Les mille vies de Winston Churchill
Fondapol | 08 juin 2011
Pierre Assouline (dir.), A la recherche de Winston Churchill, Paris, Perrin, 2011
Certaines existences sont si riches que jamais ne s’épuisent les possibilités de les explorer : celle de Sir Winston Churchill en fait évidemment partie. Pierre Assouline, maître d’oeuvre de ce livre, rappelle dans son introduction qu’une étude conduite auprès des Britanniques en 2008 avait révélé qu’un quart d’entre eux imaginait volontiers leur ancien Premier en héros de fiction.
Churchill et de Gaulle face à la mémoire collective
Et quel héros en effet ! Au fil de cinq conversations radiophoniques tenues fin juillet 2010 et menées tambour battant par dix spécialistes affûtés se dessine la figure séduisante et complexe d’un monstre sacré… qui n’est, d’après Assouline, ni monstrueux, ni sacré, mais plutôt profondément humain.
Médiocre stratège, piètre économiste, alcoolique et fumeur, Churchill sera néanmoins la force motrice, l’âme du Royaume Uni dans l’une de ses périodes les plus noires. Or, le souvenir de cette incarnation ne s’est pas figé dans une statuaire marmoréenne, à l’inverse de ce qui est advenu à De Gaulle.
Churchill est en effet considéré comme un homme d’Etat attachant, souvent désigné par ses biographes (et par ses contemporains) par son prénom plutôt que par son patronyme. « Winston est de retour » se réjouissait-on ainsi officiellement dans les rangs de la Royal Navy quand il revint aux affaires. Et le lecteur de reconnaître que l’énergie et les talents contrastés de cet homme exceptionnel poussent à l’affection.
Mais aussi, comment ne pas apprécier cet orateur magnifique, qui pousse le mimétisme avec Démosthène jusqu’à avoir, lui aussi, un défaut d’élocution -en l’espèce, un zézaiement qu’il travailla à faire disparaître- ?
Un itinéraire politique sinueux, mais une constante : le rejet du socialisme
Comme le remarque l’historien britannique David Bell, Churchill est un des rares hommes politiques à avoir su rebondir vraiment tout au long de sa carrière, et en dépit de sensibles évolutions idéologiques. Son parcours est sinueux même s’il éprouve, de bout en bout, une répugnance instinctive pour tout ce qui ressemble au collectivisme. Il résumait du reste ce qu’il pensait des socialistes d’un bon mot, en présentant Christophe Colomb comme le premier d’entre eux : « il ne savait pas où il allait, ignorait où il se trouvait et faisait tout cela aux frais des autres »…
Pour le reste, l’itinéraire est parfois difficile à suivre : débutant chez les conservateurs, il les quitte pour se joindre aux libéraux ; il s’y présente comme « l’ennemi des aristocrates et l’ami des pauvres »… mais réintègre ensuite le parti conservateur après l’avoir fustigé !
Pis ! Il met en péril sa carrière « en se lançant dans des causes perdues (la défense de l’Empire ou celle d’Edouard VIII), puis s’impose pendant la guerre comme une sorte d’homme providentiel[1] ».
Homme de mots ou écrivain ?
Le peuple britannique le renvoie dans ses foyers dès la fin de la guerre, en 1945. Il s’attelle alors à devenir l’écrivain de sa légende avec l’aide de nombreux assistants. Comme le souligne l’historien David Reynolds, Churchill est plus un « homme de mots » qu’un écrivain, à la différence d’un De Gaulle. Le prix Nobel de littérature qu’il obtient en 1953 ne change rien à l’affaire.
L’humour et les réparties de Churchill scandent évidemment les débats retranscrits dans ce livre.
On en retiendra l’amour vache que cet ironique francophile pouvait avoir pour le grand Charles, qu’il décrivait souvent avec mordant -« un lama femelle surpris dans son bain »-, avec cruauté -il dit de lui à Roosevelt, en 1943 : « je l’ai élevé depuis qu’il a été chiot, mais je n’ai jamais réussi à ce qu’il soit propre dans la maison »-, et… parfois avec admiration. N’a-t-il pas dit de De Gaulle qu’il était le « le connétable de France », « l’homme de la destinée » ou encore « le fils naturel né des amours de Jeanne d’Arc et de Clemenceau » ?
Un bon programme de radio fait-il un bon livre ?
Si l’introduction à l’homme Churchill est donc plaisante et variée, elle manque -format radiophonique oblige ?- un peu de profondeur et d’épaisseur à l’écrit. La magistrale biographie de François Kersaudy pourra, en complément, satisfaire les amateurs les plus curieux.
A ce titre, on peut déplorer qu’aucune bibliographie n’accompagne cette retranscription des émissions de France Culture. Le talent des historiens est suffisant pour que leurs conversations divertissent, interpellent et intéressent mais aller un peu au delà de leur seule intervention sur les ondes aurait été souhaitable.
Winston et Benjamin : des artistes en toutes choses
Demeure un ouvrage alerte qui revient avec succès sur les défauts nombreux et les extraordinaires qualités d’un grand homme. On l’aura compris : la relation avec De Gaulle est très largement explorée dans ce livre et ce biais très franco-centré fait partie des quelques regrets que l’on peut nourrir à sa lecture. D’autant que comparer Churchill à de Gaulle ne permet pas vraiment de prendre la mesure du Premier britannique et de sa singularité.
De fait, c’est en Grande-Bretagne qu’il faut chercher une personnalité comparable : l’excentricité et le génie de Churchill s’inscrivent dans la droite ligne de Benjamin Disraeli. Le Premier ministre de Victoria fut du reste un des modèles de Sir Winston. Churchill se situe ainsi du côté de la tendance « one nation » chez les conservateurs. Il considère le peuple comme une entité, une unité à laquelle il faut donner un destin, qu’il faut guider…
L’humour du ver luisant
« Nous sommes tous des vers… Mais je crois que je suis un ver luisant » écrivait Churchill de lui-même : les dix historiens réunis dans cet ouvrage font la démonstration que la lumière singulière du grand Winston n’a pas fini de briller…
David Vauclair
[expand title = « Notes »]
[1] David BELL in http://www.lemonde.fr/week-end/article/2011/05/06/en-europe-mitterrand-n-a-pas-d-equivalent_1517663_1477893.html
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Crédit photo, Flickr: cnraether
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