L’État providence face aux dépendances (2)

13 septembre 2013

13.09.2013-2L’État providence face aux dépendances (2)

La France fait partie des pays qui ont tardivement pris conscience des problèmes liés au vieillissement de la population. Elle a ainsi attendu les années 1990 pour lancer ses premières politiques de prise en charge, alors que les pays scandinaves prenaient des mesures semblables dans l’immédiat après-guerre. L’État providence continue de susciter chez les Français l’espoir de voir son interventionnisme résoudre des problèmes sur tous les fronts, y compris sur celui de la prise en charge de la dépendance. Cependant, les bouleversements démographiques (vieillissement de la population), économiques (resserrement du budget) et sociaux obligent à repenser l’intervention publique et à inventer d’autres modèles.

Le paradoxe français : entre conscience du problème et incapacité à s’en prémunir

Le 19 avril 2013 paraissait le sixième baromètre prévoyance de TNS Sofres consacré à la dépendance. Les résultats mettent en exergue la conscience qu’ont les Français des enjeux liés à la dépendance, puisque six Français sur dix se déclarent directement concernés[1]. Ces résultats viennent corroborer ceux d’une autre enquête effectuée par l’Ifop en 2009, dans laquelle trois Français sur quatre (76 %) se déclaraient « concernés par le risque de dépendance en vieillissant »[2]. La perte d’autonomie y était également la deuxième évocation la plus citée lorsque l’on parle de vieillesse, après les problèmes de santé et avant la solitude[3].

Cette enquête révélait déjà toute l’ambivalence de la perception française de la dépendance. Si les Français ont conscience de la gravité de ce problème, qui est susceptible de les toucher personnellement, ils n’agissent que peu pour s’en prémunir. En témoigne leur rapport à la prévention : moins d’un Français sur deux déclare avoir un suivi médical régulier pour prévenir les risques liés au grand âge[4], et moins d’un sur cinq a souscrit à une assurance[5]. Enfin, l’illusion de la toute-puissance de l’Etat providence dont font preuve les Français explique également pourquoi ils n’estiment pas nécessaire de se prémunir contre la dépendance.

Des attentes considérables envers l’Etat

Malgré un contexte de réduction des dépenses, les attentes envers l’Etat restent particulièrement fortes. Le baromètre de TNS Sofres évalue ainsi à 75 % la proportion de Français estimant que « l’État doit prendre en charge la dépendance »[6]. Dans un même temps, les Français admettent pour une proportion non-négligeable d’entre eux (27%) «ne pas savoir estimer le coût de la dépendance »[7]. Une question qui reste peu traitée. Ainsi, aucun des trois rapports récemment remis à Jean-Marc Ayrault sur la prévention ne fait allusion au financement de la dépendance[8].

Faire intervenir les communes dans la gestion de la dépendance ?

A défaut de penser au sujet de la dépendance dans notre pays, il reste possible de possible de s’inspirer de réformes faites par nos voisins. Parmi eux, sans surprise, la Suède a su mettre en place un modèle de prise en charge de la dépendance efficace. Ce modèle s’appuie principalement sur les communes, qui servent de pierre angulaire à la politique de la dépendance. Chaque commune prend en charge ses personnes âgées et assure au mieux leur suivi. Par ailleurs, le système de soins est « universel » : le soutien accordé aux personnes âgées dépendantes est attribué en fonction des besoins, sans jamais tenir compte des ressources du bénéficiaire. Les municipalités ont également la possibilité de déléguer une partie de la prise en charge à des prestataires privés.

Le système suédois a certes prouvé son efficacité, il reste pourtant difficilement applicable à la France. Celui-ci est en effet majoritairement financé par la solidarité nationale, alors qu’une augmentation des impôts locaux ne serait plus acceptée par les Français. Il repose également sur un transfert de nouvelles compétences à l’échelle locale, alors que la France doit d’abord finir sa réforme territoriale. Les communes françaises souffrent encore trop des conséquences d’une décentralisation des compétences ne s’étant pas accompagnée d’une décentralisation des budgets adéquate, ainsi que de la superpositions d’organes administratifs aux compétences souvent mal délimitées. Le transfert de compétences  à la commune dans le domaine des dépendances serait donc encore largement prématuré en France. En de telles conditions, le rôle joué par l’État est à repenser et la coopération avec le secteur privé s’avère nécessaire.

Réinventer le rôle des entreprises et de la solidarité familiale

L’État ne pouvant plus être acteur unique de la politique de la dépendance, il convient de réfléchir à des solutions alternatives viables. La sous-traitance auprès de prestataires privés a déjà fait ses preuves dans d’autres pays, notamment en Suède, où la concurrence permet à la fois de baisser les prix et d’améliorer la qualité des services fournis.

Les Français semblent enclins à cette solution, puisque 81 % d’entre eux déclarent faire confiance « aux entreprises spécialisées en matière d’aide au maintien à domicile des personnes dépendantes »[9]. Il se dégage donc un paradoxe hexagonal : la confiance dans la sous-traitance auprès d’entreprises privées se conjugue avec le souhait de voir l’État intervenir en priorité. Cette spécificité permet d’esquisser une nouvelle politique sociale ayant davantage recours aux entreprises.

Il faut aussi, dans le cadre d’un renouvellement de la politique de la dépendance, repenser la solidarité familiale. En ce sens, le passage d’une distribution qui se ferait à l’échelle locale et non plus nationale, permettrait de mieux répondre aux attentes des familles des personnes dépendantes.

Ce nouveau mode de prise en charge doit s’accompagner de facilités pour l’entourage des personnes dépendantes : cela pourrait par exemple passer par un aménagement de leur temps de travail. Aujourd’hui, 88 % des proches s’impliquent en cas de maintien à domicile, et ce régulièrement pour les trois-quarts d’entre eux (au moins une fois par semaine)[10]. Cependant, seule une entreprise française sur cinq propose à ses salariés des congés leur permettant de venir en aide à une personne de leur famille en situation de dépendance. En Italie, il s’agit d’une entreprise sur trois ; en Allemagne, de 60 % des entreprises ; et dans des pays scandinaves, de plus de 80%[11]. En France, un important retard pèse donc sur la solidarité familiale ; et ce même si déjà, sur les 34 milliards d’euros que coûte chaque année les dépendances, 10 milliards d’euros restent à la charge des familles[12].

Les bouleversements liés à l’émergence des dépendances nous obligent à   repenser les politiques publiques de l’État providence et de prendre en compte l’ensemble des  entreprises, familles ou encore associations, qui pourraient être amenés à jouer un rôle  nécessaire voire indispensable.

 

Vincent Destrez-Ostrowski

 

Crédit photo: Flickr, didier.goas



[1] Sixième baromètre dépendance

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] TNS Sofres, Baromètre prévoyance – Vague 6 : Dépendance, enquête réalisée pour La Banque Postale Prévoyance, avril 2013

URL :https://www.labanquepostale.fr/content/dam/files/groupe/communiques_de_presse/2013/avril/20130419_LBPP-Prevoyance-Dependance_CP.pdf

[7] Ibid.

[8] Le Figaro, Dépendance : trois rapports pour planifier la prévention, 12 mars 2013

URL : http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2013/03/11/20002-20130311ARTFIG00550-dependancetrois-rapports-pour-planifier-la-prevention.php

[9] Ifop, Le regard des Français sur les entreprises privées de maintien à domicile des personnes dépendantes, enquête réalisée pour la Fédération des Services aux Particuliers, juin 2011

URL : http://www.fesp.fr/sites/default/files/attachments/sondagedependance.ifop_.rapport..pdf

[10] TNS Sofres, Baromètre prévoyance – Vague 6 : Dépendance, enquête réalisée pour La Banque Postale Prévoyance, avril 2013

URL :https://www.labanquepostale.fr/content/dam/files/groupe/communiques_de_presse/2013/avril/20130419_LBPP-Prevoyance-Dependance_CP.pdf

[11] MyEurop.info, Comment financer la dépendance des personnes âgées ?, 12 mars 2013

URL : http://fr.myeurop.info/2013/03/12/comment-financer-la-dependance-des-personnes-agees-2503

[12] Ibid.

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