Les « effets positifs » de la colonisation : qu’en pensent les économistes ?
Fondapol | 05 octobre 2012
Ouvrage recensé : Bouda Etemad, L’héritage ambigu de la colonisation. Economies, populations, sociétés, Paris, Armand Colin, 2012, 236 p.
Colonisation et développement
Dans son recensement des évaluations de la colonisation, l’ouvrage se centre principalement sur l’économie. L’auteur annonce clairement son ambition : « l’évaluation du poids de la domination européenne dans l’évolution économique et sociale à long termes des colonies a été effectuée selon une multitude d’approches. Personne n’a à ce jour songé à en retracer l’histoire »[1]. Une place primordiale est accordée en particulier aux discours sur « l’évolution à long terme des écarts internationaux de développement »[2].
C’est donc d’une archéologie du discours concernant la colonisation, notamment ses conséquences sur le développement, économique qu’il est question.
Une archéologie du discours sur la colonisation
Bouta Etemad, dans son introduction, nous avertit que sa méthode n’obéit pas aux lois du genre : il entend distinguer les contributions issues de l’Outre-mer de la celles formulées en métropole. L’auteur prend ainsi ses distances avec tout un pan de l’historiographie récente, les post-colonial studies (études post-coloniales), qui étudient le fait colonial sous l’angle des relations entre puissances impérialistes et peuples colonisés. « Il y a bien entendu quelque chose d’arbitraire à vouloir fragmenter le phénomène colonial. La méthode heurterait sans doute les tenants des « études postcoloniales. »[3] »[4], avertit Bouta Etemad.
Ainsi,au cours de six chapitres construit sur un enchaînement chronologique, l’auteur déroule les différents systèmes élaborés pour traiter la question du rôle de la colonisation dans le développement économique des pays.
La colonisation chez les Classiques
Dans un premier temps, la position des classiques (Adam Smith, Thomas Maltus, Jean-Baptiste Say, James Mill, John Stuart Mill) nous est présentée. Pour eux, la colonisation ne peut apporter la croissance qu’à condition que les échanges ne rencontrent pas de « freins » ou d’ « obstacles ». Dans l’idée d’une colonisation libre-échangiste, la période de tutelle n’est en réalité que temporaire et doit s’effacer d’elle-même une fois que les termes de l’échanges entre les pays du monde auront atteint leur optimum. Il faut noter que les classiques ferment les yeux sur le biais que peut induire la domination militaire ou politique pour l’égalité dans les termes de l’échange.
Pour Marx, un mal inévitable
La position de Karl Marx est, on s’en doute, différente. Néanmoins il s’inspire, une fois encore, du raisonnement des économistes classiques pour élaborer sa propre théorie. Ainsi, s’il condamne la colonisation dans les termes les plus vigoureux pour son terrible bilan humain, il voit en elle un facteur d’unification du monde au sein d’un ensemble dominé par la bourgeoisie. Par un savant jeu dialectique, le communisme venant dépasser le capitalisme international, la colonisation doit ainsi accélérer la venue d’un monde sans classes. Le discours de Marx sur la colonisation est donc profondément ambivalent
Ménager la culture indigène
Quelques décennies plus tard, l’approche est toute différente. Les premiers penseurs indiens de la colonisation (Dadabhai Naoroji et Romesh Chunder Dutt) pensent qu’elle est légitime mais doit respecter davantage les particularités de l’Inde. Les penseurs occidentaux de l’entre-deux-guerres jugent quant à eux que les sociétés colonisées sont réfractaires à toute modernisation intempestive. Il pense que des modifications trop brutales de la culture indigène entraînent fatalement une destruction du tissu social et contribueront à creuser l’écart de développement entre les pays.
Il est intéressant de voir qu’à partir du XXème siècle, la question du développement des sociétés colonisées devient primordiale dans l’ensemble des discours. Pour certains auteurs, qu’ils soient indigènes ou européens, la colonisation aurait la vertu de moderniser les institutions et les infrastructures locales. Pour d’autres, d’origines aussi diverses, elle aurait l’effet opposé.
Quel discours aujourd’hui ?
Poursuivant son étude chronologique, Bouda Etemad, interroge avec force les nouveaux discours inspirés de la New Institutionnal Economy. Selon cette école, les institutions sont au centre des problématiques de croissance et de développement dans les pays colonisés, elles en constituent le cadre déterminant.
Cependant, ces institutions sont elles-mêmes conditionnées par les dotations factorielles (« factors endowments »), que sont la culture originelle du pays dans lequel arrivent les colons, mais aussi la qualité de la terre, la démographie et d’autres données géomorphologiques et géodémographiques. On voit combien cette approche peut se révéler féconde : elle permettrait en effet, selon des variables économétriques multiples, de dresser un bilan global de la colonisation en tant qu’expérience institutionnelle.
Selon l’historien britannique spécialiste de l’Inde Charles Alan Bayly, cette vision a pour tort de négliger le rôle de l’autochtone en tant qu’agent historique et de ses interactions avec les colons. Car le choc de la colonisation ne balaye pas la culture d’origine mais donne lieu à ce que l’africaniste Jean-François Bayart appelle les « transactions hégémoniques ». De cette mélange, de cette hybridation plus ou moins concluante avec la culture de la puissance dominante est issu un terrain plus ou moins favorable au développement.
L’ouvrage remplit parfaitement la mission qui lui a été assigné : présenter un tableau clair des différentes évaluations de la colonisation. Le style est limpide, le propos rigoureux.
Jean Sénié.
Crédit photo: Bambou.78
[1] Ibid., p. 9.
[2] Ibid., p. 10.
[3] Je cite la définitions qu’en donne l’auteur, Bouda Etemad, L’héritage ambigu de la colonisation. Economies, populations, sociétés, Paris, Armand Colin, 2012, p. 6 : « Né au début des années 1980 en Amérique de Nord, ce courant est connu pour opérer un déplacement des éclairages. Déplaçant l’analyse du phénomène colonial des champs du politique et de l’économique vers ceux du culturel et de l’idéologique, les études postcoloniales s’attachent à débusquer les empreintes laissées par plusieurs siècles d’expansionnisme européen aussi bien sur les sociétés anciennement colonisées que colonisatrices. »
[4] Ibid.
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