc accorder leur confiance à des entreprises privées qui seules détiennent – en théorie – l’expertise nécessaire à la sécurité électronique.
Cette incertitude dans la vérification de l’élection peut donc mécaniquement provoquer une défiance propre à rendre complètement illégitime la procédure et donc le résultat du vote.
Une double dépossession du contrôle du vote
Ces doutes sur la possibilité de vérifier directement la validité du e-vote trouvent leur origine dans un mouvement de double dépossession du contrôle de sa régularité.
1/ Le contrôle est d’abord retiré au citoyen lambda au profit d’une minorité d’experts capables de comprendre et maîtriser la technologie. Effectuée par le peuple dans son ensemble dans le cas d’une procédure de vote classique, la vérification se trouve réduite à une minorité, minorité sur laquelle ce même peuple n’a pas de contrôle.
2/ La seconde dépossession provoquée par le vote électronique est soulignée par Auer et von Arx : la réduction du contrôle au niveau national induit, de manière paradoxale, un élargissement du contrôle au niveau international. Il existe en effet plusieurs entreprises dans le monde capables de juger de la sécurité et de l’efficacité du contrôle de la procédure effectuée par l’entreprise désignée par les autorités nationales. Imaginerait-on en France que les élections législatives soient contestées par une entreprise privée américaine ?
Ainsi, la technicité du contrôle du système de vote par internet conduit à une double dépossession : du citoyen vers l’expert, du national vers l’international.
La e-democratie et les limites de la technologie
On touche là aux limites de la technologie et de la e-democratie. L’e-voting laisse en suspens de nombreuses interrogations. Comment s’assurer qu’une personne a bien voté « oui » (ou « non ») et qu’il s’agit bien de la bonne personne ? Que l’urne électronique n’a pas été « bourrée » ? Faudrait-il autoriser le fichage des individus par une entreprise privée ? Comment se mettre collectivement d’accord sur un niveau de sécurité optimal ou du moins acceptable du e-voting ?
De la même manière, comment protéger la confidentialité du vote ? Est-il nécessaire de rappeler que cette confidentialité marque le début de la maturité de nos démocraties, est assurée par l’isoloir et dont nous venons de fêter le centenaire en France ?
Une des réponses apportée à ces questions a été le militantisme ces dernières années de différents partis politiques suisses (notamment les Verts) en faveur de l’ouverture du code source du vote par internet. Une telle initiative permettrait en effet de rendre public ce qui, aujourd’hui, appartient au domaine privé. Mais comment, dans ce cas, préserver les intérêts particuliers de l’entreprise ? N’est-il pas naïf de penser que rendre public le code source suffirait à assurer un contrôle démocratique suffisant, effectué par n’importe quel citoyen ?
Le récent incident relance toutes ces interrogations autour du e-vote qui, pour l’instant, n’ont pas reçu de réponses satisfaisantes. Il a aussi et surtout ébranlé la confiance des électeurs suisses dans cette procédure, et dans le même temps, la confiance de tous ceux qui défendent la légitimité des institutions démocratiques.
Mathieu Haumesser,
Etudiant,
Stagiaire à la Fondation pour l’innovation politique
Sources :
Andreas Auer et Nicolas von Arx, « La légitimité des procédures de vote : les défis du e-voting », c2d, Genève, décembre 2001. http://www.geneve.ch/evoting/doc/rapports/legitimite_e-vote.pdf
Éric Maigret et Laurence Monnoyer-Smith « Le vote en ligne », Réseaux 2/2002 (n° 112-113), p. 378-394. www.cairn.info/revue-reseaux-2002-2-page-378.htm
Le Matin Dimanche, http://mobile2.lematin.ch/articles/19481704
Crédit photo : flickr, Damien Clauzel
Aucun commentaire.