Libérez l'Ecole, vite!

Fondapol | 26 septembre 2011

[1].

Dans son dernier ouvrage, Chantal Delsol n’apporte pas de faits nouveaux à cet égard.

La force de son livre repose plutôt sur son style, qui provoque, et sur sa volonté de pointer les dysfonctionnements d’un Ministère qui ne parvient pas à se réformer. Elle dénonce avec vigueur un système qui échoue à permettre l’égalité des chances.

L’ouvrage se veut libéral et fait des propositions en ce sens.

Tous les élèves ne se ressemblent pas

La première attaque du livre se concentre sur le fantasme d’une utopie unitaire, qui raisonnerait abstraitement à propos d’élèves « inventés », ignorant leur diversité et leur inculquant les réflexes d’une pensée uniformisée : dans l’Education Nationale, tous les enfants sont regardés comme identiques.

De là, un conditionnement qui s’accompagnerait d’un discours pédagogiste considérant l’enfant comme un citoyen déjà constitué… alors que le rôle de l’Ecole est au contraire de l’élever vers la société des adultes.

La perpétuation d’un fantasme égalitaire

La deuxième offensive de Chantal Delsol porte sur ce qu’elle présente comme une hypocrisie égalitariste.

En refusant de prendre en compte la diversité de ses acteurs, le système éducatif reposerait sur la fiction d’une égalité parfaite.

Or, cette conception a des effets pervers redoutables en pratique : chacun cherche à se distinguer et lutte pour la réussite de ses enfants, en choisissant un « bon » établissement ou les « bonnes » options… Circonstance aggravante, ces choix stratégiques ne sont accessibles qu’aux parents les mieux (in)formés : les enseignants et les CSP+ (les mêmes qui se battent pour la perpétuation du système au nom de l’égalité)[2].

Le constat posé par Chantal Delsol est donc rude : « une élite républicaine bien-pensante a[urait] désigné le pauvre peuple pour vivre dans la cabane « égalitaire », pendant que l’élite en question habite dans un monde inégalitaire dissimulé, conforme à ses besoins mais pas à ses théories ».

Le refus des réalités

Ce contexte idéologique conduit à refuser les réformes : selon ses défenseurs, si le modèle connait des échecs, c’est qu’il aurait été imparfaitement réalisé.

Contre l’égalité des chances, on prônerait l’égalité des situations. Contre les réformes que la réalité appelle, on préfèrerait  la fuite en avant d’un discours qui veut pousser encore un système qui a échoué.

Le tabou de la sélection

Premier exemple : la sélection.

Considérée comme un obstacle à la démocratisation, elle a été officiellement écartée à l’entrée de l’enseignement supérieur.

Or, on la retrouve en fait à la fin de la première année dans les universités, où les taux d’échec sont très importants, ou à l’entrée sur le marché du travail, où tous les diplômes ne se valent pas.

La gratuité illusoire

Deuxième exemple : le rapport à l’argent.

La gratuité de l’enseignement aurait, selon Chantal Delsol,  un double effet pervers. D’abord elle découragerait  la responsabilité. Une contribution financière plus importante inciterait les parents à plus suivre leurs enfants, estime Chantal Delsol. Ensuite, au nom de l’égalité, ce système serait inéquitable : les familles aisées sont financées au même titre que les plus défavorisées.

Dans ce système, ce n’est donc pas la solidarité qui prime, mais l’égalité absolue dans la dépendance à l’Etat.

En France, l’intelligence académique est survalorisée

Troisième exemple : la survalorisation de l’ « intelligence » académique, par laquelle l’Education Nationale a dévalorisé le concret, le manuel et l’économique.

En conséquence, des enfants qui auraient pu trouver leur voie dans l’enseignement technique s’en écartent… et échouent.

Première piste : réformer le corps enseignant

Après avoir dressé ce constat sombre d’un système qu’elle juge planifié et beaucoup trop rigide, Chantal Delsol appelle à le réformer.

La réforme de l’Education Nationale doit passer, d’abord et selon elle, par celle du corps enseignant.

Si elle regrette la dévalorisation du rôle des enseignants dans la société, Chantal Delsol dénonce surtout le caractère « endogène et endogame » de ce corps de la fonction publique, son ignorance de ses avantages et son mode de recrutement, qui repose sur la seule excellence académique, faisant fi des qualités et de la vocation pédagogiques.

Elle critique par ailleurs vertement les critères d’avancement dans l’enseignement, qui ne doivent, écrit-elle en substance, presque rien au mérite et presque tout à l’ancienneté.

Pour remédier à ces faiblesses, elle propose, de façon très radicale, de mettre un terme au fonctionnariat dans l’enseignement, car selon elle, « l’image de l’enseignant sera revalorisée quand celui-ci rejoindra la société réelle et se soumettra aux mêmes exigences que ses concitoyens : quand sa classe sera adaptée à ses compétences, quand il méritera son avancement, quand il risquera sa place en cas de faute ».

Plus de liberté pour l’école

Le second mouvement que souhaite encourager ce petit livre est celui de la liberté.

Une liberté qui doit d’abord bénéficier à l’école : il faut « un libre choix de l’école, non seulement entre le public et le privé, mais au sein du public lui-même. L’école française toute entière devrait être laissée à l’autonomie ».

C’est en effet, explique Chantal Delsol, par la multiplication des initiatives locales que le système éducatif s’améliorera. L’autonomie des établissements (qui n’est pas leur totale indépendance, encadrés qu’ils seront par des programmes, des évaluations, etc.) doit être privilégiée pour encourager la stimulation et l’innovation.

Une liberté qui servirait aussi aux universités, qui devraient accéder une véritable autonomie (la réforme de la LRU ne trouve pas vraiment grâce aux yeux de l’auteur) en nommant leurs enseignants, en gérant leurs salaires et carrières, en délivrant leurs propres diplômes, en revenant sur la gratuité, en réformant leurs parcours…

Un pamphlet libéral ?

L’ouvrage de Chantal Delsol est court et aisément lisible. Peu de chiffres et peu de sources viennent appuyer l’argumentation – mais il est vrai que tout est déjà dit par une quantité de rapports technocratiques.

C’est un essai incisif, presque un pamphlet. Avec les qualités et les défauts du genre, comme le schématisme et les lacunes dans l’argumentation. Quid du malaise éprouvé par les élèves à l’Ecole et en particulier au collège et au lycée, par exemple -un récent rapport du think tank de gauche Terra nova vient d’y insister à juste titre-?

Mais ce livre a un double mérite.

Le premier est d’attirer l’attention sur un système qui, faute de se réformer, est profondément inégalitaire et ne permet qu’aux plus aisés et aux mieux informés de s’en sortir.

Le second est de relancer le débat politique autour de la question majeure de l’Education.  A ce titre, la position de Chantal Delsol est claire : « le système ressemble clairement à cet égard à l’univers du socialisme réel : tout le monde est dans la dèche, ce qui n’a pas d’importance, puisque, ainsi, l’égalité est respectée ».

Un constat direct et sans ambiguïté aucune…

Erwan Le Noan

Crédit photo : Flickr, Émanu


[1] Voir le rapport de la Cour des comptes, L’éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves, 2010, disponible à ce LIEN :

Lors de sa présentation, le premier président Migaud déclarait : « la réalité qui nous est renvoyée par les évaluations internationales est celle d’un pays dans une position moyenne voire médiocre en ce qui concerne les résultats et les coûts par rapport aux principales nations comparables (…). Ces constats dressent, au total, un portrait peu satisfaisant du système scolaire public français (…). Nos difficultés ne viennent donc pas des moyens financiers disponibles, mais bien de l’inadaptation du système éducatif, qui n’est pas suffisamment orienté vers les besoins des élèves » (lire le discours).

Voir le rapport de l’Institut Montaigne, Vaincre l’échec à l’école primaire, 2010, disponible à ce LIEN

Voir enfin les études PISA très commentées de l’OCDE, disponible à ce LIEN ou cette semaine même l’étude Education at a glance (LIEN)

[2] A titre d’exemple, on pourrait rappeler avec l’Institut Montaigne (op.cit.) que « 44 % des enfants issus de milieux défavorisés entrés en sixième en 1995 ont redoublé au moins une fois la sixième ou la cinquième contre 5 % pour les enfants de cadres » et, avec le Haut Conseil à l’Intégration (L’Ecole primaire, 2007,LIEN) que, si « 3 % des enfants d’enseignants et 7 % des enfants des cadres entrés au CP en 1997 ont redoublé à l’école primaire, les taux s’élèvent à 25 % pour les enfants d’ouvriers et à 41 % pour les inactifs ».

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