Les risques de la société du Care
05 mars 2013
Les risques de la société du Care
Ouvrage recensé : Joan Tronto, Le risque ou le care ?, PUF, octobre 2012, 64 pages, 6€.
Dans cet ouvrage, Joan Tronto se livre à une critique en règle de la société du risque, concept développé au début des années 1990 par l’allemand Ulrich Beck, qu’elle oppose à la désormais société du care[1].
Un ouvrage féministe
Selon la thèse de cet ouvrage féministe, les femmes, accompagnées des « hommes de groupes marginalisés », ont permis de réintroduire la notion de care dans une société façonnée « par les hommes, pour les hommes ». Joan Tronto va ainsi énumérer les concepts de sa vision « équilibrée » de la société, opposée à celle « masculine et abstraite » de la théorie du risque, qui ne se préoccuperait pas réellement de la « question sociale ».
Dès les premières pages, le décor est planté. L’auteure se place sans cesse dans l’opposition féminin- masculin. Ainsi, de sa critique d’Ulrich Beck, où Tronto oppose sa pensée féministe à ce qu’elle appelle un exposé « hautement masculin » : dans la société du risque, Beck universaliserait son point de vue d’homme allemand et riche.
La société du risque selon Tronto
Beck propose ainsi une sociologie qui se veut « descriptive des conséquences inattendues de l’action ». La société du risque, caractéristique de la modernité technologique, est caractérisée par l’anxiété et l’inconnu, en raison des « risques incontrôlables » qui menacent perpétuellement et que personne n’est réellement capable de contrôler. Ces risques, lui objectera-t-on, la plupart des individus en sont conscients et les acceptent.
La critique d’un processus sans responsable
Tronto se montre critique à l’égard de l’absence de responsable dans le processus que décrit Beck. En effet, toute technologie a un inventeur. Par ailleurs, si les machines nous font courir des risques imprévus, elles doivent toujours être activées par un humain. Ainsi, la société du risque n’est pas ce processus incontrôlable que décrit Beck et elle a ses coupables.
L’auteure ne peut donc s’empêcher de blâmer « le capitalisme » et « le grand profit », en arguant que la maladie de la vache folle est apparue en raison d’une course à la production au détriment de la qualité, et que dans un « mode d’élevage traditionnel » une telle chose ne se produirait pas. Elle fait l’impasse sur les risques humains innombrables que le capitalisme a permis d’éliminer et sur le développement économique que les si chères « sociétés traditionnelles » n’ont pas su apporter.
Au sujet de la maîtrise des risques, Tronto dénonce les scientifiques qui, selon elle, n’ont « jamais été capables de contrôler les effets de leur travail ». De la part d’une personne issue des sciences, bien que sociales, une telle assertion est pour le moins surprenante. Si les découvertes peuvent être utilisées à mauvais escient, l’inventeur ne serait en être nécessairement tenu pour responsable.
Quoi qu’il en soit, selon Tronto, le risque est une « caractéristique masculine » de la société, dans laquelle les femmes n’auraient de part. A en croire l’auteure, dans un monde dominé par le féminisme, le risque n’existerait pas, les scientifiques seraient infaillibles, et l’humanité connaîtrait un « accroissement du confort et de l’intimité ». Une telle affirmation laisse franchement songeur…
Le care contre le risque
Ainsi, à la société du risque, Tronto oppose une société du care, résolument féminine. Selon l’auteure, les femmes seules sont capables de « prendre soin » : le care se définit ainsi par un « ensemble de pratiques » propres aux femmes mais qu’il faudrait généraliser.
La société du care se caractérise par la relation entre des êtres responsables et leur entourage. Les humains y sont considérés comme vulnérables et fragiles mais aussi capables de prendre soin les uns des autres. Aussi, chaque individu n’y prend plus ses décisions de manière isolée, comme dans la société du risque, mais en tenant compte de l’autre et en réduisant donc les risques qu’on peut lui faire courir.
Notons toutefois que la vulnérabilité humaine n’est pas étrangère à la vision de Beck. En effet, le risque lui-même n’est-il pas la conséquence d’une faillibilité ? D’autre part, pour Beck, il ne s’agit pas, dans le risque, de nier la relation à l’autre mais d’assumer en commun le risque en question.
Soigner c’est prévenir
Le care tendrait ainsi à responsabiliser les individus et à minimiser le risque. Au contraire de Becker, l’auteure invite le pouvoir politique à ne pas traiter les risques en aval, c’est-à-dire après sa matérialisation, mais en amont, pour les prévenir. Dans une certaine mesure, Tronto oppose le principe de précaution, qui serait approuvée par une majorité populaire et non plus par des « technocrates », au laissez-faire et à l’entreprenariat.
Le care est-il sans risque ?
L’auteure reconnaît qu’une société du care n’est pas nécessairement libre. Elle cite l’exemple de la colonisation, justifiée par la volonté des colons de prendre soin des colonisés, à leurs corps défendant. Cependant, dans une société du care véritable, « l’égalité de la vie humaine » entraîne un « besoin de démocratie » dans laquelle les responsabilités sont « distribuées ».
Si l’auteure affirme que des règles doivent garantir les libertés, le care comporte une pente antilibérale. Après tout, dans une société véritablement libérale, l’individu serait libre de ne pas donner de soin, tout en acceptant en contrepartie de ne pas en recevoir. La société de Tronto semble pas admettre être une option.
Joan Tronto livre en définitive une vision de la démocratie assez paradoxale, à la fois radicalement égalitaire du point de vue politique, mais aussi profondément déterministe : les individus sont faibles, doivent aider et doivent recevoir de l’aide. Les marges de liberté, dans une telle société, semblent réduites.
Précaution radicale
Ouvrage concis, mettant en avant deux visions de la société radicalement opposées, Le risque ou le care est surtout un brûlot anti-entreprise, dans tous les sens du terme, dans lequel le principe de précaution est roi. L’auteure critique ainsi une théorie qui se veut descriptive de notre société et propose un modèle radicalement opposé à celui dans lequel nous vivons. Faisant, au passage, fi de toutes les avancées économiques et sociales que les prises de risque ont rendues possibles. Il est dommage par ailleurs que l’ouvrage de Tronto soit si court : au risque de ne pas bien faire passer le message souhaité.
Julien Barlan
Crédit photo, Flickr: аrtofdreaming
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