Les politiques environnementales : moteur d’une société nouvelle ?

Fondapol | 13 mars 2013

13.03.2013

Pierre Lascoumes, Action publique et environnement. Quelle réponse politique aux enjeux écologiques ?, Collection « Que sais-je ? », 2012, 128 pages, 9.00 €

Depuis la seconde partie du XIXe siècle, l’intervention de l’État dans les domaines environnementaux n’a cessé de s’étendre, du patrimoine architectural aux énergies renouvelables, en passant par les OGM et la biodiversité. Comment s’élabore et quel est le contenu des politiques environnementales en France et plus globalement dans les pays industrialisés ? C’est à cette question clé que s’attelle le politiste Pierre Lascoumes en proposant la première synthèse sur les politiques publiques d’environnement telles qu’elles se sont développées depuis une quarantaine d’années dans tous les États industrialisés.

Des politiques publiques à inventer

L’auteur débrouille le maquis des politiques environnementales en leur appliquant – et c’est une première- la grille de lecture propre à toute politique publique : rôle tenu par les acteurs sociaux, complexité du processus de décision, difficultés de mise en œuvre des programmes, relativité des changements dans les politiques publiques et traduction nationale de la politique européenne.

L’ouvrage met néanmoins en lumière le caractère propre aux politiques environnementales. Elles diffèrent des autres politiques publiques du fait de leur jeunesse : seulement deux siècles d’existence et un développement particulier au cours des 40 dernières années. Surtout, la nouveauté des questions oblige l’Etat à innover, n’ayant pas de recettes toutes faites à disposition.

Cet impératif d’innovation est le point de départ de l’ouvrage qui nous entraîne dans les méandres des obstacles, lenteurs et contradictions qui en découlent.

Un cap décisif : le passage de l’environnement à l’écologie politique

L’environnement a été progressivement considéré comme un enjeu, une préoccupation sociale : l’écologie est alors sorti de la marginalisation voire la caricature dont elle faisait l’objet.

Trois ruptures politiques ont pu permettre cette évolution très progressive. La première, intellectuelle, a été le dépassement de la conception scientiste du progrès et de la croyance rassurante dans la possibilité infinie de résoudre tous les problèmes émergents par de nouvelles avancées techniques.

La deuxième rupture est la remise en cause de l’économie productiviste : la réflexion écologique introduit la référence nouvelle de l’autolimitation, dans une conception du développement jusqu’ici dominées par la seule notion économique, d’augmentation de la production et de la consommation. Les termes « durable » (en français) et « sustainable » (en anglais) apparaissent alors.

La dernière rupture concerne l’exercice du pouvoir qui s’applique une relative transparence des décisions et instaure la participation de proximité, fruit d’années de lutte. « Une des grandes originalités des politiques environnementales est d’avoir été portées par des revendications émanant d’organisations de la société civile », note l’auteur.

Le poids des acteurs

Dans une deuxième partie, l’ouvrage de Lascoumes nous renseigne sur la structuration du mouvement associatif écologiste et sa double mission de sensibilisation et d’intervention dans l’action publique ainsi que la diversité de ses formes d’action. Certains évènements ont été structurants pour la visibilité de ces acteurs associatifs : le Grenelle, la conférence environnementale, en attendant de pouvoir évaluer l’impact de leur arrivée au CESE.

L’institution publique a également été restructurée ces dernières années, en témoigne la création du MEEDDAT (ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement des Territoires) en 2007. A ce sujet, l’auteur parle de « la force des faibles : peu de moyens donc l’obligation d’agir sur des modes originaux et avec de nouveaux instruments ».

Les entreprises, cibles des mobilisations environnementales, ne sont pas restées en marge de cette évolution. En témoignent l’écologie industrielle, la Responsabilité Sociétale des Entreprises ou encore l’objectif affiché d’économie verte. Cependant, en imposant aux entreprises des investissement environnementaux, les ONG et pouvoirs publics n’ont-ils pas tout simplement renforcé le rôle des leaders économiques ?

Et les écologistes dans tout ça ?

Ce tour d’horizon des acteurs s’achève par le rôle du mouvement politique écologiste. Depuis son apparition, son destin politique suit une trajectoire en en dents de scie, comme le révèlent les chiffres des élections. Cependant, l’influence des partis écologistes se ressent sur l’inscription des questions environnementales dans l’agenda politique.

Leur capacité à modifier la trajectoire de fonds des politiques publiques est moins évidente. On ne peut qu’adhérer aux propos de l’auteur. Il suffit en effet d’observer le parcours en demi-teintes de Cécile Duflot dans le gouvernement actuel, entre éclat médiatique et silence, entre volontarisme politique et poids des lobbys pour s’en rendre compte. Comment ne pas penser aussi à l’expérience malheureuse de Nicole Bricq, sacrifiée sur l’autel de la bonne entente avec le lobby pétrolier pour avoir refuser d’avaliser les permis d’exploitation du pétrole en Guyane ?

Action publique environnementale : le mythe du décideur unique

L’auteur pointe la complexité de la décision en matière environnementale. Trois difficultés l’illustrent : la transversalité de nombreux secteurs publics, la combinaison de questions scientifiques, économiques, sociales et politiques, l’état incomplet des connaissances. Ainsi, « l’ordinaire de la décision environnementale est un ajustement (plus ou moins forcé et souvent déséquilibré) entre des intérêts contradictoires », explique Pierre Lascoumes.

Dès lors, jusqu’où le décideur peut-il être rationnel ? L’exemple du stop and go du photovoltaïque en France ne dénote t-il pas justement d’une irrationalité ? Et que dire de celui de la taxe carbone ? Quelle place pour les groupes d’influence ?

« Le décideur est un mythe », nous dit Lascoumes, la décision est une entreprise collective avec deux mouvements d’influence constants : les intérêts organisés dépendant du pouvoir politique en place et agissant par des voies indirectes et les experts produisant de la connaissance. Mais l’essentiel  réside dans la mise en œuvre concrète, notamment par les relais territoriaux.

L’âge de raison des politiques environnementales ?

Pierre Lascoumes, nous explique à travers son ouvrage que les politiques environnementales sont entrées dans l’âge de raison : les problèmes sont identifiés et continuent à s’élargir au fur et à mesure des connaissances nouvelles ; pour y répondre, la boîte à outils des techniques de régulations est constamment enrichie.

Cependant, cet état de fait ne suffit pas à convaincre les décideurs de faire des politiques environnementales une priorité. La dépendance à une économie productiviste, les contradictions d’intérêts et la concurrence des rationalités écologiques et économiques restent des freins puissants.

Certains sujets à venir vont servir de test.  Le débat sur la transition énergétique va t-il accoucher d’une véritable orientation vers les énergies renouvelables ou conduira-t-il au statu quo ? L’exploration des gaz de schiste résistera t-elle longtemps aux pressions des lobbys ? L’économie verte demeurera t-elle un concept d’initiés ou deviendra t-elle une véritable orientation ?

En attendant des réponses à ces questionnements d’avenir, le livre de Pierre Lascoumes remplit parfaitement le rôle d’un Que sais-je ? Il a le grand mérite de nous éclairer et de nous instruire de manière exhaustive sur l’action publique environnementale, ses petits progrès et ses grandes limites, ses perspectives et ses freins.

Julie Cunat

 

Crédit photo, Flickr: gadl

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