L’Europe de la défense : l’erreur originelle
François Pravongviengkham | 22 juin 2015
L’Europe de la défense : l’erreur originelle
Par François Pravongviengkham
À la suite de la crise russo-ukrainienne et les déclarations de Jean-Claude Juncker sur la nécessité d’une armée européenne, le Conseil européen se réunit pour relancer la PSDC, les 25 et 26 juin. Comment expliquer que l’Europe de la défense ne parvienne pas à sortir de la nasse ?
Une impasse conceptuelle et sémantique, l’erreur originelle de la PSDC
La Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) européenne semble aujourd’hui inefficace pour parer aux défis contemporains et futurs que devra affronter l’Europe. Par ses louvoiements, elle est incapable d’aplanir sa relation et son articulation avec l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), ni d’arrêter d’objectifs communs[1]. Cette incapacité chronique à se définir prend racine dans les ethos nationaux et cultures stratégiques antagonistes qui travaillent le continent. La grande majorité des pays européens perçoivent l’OTAN comme le cadre optimal et unique, pour gérer la sécurité européenne[2]. Les autres pays semblent plus ambivalents. De concert avec la France, Italie, Pologne, Allemagne souhaitent aujourd’hui articuler fidélité atlantique avec l’émergence d’un projet plus ou moins fort en matière de défense. En ces temps de morosité économique, priorité est désormais donnée à la consolidation de la prospérité intérieure de l’Union, au détriment du développement d’une Europe stratégique et indépendante. La France, promotrice historique de « l’Europe puissance »[3], a joué ces dernières années, à rebours des intérêts d’une PSDC renforcée. Sa réintégration au sein du commandement intégré de l’OTAN, s’est faite à son seul avantage, et ne s’est pas inscrite dans une volonté de relance de la défense européenne.
L’épisode ukrainien n’a fait que parachever une tendance qui devient maintenant structurelle. Il échoit à l’Union européenne à travers la PSDC, les opérations civiles et militaires de RSS dans le cadre des missions de Petersberg, mais toute la composante de hard security reste l’apanage exclusif de l’OTAN[4]. Les tentatives de relance à travers des coopérations « minilatérales » sont jusqu’ici rester veines et non avenues. En 2010, France et Grande-Bretagne avaient paraphé les traités de Lancaster House[5], qui envisageait une « coopération en matière de défense et de sécurité ». Le traité intéressait notamment « le déploiement et l’emploi des forces armées » et des « transferts de technologies » entre les deux industries d’armement. Malgré des intentions louables, les résultats peinent à se faire jour et les échecs s’amoncellent. En 2012, le gouvernement britannique s’oriente ainsi vers l’avion de combat américain F-35 à décollage vertical au détriment du groupe aéronaval intégré franco-britannique. De son côté, la France a préféré investir dans les Reaper américain. Peu coordonnées et non insérées dans une perspective européenne, ces coopérations « minilatérales » risquent d’aggraver in fine les doublons et les gaps capacitaires à l’échelle européenne.
L’impérieuse nécessité d’une PSDC régénérée et revisitée, seule capable d’assurer le maintien de la paix en Europe
La PSDC est un acronyme galvaudé. Bien qu’ambitieuse dans les textes, cette politique est circonscrite à la « gestion de crise ».[6] Or, l’Europe d’aujourd’hui n’est plus confrontée à de simples crises mais à de véritables guerres. En sus, une tendance durable se dessine, celle d’un double rééquilibrage de la politique américaine. D’un côté, une priorité accordée à l’Asie-Pacifique à travers sa stratégique du pivot. De l’autre, une nouvelle doctrine américaine, plus empreinte d’humilité, qui fait la part belle au leading from behind[7]. Ce double mouvement marque la volonté américaine de transférer le fardeau de la défense européenne à l’Union ou à quelques pays européens moteurs. Deuxième trait saillant, la baisse tendancielle des budgets de défense à travers l’Europe. A l’orée des années 90, ces dépenses représentaient environ 2.7% du PIB, elles sont tombées en 2013 à 1.35%[8]. Les budgets de dépense grevés s’accompagnent d’une réduction importante des formats d’armées. Le nombre de soldats européens a baissé de près de 500 000 entre 2006 et 2012 - Il est passé de 1 940 342 en 2006 à 1 453 028 en 2012[9]-. La rétention stratégique américaine d’Europe, conjugué à la prolifération de crises aux portes du continent pave le chemin à une défense européenne plus intégrée, au titre de trois urgences. Une urgence économique en premier lieu ; une relance de l’industrie de défense à l’échelle européenne constituerait un adjuvant pour recouvrer les chemins de la croissance. Une urgence sécuritaire, dans un monde où les conflits se multiplient dans leur nombre et se diversifient dans leurs formes. Enfin, une urgence politique, la relance de la PSDC poserait les jalons d’un saut fédéral à l’échelle de l’Union.
[1] « Éditorial », Politique étrangère 1/2015 (Printemps), p. 5-8
[2] Bühler Pierre, « La Puissance au XXIème siècle », CNRS, 2009
[3] Védrine Hubert, « Continuer l’Histoire », Flammarion, 2008, 149p
[4] 6 Pertusot Vivien, « Défense européenne : enfin du nouveau », Politique étrangère 1/2015 (Printemps), p. 11-23
[5] Traités disponibles : www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/royaume-uni_202/france-royaumeuni_1430/presentation_3301/traites-signes-lors-du-sommet-franco-britannique-londres-2-novembre- 2010_87305.html.
[6] Danjean Arnaud, « La guerre est de retour sur le continent européen », l’Opinion, 4 janvier 2015 : http://www.lopinion.fr/30-decembre-2014/2014-arnaud-danjean-guerre-est-retour-continent-europeen- 19875
[7] Stephen Sestanovich, « Maximalist: America in the World from Truman to Obama», 2014
[8] SIPRI, Military Expenditure Database, disponible sur : http://www.sipri.org.
[9] Voir Agence européenne de défense, Defence Data 2012, 2013, disponible sur : http://bit.ly/XewbPm.
crédit photo : fotolia jorisvo
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