« Les pathologies politiques françaises » : La fièvre obsidionale

Jean Sénié | 14 novembre 2016

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Les pathologies politiques françaises d’Alain Duhamel, Plon, 2016, 240 pages, 19,90 

Alain Duhamel ausculte dans son dernier livre les « pathologies politiques françaises ». Il offre ainsi, n’en déplaise à ceux qui l’accusent d’une omniprésence médiatique, un heureux complément à ses deux derniers ouvrages, Portraits souvenirs. 50 ans de vie politique et Une histoire personnelle de la Ve République, respectivement parus en 2012 et 2014. Fort de sa connaissance de l’histoire politique française et de son expérience du milieu politique, il s’essaie à un diagnostic des maux qui affligent le pays.

Il en identifie huit, à savoir l’inconstance, le déclinisme, l’égalitarisme, le nationalisme, le conservatisme, l’extrémisme, l’intellectualisme et la discorde. Sans établir entre eux de hiérarchie, bien qu’en insistant plus lourdement sur le poids de l’inconstance et de la discorde comme facteurs de la crise politique actuelle, il dresse une généalogie de ces pathologies pour expliquer combien elles pèsent sur le présent. Dans une langue limpide et aux formules souvent heureuses, il explique que la racine de la crise politique actuelle est à chercher dans « le goût de la nouveauté et la peur du changement ». L’essayiste sait rendre sa profondeur historique à ce « complexe d’Astérix ».

Chaque pathologie constitue en fait une pièce de la crise politique actuelle que connaît la France. Avec raison, l’auteur rappelle les enquêtes stupéfiantes où les Français se révèlent moins confiants en l’avenir que les Afghans. Il évoque aussi la défiance généralisée qui touche la société française. Or, comme il ne cesse de le rappeler dans l’ouvrage, la France dispose de tous les atouts pour réussir, bien que les Français s’évertuent quotidiennement à les nier ou, à tout le moins, à les minorer.

Alain Duhamel pointe à plusieurs reprises l’inadaptation des Français à la mondialisation. Ils y sont entrés à reculons et ne cessent depuis de regimber en échafaudant d’incessants plans pour en sortir. Ce fantasme autarcique d’un retrait du monde, cette utopie d’une France érémitique paralysent la politique française prise entre des injonctions contradictoires qui aboutissent aux querelles qui émaillent la vie politique française. Il ne s’agit pas de critiquer le caractère politique des Français, fruit d’une longue histoire, mais de montrer que les contraintes qui en découlent ne peuvent que susciter un désamour envers la classe politique française.

A cet égard, et avec d’autres, Alain Duhamel constate un désamour pour la politique. Désormais, les éléments les plus brillants d’une génération sont attirés par le privé et préfèrent éviter le chemin de croix que peut représenter une carrière politique. S’y ajoutent le poids des « intellectuels » qui sont autant de censeurs de l’action politique ainsi qu’un conformisme empêchant parfois de proposer des solutions innovantes. Ces différentes données peuvent rendre compte de l’éloignement des Français pour les hommes politiques puisqu’ils ne sont que 8% à leur faire confiance (Ipsos avril 2016).

418aXOpEW-L._SX309_BO1,204,203,200_Au final, les Français toujours réticents face au changement ont marqué l’arrêt devant le bouleversement par excellence que représente la mondialisation. Les hommes politiques n’ont pas su faire œuvre de pédagogie, expliquer les évolutions du monde et ont alors vécu comme un retour de flamme les insatisfactions françaises, les exigences contradictoires de leurs concitoyens. Celles-ci, dans le contexte géopolitique et économique actuel, prennent une importance démesurée. Qui plus est, par l’effet d’un cercle vicieux, la crise exacerbe en retour les pathologies françaises, notamment les discordes et elle donne une prime aux extrêmes.

Le constat que livre Alain Duhamel montre des défauts constitutifs du « caractère national » des Français. Pourtant, l’essayiste voit dans ces manifestations l’action d’un imaginaire politique, structuré par des catégories qui lui masquent la réalité. En effet, les pathologies politiques françaises dressent un écran de fumée qui empêche d’observer les réussites de la nation dans le domaine économique ou même social. Les Français font preuve d’un excès de pessimisme jugé injustifié. Si l’auteur évoque cette hypothèse, il aurait pu creuser l’idée d’un pays qui refuse d’accepter son statut de « puissance moyenne ». La demande toujours accrue de protection va dans le sens d’une France qui refuse la mondialisation et dont l’« égalitarisme » risque toujours davantage de constituer un frein.

Par ailleurs, l’analyse aurait été confortée par une confrontation, non pas avec les travaux jugés déclinistes, mais avec les études montrant une érosion de la classe moyenne comme les ouvrages récents de Christophe Guilluy ou de Louis Chauvel. Alain Duhamel affirme, de manière convaincante, que les Français ont trop tendance à se noyer dans un verre d’eau, même s’il ne nie pas la réalité de la crise. Pour autant, affirmer que la classe moyenne continue de prospérer est une position qui peut se défendre dans le champ intellectuel mais qui apparaît, dans cet ouvrage, posée comme une pétition de principe. L’analyse des pathologies politiques aurait ainsi gagné à s’intéresser aux débats sur les inégalités et à leur implication dans le domaine des imaginaires politiques. A se limiter au domaine de caractère politique national, on a parfois l’impression que l’essayiste, ce qui n’est pourtant pas le cas, minimise les changements qui ont renversé le modèle social français.

Surtout, la lecture de l’analyse donne l’impression d’une situation bloquée. L’auteur en convient bien volontiers, « le diagnostic est plus facile à établir que la thérapeutique ». Il ressort de cette lecture l’impression d’une fracture grandissante, entre deux Frances, l’une s’insérant parfaitement dans la mondialisation et l’autre laissée pour compte et se repliant sur elle-même. C’est peut-être cette situation qu’il aurait fallu interroger en dernière instance, en la théorisant et en évoquant les recompositions qu’elle entraîne. N’en demeure pas moins une réflexion qui met en exergue les enjeux, les difficultés et aussi quelques raisons d’espérer une embellie pour l’élection présidentielle de 2017.

« Crédit photo Flickr: Adrien Séné»

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