Les dents acérées du dragon

Fondapol | 04 avril 2011

04.04.2011Erik Izraelewicz, L’arrogance chinoise, Paris, Grasset, 2011, 254 pages, 18€.

Six ans après son premier essai sur le sujet (Quand la Chine change le monde), Erik Izraelewicz poursuit son analyse synthétique des grandes lignes de forces qui traversent l’Empire du Milieu. En 2005, il résumait la montée en puissance de ce pays et popularisait auprès du plus grand nombre l’émergence et l’attraction de ce grand marché au potentiel de plus d’un milliard de consommateurs. Les chiffres qu’il révélait, importants ou anecdotiques, donnaient le tournis : en moins de vingt ans l’équivalent de la population européenne est passée au dessus du seuil de pauvreté ; la municipalité de Chongqing – qui s’étend certes sur 87 000 km² – a dépassé les 30 millions d’individus ; Eric Izraelewicz notait aussi qu’il y a désormais autant de pianistes en Chine que d’habitants en France !

Un changement d’attitude ?

En 2011, le nouveau directeur du Monde ne cache plus son inquiétude et choisit un titre choc, L’arrogance chinoise, pour souligner ce qu’il estime être un changement d’attitude de la part des dirigeants chinois. De prudents et modestes, ceux-ci seraient devenus bien plus agressifs, impitoyables, voire hautains. Le dragon chinois a poursuivi sa mue et si la population reste pauvre, le pays est devenu immensément riche. Aujourd’hui, deux des dix principales compagnies pétrolières ou encore deux des quatre plus grandes banques du monde sont contrôlées par la Chine. Cet indéniable succès a nourri l’assurance de Pékin qui entend désormais non seulement se faire respecter mais aussi obéir.

Résumant les avanies subies par les grandes entreprises occidentales telles Alstom, Danone ou Google et les revers des hommes d’affaires les plus ambitieux comme l’Australien Rupert Murdoch, Eric Izraelewicz déplore l’impudence avec laquelle les Chinois bafouent les règles internationales du commerce ou de la propriété intellectuelle. Il regrette que la Chine ait oublié les leçons de Deng Xiaoping : « Garder la tête froide et conserver un profil bas … Ne jamais prétendre dominer mais faire de grandes choses[1] ». Il dénonce par une suite d’anecdotes inquiétantes la morgue avec laquelle ce pays traite ses partenaires et déplore que le si efficace autoritarisme de marché choisi par Pékin se fasse tant au détriment de ces derniers.

Arrogance ou hardiesse ?

Mais la superbe chinoise et la brutalité de ses hommes d’affaires sont-elles véritablement si nouvelles, et surtout si propres à la désormais deuxième puissance économique mondiale ? On peut en douter. Le lecteur sinophile amateur de ce genre d’ouvrages distrayants et enlevés se souviendra, entre autres, du témoignage marri du britannique Tim Clissold qui, en 2005 déjà, soulignait, dans Mr. China ou comment perdre 450 millions de dollars après avoir fait fortune à Wall Street [2], les difficultés à faire des affaires en Chine. Il y découvrait à ses dépens que ce pays n’admet que ses propres règles et ne poursuit agressivement que ses intérêts.

Etre offensif et hardi est-il vraiment synonyme d’arrogance ? La déception à la lecture de cet agréable ouvrage tient à cette absence de réponse. On s’attend à décrypter l’insolence des attitudes chinoises, leur singularité par rapport à celles des autres puissances économiques et commerciales. La diplomatie « de la canonnière » imposée hier à la Chine par Lord Palmerston ou les taxes à l’importation de 50% sur les produits manufacturés mises en place par Abraham Lincoln n’apparaissent par exemple pas particulièrement fair play. Le professeur d’économie Chang (Cambridge) observe d’ailleurs qu’aucune des puissances économiques actuelles n’a pratiqué le libre-échange approuvé par le droit du commerce international pendant sa phase de développement[3]. Et Izraelewicz semble d’ailleurs approuver ou du moins comprendre la volonté de résistance de Pékin face aux exigences occidentales qui espéraient pouvoir « dompter la bête ».

Ainsi l’auteur ne fait-il qu’effleurer la question de la perception, par les Chinois, des arrogances passées ou présentes de l’Europe et des Etats-Unis. Il ne s’intéresse que très brièvement à la diplomatie de séduction déployée par Pékin depuis une dizaine d’années. Il serait intéressant de savoir si cette fierté insolente coexiste avec le soft power chinois ou s’intègre à celui-ci, en tant que stratégie alternative aux carences ou échecs de l’établissement de cette puissance douce.

Que faire face au protectionnisme chinois ?

Restent donc le constat, fort bien écrit, du dirigisme économique et du chauvinisme chinois, les preuves chiffrées de ses succès phénoménaux et la constance de ses ambitions. L’ensemble confirme les hypothèses esquissées dans Quand la Chine change le monde et laisse en suspens la question centrale des investisseurs occidentaux depuis que Deng Xiaoping annonça à son peuple « notre première priorité est le développement » : faut-il envisager la possibilité de quitter un marché florissant de 1,3 milliards d’habitants, quand celui-ci est presque exclusivement réservé aux productions nationales ? Une question utile à laquelle il faudra apporter une réponse rapide car les dents du dragon sont acérées…

[expand title = « Notes »]


[1] P. 228

[2] Ed. Saint-Simon

[3] CHANG Ha-Joon, 23 Things they don’t tell you about capitalism, Bloomsbury Press, 2011.

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Crédit photo, Flickr, Rene Mensen

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