L’hypermarché de demain sera-t-il participatif ?
Farid Gueham | 21 avril 2015
L’hypermarché de demain sera-t-il participatif ?
Par Farid Gueham
Contre trois heures de travail par mois, les clients de la Louve, un supermarché participatif qui ouvrira dans 8 mois, bénéficieront de prix réduits sur des produits de qualité, issus de l’agriculture biologique, des circuits courts et du commerce équitable. Du jamais vu en France.
Cette coopérative située dans le 18e arrondissement de Paris, proposera une nouvelle façon de faire ses courses. Contre un peu de leur temps, les membres de la coopérative et les salariés vont assurer les tâches nécessaires au bon fonctionnement du magasin comme la caisse, la gestion du stock, le nettoyage. Les économies ainsi réalisées permettent de réduire les marges et de proposer des prix très abordables sur des produits de qualité, qui seraient beaucoup plus onéreux sur le circuit de distribution classique. La coopérative à but non-lucratif est gérée comme une tontine, directement par ses membres-coopérateurs. A l’origine du projet, une campagne de crowdfunding. C’est notamment grâce à la plateforme Kisskissbankbank que la Louve est parvenue à collecter 157 000 euros. D’ici son ouverture officielle à la fin de l’année, la coopérative devrait compter 2 000 membres, organisés en 14 groupes de travail distincts dans ses locaux de 1 500 m².
Une initiative inédite en France, inspirée et soutenue par la Park Slope Food Coop.
La Park Slope Food Coop de New York, c’est le plus grand supermarché coopératif des États-Unis, un des plus anciens aussi, avec 40 ans d’existence et plus de 16 000 membres. De quoi faire rêver et inspirer la petite Louve parisienne. Ce n’est donc pas un hasard si on trouve deux américains, Tom Boothe et Brian Horihan, à l’origine du projet. En 2011, ils fondent un groupement d’achats et une association « Les Amis de La Louve » préfiguration du futur supermarché coopératif du même nom.
La principale différence avec le projet américain ? Le soutien des partenaires institutionnels.
En 2012, la Louve gagne des adhérents et se forge une réputation. La Mairie du 18ème arrondissement et la ville de Paris misent rapidement sur le projet. Un local flambant neuf rue de la Goutte d’Or et une campagne de fundraising plus tard, le succès est au rendez-vous. Énième initiative bobo sans lendemain ? Pas vraiment. L’engagement social de la Louve est au cœur du projet coopératif : proposer une alimentation de qualité à prix réduit, tout en favorisant les producteurs locaux, les circuits courts et les produits de saison. La démarche se veut éthique mais pas au détriment de la qualité : l’excellence des produits sélectionnés est possible grâce à une exigence gustative, nutritionnelle et sanitaire élevée. L’initiative promeut le développement d’une agriculture durable, à la fois favorable aux paysans et respectueuse de l’environnement. La coopérative veut trouver sa place dans le quartier.
Contrairement aux musées et autres structures catapultées de force dans les quartiers populaires au prétexte d’y encourager la mixité sociale, la coopérative se veut consciente de la réalité socio-économique des habitants de l’arrondissement populaire. La Louve s’engage à rendre la coopérative accessible à tous, l’une de ses missions premières étant de répondre aux besoins et choix alimentaires de la population de l’arrondissement. Parallèlement, elle vise le plus possible à sensibiliser ses participants aux enjeux alimentaires actuels et souhaite devenir un lieu d’échange et de partage autour de la nourriture. « Comment choisir ses produits ? En fonction de ses valeurs mais aussi en fonction de ses moyens. Si on décide de ne plus vendre un produit, c’est que nos membres ne le consomment plus. Notre projet est éducatif, mais il n’est pas moralisateur. Et si nous avons le choix entre un produit bio mais industriel et un non bio provenant du circuit court ou d’une entreprise familiale, nous veillerons à proposer les deux » rappelle Tom Boothe. « On trouvera donc des produits bio et de qualité, le plus souvent locaux, ils seront vendus entre 20 et 40 % moins cher que dans les grandes surfaces ». A 8 mois de l’ouverture du supermarché, la future coopérative de consommation compte déjà quelques 700 membres pour qui l’idée de travailler pour mieux consommer ne semble pas absurde.
Le modèle est-il viable économiquement ?
Si l’on observe l’évolution du grand frère américain, la Park Slope Food Coop de Brooklyn (PSFC), sur les 40 dernières années, on peut être optimiste. Pour Tom Boothe et Brian Horihan, le modèle est transposable à Paris. A New York, ils ont pu constater une augmentation en flèche des demandes d’adhésions depuis le début de la crise économique, aux alentours de 2008. Au cours de ces dix dernières années, sept nouvelles coopératives ont été créées à New York selon deux modèles principaux : le modèle PSFC, c’est-à-dire avec un droit d’entrée pour les adhérents et des prix bas, et un second modèle ouvert à tous, avec des prix plus élevés. Les coopératives inscrites dans le modèle PSFC fonctionnent le mieux. Elles ont même pu alimenter un fond d’aide pour le développement de nouvelles structures comme ici, à Paris.
La valeur ajoutée des coopératives réside dans les synergies humaines.
Si un fiscaliste devient membre, il va aider la coopérative grâce à ses talents dans son domaine. Une culture d’entre-aide, présente dès les origines du projet. Il faut aussi se retrouver autour de valeurs communes : un intérêt pour une alimentation saine, pour une production et une distribution juste et équitable. « Aux Etats-Unis, une municipalité soutiendrait naturellement l’équivalent de grands groupes comme Carrefour ou Leclerc. Mais à Paris, les élus sont avec nous et nous sommes confiants dans l’avenir du projet », affirme Tom Boothe. Sans remettre en cause le modèle de la distribution discount ou des hypermarchés classiques, la coopérative introduit une alternative qui valorise et responsabilise la démarche de consommation. En misant plus sur le commerce collaboratif et moins sur les politiques d’insertion pour créer du maillage social, la Louve ouvre une réflexion passionnante sur les évolutions à court terme de l’économie sociale et solidaire.
Pour aller plus loin :
– Site de la Park Slope Food Coop de New York.
– Site de la coopérative La Louve.
– Site de la plateforme Kisskissbankbank pour le financement de la Louve
Crédit photo : USDA/Lance Cheung
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