Les attentats de Paris : une menace pour la croissance ?

Robin Maisonneuve | 26 novembre 2015

attentats économieLes attentats de Paris : une menace pour la croissance ?

Par Robin Maisonneuve

Après le choc, l’inquiétude. Bercy et les économistes de la place de Paris se demandent en effet si les attentats du 13 Novembre peuvent impacter l’économie française ; la question est sur toutes les lèvres : et si ces tragiques événements cassaient le début de reprise observé jusque-là ? En effet, le PIB réel français a augmenté de 0.3% au troisième trimestre, portant l’acquis de croissance à 1.1% pour 2015 ; soit bien plus que les maigres 0.4% de croissance de 2014… Et alors qu’une dynamique semblait enclenchée, que le chômage reculait significativement en septembre, les attentats de Paris pourraient remettre tout cela en cause.

De réels motifs d’inquiétude

Les craintes des acteurs économiques se fondent sur une logique très simple : les attentats du 13 novembre font peur à la fois aux Français et aux touristes quant à leur sécurité, à Paris mais aussi par contagion dans toute la France ; des Français qui sortent moins, des touristes qui décommandent, et c’est le secteur du tourisme, celui de l’hôtellerie et de la restauration ainsi que celui des spectacles qui sont durement touchés ; et comme ces secteurs représentent ensemble plus de 10% du PIB, c’est l’économie toute entière qui pourrait marquer le pas.

Preuve de l’inquiétude du Ministère de l’Économie, Emmanuel Macron a réuni lundi 16 novembre la « cellule de continuité économique » (créée en 2009 lors de la grippe aviaire), qui rassemble les « organisations professionnelles des secteurs d’activité d’importance vitale » dans le but d’évaluer l’impact des attentats et prendre éventuellement les mesures qui s’imposent. Le lendemain, le président du Medef Pierre Gattaz a rappelé lors de sa conférence de presse mensuelle que les effets se sont déjà faits sentir dans les jours suivant l’attaque : « Il ne faudrait pas que ces attentats pèsent trop sur ce secteur. Il y a déjà eu pas mal d’annulations de séjour hôteliers en Île-de-France, notamment de la part de touristes américains et japonais. » Le gouvernement tente également de circonscrire les dégâts à travers la mise en place de divers « coups de pouce » : la Banque Publique d’Investissement a repoussé de six mois les échéances de remboursement de prêts des entreprises hôtelières ; et le Ministère de la Culture a annoncé la création d’un fonds de solidarité de 4 millions d’euros, afin d’aider les salles de spectacle.

Une forte capacité de résilience

Malgré tout, les milieux d’affaires semblent plutôt sereins, puisque le CAC 40 et la plupart des bourses mondiales n’ont pas du tout été affectées par les attentats : depuis lundi, l’indice phare de la Bourse de Paris a même gagné 100 points ! En fait, comme l’a dit le chef économiste de Natixis Patrick Artus au magazine Challenges, « comme on l’a constaté précédemment, les attentats n’ont aucun impact économique ». Patrick Artus fait référence aux autres attentats sanglants qui ont eu lieu en Europe : que ce soit après les attentats de Madrid en mars 2004 ou les attentats de Londres en juillet 2005, la croissance n’a pas du tout été affectée. L’Espagne a ainsi bénéficié d’une croissance de 0.6% au 1er trimestre 2004, tandis que le PIB du Royaume-Uni a cru de 1% au 3ème trimestre 2005. Comme l’explique Philippe Waetcher aux Echos à propos des attentats de Londres, « les jours qui ont suivi l’événement, les consommateurs ont eu tendance à moins sortir et moins dépenser mais très vite, on a assisté à une normalisation. » On peut supposer que le raisonnement est similaire pour les événements du 13 novembre. De la même façon, l’économie française n’a pas souffert des attentats de janvier, et ce alors même que les attaques terroristes avaient eu lieu la veille du début des soldes : la consommation avait progressé de 0.6% en janvier.

Les économistes prévoient d’ailleurs une croissance de 0.3% au 4ème trimestre de cette année[1], exactement comme au trimestre précédent. Une note interne de la direction générale du Trésor, que RTL a dévoilé, estime l’impact économique global des attentats à 2 milliards d’euros, soit 0.1 point de PIB ; et comme le souligne RTL, « l’impact des attentats de Charlie Hebdo, par exemple, a été complètement rattrapé depuis grâce à un très bel été pour le commerce. »[2]

Le coût de l’insécurité

Il faut néanmoins préciser que les attentats du 13 novembre 2015 visaient spécifiquement une salle de spectacle, et ceci est une première dans les pays occidentaux : il est raisonnable de penser que l’impact des attentats sur les salles parisiennes sera très important, au moins à court-terme et peut-être à moyen-terme. Selon une première évaluation du syndicat des producteurs (Prodiss), les ventes de billets de concerts à Paris cette semaine n’ont représenté que 20% des ventes habituelles. La Prodiss souligne que « l’enjeu, c’est clairement de redonner confiance au public pour qu’il puisse revenir aux concerts avec plaisir, en toute sécurité. »

L’enjeu est donc là : redonner confiance aux Français. Le sentiment d’insécurité qui risque de s’installer en France peut clairement mettre à mal le moral des ménages, leur consommation, et donc fragiliser la reprise, puisque la consommation des ménages reste le principal moteur de la croissance. Mais assurer la sécurité de tous ceux qui vivent sur le sol français ne doit pas se faire au détriment de la liberté, en particulier la liberté économique. C’est ce contre quoi Pierre Gattaz met en garde le gouvernement : « Nous devons mieux protéger les espaces d’accueil des touristes, mais des mesures trop dures avec des fermetures prolongées de commerces ou de marchés étoufferaient le secteur. » Une trop grande offensive sécuritaire de la part du gouvernement pourrait étouffer dans l’oeuf la reprise, en augmentant les contraintes qui pèsent sur les entreprises, en contribuant à la fuite des cerveaux ou en déprimant la confiance des ménages par exemple.

L’insécurité occasionne également un coût d’opportunité, qui peut s’avérer important. En effet, même si le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité, il n’en reste pas moins que les sommes allouées au renforcement de la sécurité du pays et de l’intensification de la lutte contre Daech sont des sommes qui ne profitent pas à l’économie – ou à la marge. Il faut cependant relativiser ce coût d’opportunité pour trois raisons. La première, c’est le montant relativement faible de cette hausse des dépenses : 1 milliard d’euros maximum, en incluant le coût d’un éventuel renforcement des opérations extérieures. La deuxième, c’est que Bruxelles a accepté d’être plus tolérante sur le déficit français en considérant que cette hausse des dépenses est justifiée par des « circonstances exceptionnelles » et que la Commission n’exigera donc pas d’économies sur d’autres postes. La troisième, c’est que la hausse des dépenses budgétaires pour soutenir l’économie n’est pas une solution de long-terme, et on ne peut donc pas vraiment parler d’un coût d’opportunité.

Ainsi, il semblerait que les attentats n’impacteront négativement la reprise française que si une atmosphère de peur et d’insécurité s’installe durablement. Certes, le gouvernement peut prendre les mesures nécessaires en veillant à ne pas alimenter cette atmosphère pesante ; mais il en est de l’économie comme du reste : c’est à nous, citoyens, de nous mobiliser, de sortir, de voyager, de consommer… En économie comme ailleurs, ce qui compte désormais, c’est la solidarité nationale, c’est le sursaut collectif.

[1] http://www.wsj.com/articles/french-economic-growth-slowed-after-paris-attacks-surveys-show-1448268210

[2]http://www.rtl.fr/actu/economie/les-attentats-pourraient-engendrer-2-milliards-d-euros-de-production-de-richesse-en-moins-7780636585

Cet article est publié en partenariat avec Hémisphère Droit

 Hémisphère Droit HEC

crédit photo : flickr patrick.tafani

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