L’Histoire de France selon le Front National
Fondapol | 29 août 2012
Clovis, roi des Français
Dans la tradition frontiste, l’Histoire avec un grand « H » est une source inépuisable d’exemples à suivre et de références à méditer. Certes, le Front National n’est pas le seul parti politique français à user voire à abuser de l’Histoire pour peu qu’elle la serve. Toutefois, si l’instrumentalisation de l’histoire n’est en aucun cas le monopole du Front National, force est de constater qu’en ce domaine il fait feu de tout bois.
C’est Jean-Marie Le Pen, Président historique du Front National de 1972 à 2011, qui a intelligemment su modeler le discours frontiste en se basant sur un calque grossier de l’histoire de France. Pour Jean-Marie Le Pen, l’identité française d’aujourd’hui est intimement liée à l’histoire de France, au sens le plus global du terme : « l’identité d’un groupe est enracinée dans son histoire qu’il convient de retracer »[1]. Lorsqu’il s’agit de retracer cette histoire, le moins que l’on puisse dire est que le Front National sait trancher dans le vif. Ou bien un évènement historique est jugé utile et susceptible d’apporter de l’eau au moulin du discours frontiste, ou bien il est considéré comme inutile et jeté aux « poubelles de l’histoire ».
L’évènement historique emblématique de cette pratique est le baptême de Clovis. Selon l’interprétation historique de Jean-Marie Le Pen, le baptême de Clovis est l’élément fondateur de l’histoire de France. Il est vrai que cet évènement demeure un élément symbolique de notre histoire : enseigné à l’école primaire durant des générations, il fait sens aux yeux de nombreux français. Néanmoins, connaître l’évènement historique ne signifie pas le maîtriser, et c’est ici que le discours frontiste intervient pour travestir le symbole : avec le baptême de Clovis, les Francs se convertissent au christianisme et deviennent des Français, la nation française serait née.
En réalité, comme l’a montré Yves Déloye[2], le baptême de Clovis n’est pas le baptême de la France puisque l’évangélisation de notre pays remonte au IIe siècle. Au temps de Clovis, le territoire que l’on nomme aujourd’hui France était constitué de tribus disparates allant de la Rhénanie à la Flandre, de sorte qu’il est délicat d’utiliser les termes de France et de Français pour décrire la réalité de l’époque.
Ainsi, ce dévoiement de l’histoire basé sur l’utilisation de raccourcis historiques est une pratique courante et privilégiée par le Front National.
Les faits historiques qui sous-tendent le discours frontiste
Dans cette stratégie de reconstruction de l’histoire, le Front National ne choisit pas n’importe quel marqueur historique. Afin d’étudier les référents habituels du parti, Fiammetta Venner a répertorié toutes les commémorations frontistes de figures historiques entre 1972 et 2006.
Les commémorations du Front National de 1972 à 2006[3]
Jeanne d’Arc | 36 |
Clovis | 25 |
J-P Stirbois | 22 |
Gendarmes tués à Ouvéa | 22 |
François Duprat | 10 |
Louis XVI | 1 |
Marie-Antoinette | 1 |
Notre-Dame d’Afrique | 1 |
Ce tableau permet de souligner l’insistance avec laquelle le Front National s’évertue à célébrer certaines figures ou évènements historiques, alors qu’il en laisse délibérément d’autres de côté.
Sans surprise, c’est la figure de Jeanne d’Arc qui est la plus célébrée par le Front National. Historiquement, la célébration de Jeanne d’Arc, tous les 1ers mai, a surtout été le fait de l’Action française. Le Front ne s’intéresse vraiment à elle que depuis 1981 et l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, dans l’idée de faire contrepoids à la fête des travailleurs célébrée le même jour. A partir de 1988, le Front National s’attribue le monopole de la célébration de Jeanne d’Arc et réalise l’amalgame avec la fête des travailleurs en créant un rassemblement qui s’intitule : Hommage à Jeanne d’Arc et salut fraternel au monde du travail.
On peut noter que la célébration de la pucelle d’Orléans n’a pas toujours été le monopole de l’extrême-droite française. Le général De Gaulle, exilé en Grande-Bretagne pendant la seconde guerre mondiale, avait déjà utilisé la figure de la sainte dans ses appels à la résistance[4]. Il s’agit de souligner ici la récurrence et la compétition qui résident dans l’instrumentalisation de l’histoire.
Force est de souligner que les célébrations du Front National se bornent à des figures monarchiques, religieuses, ou alors à des représentants de l’extrême-droite, souvent anciens membres du Front. Cette mémoire sélective du Front National confirme pour qui en doutait l’appartenance du parti à une certaine tradition politique d’extrême-droite, bien que l’aspect protéiforme de ces célébrations nous rappelle que le Front National est composé de différentes mouvances, parfois en accord, parfois en conflit.
Ainsi, en 1996, lors du pèlerinage de Chartres-Reims, l’abbé de Jorna, proche des milieux catholiques intégristes et du Front National, expliquait dans son sermon : la France est « la lumière qui, grâce aux Croisades, éclairait tout l’Orient ». Hélas, selon l’abbé, la « France de Valmy » aurait eu raison de la « France de Clovis ».
La « France de Valmy » contre la « France de Clovis » ?
Ce sermon de l’abbé de Jorna illustre un certain parti pris, partagé au Front National, mais pas par tout le monde.
Jean-Marie Le Pen a eu beau jeu de tenir, le 27 septembre 2006, un discours fleuve devant le moulin de Valmy afin de lancer sa campagne présidentielle. Le Menhir inverse ainsi la tendance en se réappropriant Valmy et l’héritage révolutionnaire : « Certains me diront que Valmy n’est qu’un symbole. A ces incrédules, je réponds que les peuples ont besoin de symboles afin de rassembler les familles qui les composent, et leur permettre de communier dans le même idéal social »[5]. Le symbole Valmy, plus qu’un objet de réconciliation, s’avèrera objet de dissension au sein du Front National, certains approuvant le discours de Jean-Marie Le Pen, d’autres rejetant la référence révolutionnaire.
Toutefois, le tribun breton n’oubliant pas l’essentiel, il insère dans ce discours l’idée clé au Front National que l’histoire de France relève avant tout d’une continuité historique : « Valmy, dernière victoire de la monarchie, première victoire de la république ». La royauté est en effet abolie au lendemain de la victoire de Valmy, le 21 septembre 1792. L’histoire de France, même si elle est sélectionnée, est donc appréhendée comme un tout, en faisant fi de son hétérogénéité voire de l’ambivalence des références utilisées. Ainsi, Jean-Marie Le Pen proclamait dans ce discours : « De Gergovie à la Résistance en passant par la monarchie capétienne et l’épopée napoléonienne, je prends tout ! Oui tout ! ».
Preuve s’il en est, ce retournement de l’histoire se fait toujours au profit du Front National et de Jean-Marie Le Pen, qui dès cette époque semble adopter un nouveau credo républicain dont sa fille saura elle aussi tirer profit.
Brice Jannin
Crédit photo : Flickr, Marie Thérèse Hébert & Jean Robert Thibault
[1] Cité in I. CUMINAL, M. SOUCHARD, S. WAHNICH, V. WATHIER [1997] Le Pen, les mots, Analyse d’un discours d’extrême-droite. La Découverte, essais.
[2] Y. DELOYE [1997] Commémorations et imaginaire national en France (1896-1996) in P. BIMBAUM, Sociologie des nationalismes, PUF.
[3] Tableau reproduit in F. VENNER [2006] Extrême-France, les mouvements frontistes, nationaux-radicaux, royalistes, catholiques traditionnalistes et provie. Grasset.
[4] M. WINOCK [1997] « A qui appartient Jeanne d’Arc ? ». L’Histoire, mai 1997, n°210.
[5] J-M LE PEN, « Discours de Valmy », le 27 septembre 2006.
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