Les femmes et l’Europe, entrevue avec Claude du Granrut
15 mars 2014
Les femmes et l’Europe, entrevue avec Claude du Granrut
Votre engagement.
Quel est l’origine de vos engagements politiques en France, en Europe et pour la cause des femmes et de quelles façons les avez-vous conciliés ?
Ces engagements sont nés de mon environnement familial. Mes parents étaient engagés dans la résistance. Ma mère, Germaine de Renty a été déporté à Ravensbrück et mon père, Robert de Renty est mort dans le camp d’Ellrich. Lorsque ma mère est revenue, elle m’a tout de suite communiqué deux grandes idées. D’une part, qu’elle n’en voulait pas aux Allemands mais aux Nazis, d’autre part qu’il fallait créer l’Europe pour ne plus jamais connaître de telles horreurs. C’est pourquoi, j’ai étudié à Science Po. Je voulais mieux connaître l’histoire de l’Europe et des idées politiques. Très rapidement, avec des camarades de classe, nous avons monté une association de réflexions, militant pour une fédération européenne.
Mon engagement pour la cause des femmes est également lié à ma famille, car les femmes qui ont été déportées n’ont pas, ou peu, été prises en charge par l’Etat. Geneviève de Gaulle disposait d’un local où elles pouvaient être reçues mais les subventions étaient minimes. Et puis, en sortant de Sciences Po je ne trouvais pas de travail. On voulait que je sois sténodactylo, alors que les hommes avec qui j’avais fait mes classes obtenaient de bonnes situations. J’ai donc fait des petits jobs et des remplacements grâce à mes anciens camarades de Sciences Po. Ce qui m’a permis d’apprendre et de continuer ma formation. Jusqu’au jour où je suis entrée au ministère du Travail, comme secrétaire du comité du travail féminin en 1972.
Le véritable problème qui se posait aux femmes était l’impossibilité de se battre à cause de leur manque de formation professionnelle en liaison avec les besoins des entreprises. La France était alors un pays prospère, qui connaissait de nombreux progrès techniques et scientifiques. Pour pouvoir se défendre, être financièrement indépendantes et prendre leurs responsabilités, les femmes devaient acquérir cette formation qui leur donnerait une personnalité dotée de connaissances. Elle leur permettrait également d’avoir un rapport plus égalitaire avec les hommes. On constatait aussi que les enfants des femmes qui travaillaient, étudiaient plus longtemps et que la famille devenait plus rapidement propriétaire de leur logement. Les femmes devaient donc s’affirmer !
Le comité du Travail féminin fonctionnait bien, mais rapidement nous avons constaté que nos projets et initiatives pouvaient être bloqués au niveau politique. Toutes tentatives de modification de la société, des mœurs, étaient freinés par les responsables politiques alors que certaines évolutions avaient besoin d’une aide, d’un support législatif. Si les politiques ne nous suivent pas, ne vont pas de le même sens que nous, alors il est impossible de faire évoluer la situation légalement.
Il faut que les femmes s’impliquent en politique !
J’ai fait de la politique car je savais qu’il fallait occuper des postes clés pour permettre à des projets de passer.
Au-delà de vous engagements et de vos convictions, vous avez une carrière juridique de haut niveau. Légiférer sur les droits des femmes est-ce la solution ?
Légiférer sur le droit des femmes est nécessaire, car c’est donner la possibilité aux femmes d’exiger et d’être responsable. Ma carrière juridique est une carrière de magistrat assez courte mais les juridictions administratives font leur propre jurisprudence. Les décisions des tribunaux administratifs ont des répercussions sociales et économiques sur la société. J’en avais sur le corps médical car je traitais les problèmes de responsabilités médicales dans les hôpitaux.
J’ai aussi légiféré, avec l’appui de l’article 119 du Traité de l’Union européenne, sur l’égalité des salariés homme/femme à partir de la notion du « Travail à valeur égale » : la sténodactylo n’avait pas à être moins payée que l’ouvrier spécialisé. En parallèle, un changement se faisait sentir : les femmes salariées étaient de plus en plus nombreuses et mieux formées, elles pouvaient faire état de leurs capacités.
La Constitution assurait le droit de vote aux femmes mais elle ne garantissait pas le même droit d’éligibilité que les hommes. Ce sont les quotas et le millefeuille qui ont permis ce changement de la Constitution en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. Je n’étais pas favorable aux quotas mais c’était la seule manière d’obliger les partis politiques à proposer des femmes lors des élections. Seuls les communistes l’avaient fait pour des résistantes ou déportées, épouses, sœurs ou filles de déportés. Pour les autres partis, les femmes étaient un risque qu’il ne fallait pas prendre. La droite ne votait pas pour une femme car cela bouleversait leur conception traditionnelle de la place de la femme dans la famille.
Heureusement, il y avait de nombreux mouvements féministes qui ont permis une intégration de la femme dans la société et évidement la loi de Simone Veil sur l’IVG de 1975.
Tout cela formait un ensemble qui faisait avancer les choses.
Légiférer sur le droit des femmes, quand c’est nécessaire, il faut le faire !
Votre avis
Vous avez déclaré que « Le droit à l’IVG exige une vigilance de tous les instants ». Doit-on en déduire que ce droit est éphémère et non acquis ?
Il y a toujours des gens minoritaires qui s’érigent contre l’IVG et qui sont soutenus par les positions du pape. Leur conception de la vie est comme un dogme : l’enfant à naître est une personne.
J’ai beaucoup milité avec Simone Veil sur le problème de l’IVG car nous étions dans la même mouvance politique.
J’ai toujours considéré que l’IVG signifiait « donner une responsabilité à une femme et que cette femme avait droit à cette responsabilité ».
Ce qui est triste c’est qu’il y a encore beaucoup d’avortements, alors qu’il ne devrait plus en avoir.
Je pense que l’IVG est entré dans les mœurs, elle est partie intégrante du jeu et des responsabilités sociales. Actuellement, c’est extraordinaire le nombre de femmes qui ont trois enfants et qui travaillent.
Quand vous avez milité avec Simone Veil en faveur de l’IVG, vous avez eu le sentiment d’avoir porté un engagement subversif.
Non c’était une évolution importante pour les femmes car leur sexualité était épouvantable. Imaginez-vous, lorsqu’une femme avait un rapport sexuel avec un homme, elle devait rapidement trouver une solution pour ne pas tomber enceinte. La sexualité de la femme n’était pas normale comparée à celle de l’homme. Cette situation devenait un obstacle pour l’avenir professionnel des femmes.
La France lance un projet de loi en faveur du droit des femmes et l’Espagne connaît une forte régression avec la mise en question du droit à l’IVG. Comment expliquez-vous que ces deux pays frontaliers évoluent si différemment alors qu’ils appartiennent à l’Union européenne qui promeut des valeurs en faveur des femmes ?
L’Europe avait peu à peu construit une concertation entre les Etats-membres. Actuellement, nous connaissons un système « intergouvernemental », cela signifie que le Conseil européen est incapable d’imposer des volontés communautaires et ne crée plus de situations de vraie concertation entre Européens.
Je ne pense pas que la situation espagnole influence les autres pays.
Je ne suis pas inquiète pour la France !
En ce qui concerne la résurgence de mouvements conservateurs en France, le gouvernement socialiste a multiplié les projets de lois de société, jusqu’au moment où les Français se sont sentis envahis au sein de leurs sphères privées. « Le mariage pour tous » se confronte aux problèmes religieux, aux différentes conceptions de l’union et de la famille. Ce sont des thèmes de société qui touchent l’organisation d’une famille, ses droits, la vie… C’est de l’ordre de l’intime. Face à ces projets de société, une partie de la population a un réflexe de recul et de méfiance, car ils l’interprètent comme une intrusion dans le domaine privé. Mais ce sont des réflexes et non des menaces.
Vos conseils
Etre féministe en 2014 a-t-il encore un sens ? Lequel ?
Oui cela a un sens, parce qu’elles ont les outils nécessaires : le niveau d’éducation, la liberté de procréation, la liberté de choix ou encore une formation professionnelle. Les femmes ont la possibilité de s’affirmer, de se marier, de divorcer, de gérer leur vie comme elles le désirent.
Mais elles ne doivent pas jouer aux hommes pour autant. Qui plus est en politique. Cette attitude pourrait leur causer des déboires, car elles seront accusées de tout compliquer. Il ne faut pas s’affirmer trop fort. Si elles prennent la parole, c’est à condition de s’être bien préparée et de présenter systématiquement une idée à laquelle les hommes n’avaient pas pensé.
On ne peut pas être des similis hommes !
Quand j’étais au conseil régional, je m’occupais des trains et des infrastructures ferroviaires. L’une de mes prérogatives était de choisir les wagons des TER. C’est ainsi que j’ai pensé à l’installation d’espaces pour les bicyclettes et les voitures d’enfant. La plupart de nos élèves allaient au lycée en train, mais arrivés à la gare de la ville de l’établissement, ils devaient parcourir quelques kilomètres jusqu’à leurs salles de classe. Désormais, chaque TER de la région de Picardie a un espace consacré aux vélos.
Les femmes ont un sens politique plus pragmatique. L’anecdote que je viens de raconter est un exemple minime mais concret. Il ne faut pas que la femme perde sa personnalité sous prétexte qu’elle a obtenu le statut de député, ministre ou sénateur.
Quels sont les nouveaux défis auxquels les femmes européennes doivent faire face actuellement ? Quelles solutions pour répondre à ces nouveaux défis ?
Il existe un réel défi pour les femmes européennes. En 1975 a eu lieu la première conférence mondiale des femmes. Elle était organisée par l’ONU et se tenait à Mexico. Les thèmes abordés étaient l’IVG, le droit du Travail … Les prérogatives et les réactions des femmes des autres continents étaient très diverses. Entre Africaines, Arabes, Asiatiques et Européennes, nous n’avions pas les mêmes conceptions des droits nécessaires pour les femmes. Mais une chose nous rassemblait : l’envie de changer les choses, l’envie d’avoir des responsabilités, l’envie d’une formation, d’une éducation et une famille.
Aujourd’hui, une nouvelle problématique féminine, au niveau mondial, est née. Les femmes d’Europe pourraient s’impliquer d’avantage, exposer leurs expériences et expliquer quels ont été leurs combats. Je pense sincèrement que les femmes européennes ont un rôle à jouer par rapport aux femmes du reste du monde. Il y a un champ d’actions et de réflexions qui peut être mené.
J’ai fait une partie de mes études aux Etats-Unis, dans une très bonne université féminine. Je suis maintenant membre de son Conseil d’Administration. Cet établissement fait face à une problématique nouvelle : il veut rester féminin et donner l’opportunité aux étudiantes de se voir proposer une quatrième année professionnelle, qui leur permettrait d’exercer des métiers du service public. Ce secteur est fondamental car il est proche du politique et du législatif. La décision de cette université s’inscrit dans un contexte national et international car beaucoup d’universités reconnaissent aujourd’hui de ne pas avoir soutenu leurs étudiantes dans leurs parcours vers des emplois du service public.
Ainsi unir et débattre avec les femmes du monde est un défi pour les Européennes. Je ne vois pas, en Europe, ce qu’on peut demander de plus, sauf d’assumer ce qu’on a obtenu.
Que retenez-vous de votre expérience et quels conseils donneriez-vous aux femmes qui se lancent en politique ?
Il faut que les femmes se lancent en politique. Elles ont maintenant un niveau de réussite en tant que candidate, qui est excellent.
Les femmes plaisent et savent faire campagne.
Elles ont toutes leur chance. En revanche, il faut qu’elles gardent leur façon d’être de ressentir et de résoudre les problèmes économiques et sociaux. Elles ne doivent pas hésiter à proposer des solutions différentes de celles des hommes. Les femmes en politique doivent être un plus!
Propos recueillis par Marine Mathé et Rebecca Breitman
Crédit photo: European Party’s people
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