Les institutions sont-elles faites pour durer ?

Fondapol | 27 juillet 2012

1280px-Supreme_Court_Front_DuskDelphine Dulong, Sociologie des institutions politiques, Paris, La Découverte, Coll. Repères, 2012, 124 pages.

L’hypothèse d’un « mythe » de l’institution

Delphine Dulong rappelle que les institutions politiques ont longtemps été étudiées dans une perspective holiste, c’est-à-dire objectivées – analysées comme des faits sociaux – et appréhendées uniquement sous l’angle de leur rôle régulateur. Selon cette vision, l’institution, de manière générale, est une instance de contrôle social, dans la mesure où elle délimite ce qu’il est acceptable de faire ou non.

Est ainsi mesurée l’« emprise » qu’ont les institutions politiques sur les comportements, pratiques et représentations des individus, lesquels vont adapter leurs stratégies afin de répondre aux attentes propres à ces institutions. Cette volonté de se conformer va renforcer le sentiment général d’intemporalité de l’institution, qui survit dans la durée aux acteurs qui la traversent.

À mesure qu’elles se démocratisent, les institutions s’autonomisent, s’émancipent des hommes qui les ont créés et les occupent. Comme l’écrivit Claude Lefort, la démocratie est un « lieu vide » : ses institutions ne peuvent être incarnées par une seule personne, en raison notamment de l’alternance. Dès lors, elles donnent davantage encore le sentiment d’être immuables. C’est précisément ce caractère immobile des institutions qui est remis en question dans le présent ouvrage.

L’institution qui encadre… mais qui laisse les individus libres de se l’approprier

Selon l’auteur, les individus, loin de se contenter de se conformer aux institutions, participent activement à leur création. Ainsi, lors d’un changement de régime politique, ils sont les acteurs du processus d’institutionnalisation. Certes, l’individu, sous l’emprise de l’institution politique, va s’adapter aux représentations dominantes et incorporer des comportements attendus, mais, ce faisant, il dispose tout de même d’une certaine marge de manœuvre.

Ainsi, l’acteur politique va pouvoir s’affirmer, s’approprier sa fonction, en modifiant les pratiques qui y sont propres, et ainsi modifier le statut qui lui était à l’origine imposé. Ce phénomène se produit par exemple au début d’un mandat de Président de la République, lorsque celui-ci cherche à imposer son « style », sa façon de gouverner en accord avec les attentes qui incombent à son statut.

Redéfinir l’institution

En vertu de cette dialectique, l’auteur propose plusieurs définitions duales de l’institution. À la fois pratique et représentation, produit et déterminant de l’activité sociale, structure restreignant et amplifiant la liberté de l’individu, l’institution politique démocratique pèse sur l’existence des hommes, tout en demeurant l’une de leurs créations. En cela, elle est une « coconstruction » du système et de l’acteur.

Il s’agit donc pour l’auteur de dépasser la définition juridique, inscrite dans la constitution, des institutions politiques démocratiques. Au-delà des textes qui régissent leur fonctionnement, elles sont des entités d’organisation politique et sociale.

Selon l’auteur, les institutions politiques délimitent l’espace de la compétition pour le pouvoir, et donnent les repères qui permettent de reconnaître l’autorité ou la compétence à un moment donné. Par le biais d’un protocole symbolique ou de rites tels que le vote, elles donnent un caractère sacré à ce pouvoir. Enfin, et c’est une fonction majeure, les institutions sont porteuses de sens : elles donnent des orientations et un cadre de pensée pour guider les individus dans leurs actions.

Production des normes sociales

Les institutions politiques sont avant tout des instances de régulation, au sens où elles émettent des règles, codes et valeurs à destination des individus. Le Parlement, par exemple, met en forme le régime politique et par sa production législative, produit une partie des normes sociales.

Mais ce que l’on sait moins, et que Delphine Dulong rappelle dans son ouvrage, c’est que les institutions, par excellence dans le champ politique, intègrent les acteurs et les socialisent. Elles leur transmettent des normes sociales, par une série de pratiques et par le biais de certaines représentations, que les individus vont intérioriser au contact de l’entité ou de ses membres.

La double dynamique des institutions politiques

L’institution, quelle que soit sa nature, connaît une double dynamique, entre permanence et évolution. D’une part, elle se « routinise », s’installe, pour assurer sa stabilité à la société. Mais d’autre part, ses structures sont continuellement transformées par les mouvements de la société qu’elle régule physiquement et encadre moralement et à laquelle elle est viscéralement liée.

Delphine Dulong illustre son propos en évoquant notamment la représentation des femmes en politique, qui s’est améliorée à mesure que les femmes devenaient, de façon plus générale et notamment par le biais de leur activité professionnelle, plus présentes dans la sphère publique. L’institution politique permet ainsi de rendre plus évident le lien entre les sphères sociale et politique.

La Sociologie des institutions politiques illustre parfaitement la volonté actuelle de décloisonnement des différentes sciences sociales. L’ouvrage est certes associé à la science politique par son objet d’étude, mais elle appartient à la sociologie par sa démarche, qui est celle d’une déconstruction des prénotions.

Valentine Serino

credit photo: domaine public

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