L’Italie se réforme : entre modèle français et modèle allemand
26 juillet 2013
L’Italie se réforme : entre modèle français et modèle allemand
Entre le présidentialisme à la française et le gouvernement parlementaire rationalisé à l’allemande, quel modèle constitutionnel les Italiens seront-ils amenés à choisir, par référendum avant fin 2014, pour leurs futures institutions ?
Après la crise politique qui l’a privée de gouvernement pendant 61 jours à l’issue des élections nationales du 24-25 février 2013, l’Italie s’est, en effet, engagée dans un processus de révision de la Constitution de 1947.
Le gouvernement de grande coalition présidé par Enrico Letta, élu du Parti Démocrate, a inscrit à son programme l’adoption, d’ici à 18 mois, d’une révision de la Constitution que son ministre de la réforme constitutionnelle, le professeur Gaetano Quagliariello, membre du « Peuple de la Liberté » de Silvio Berlusconi, est chargé de mener à terme.
Des propositions de réforme élaborées par deux commissions, l’une composée d’« experts », l’autre de parlementaires, seront soumises au vote du Parlement et feront l’objet d’un référendum populaire. Et l’alternative entre modèle français et modèle allemand constitue un des principaux enjeux du débat en cours.
Un nouveau système politique dans le cadre d’une vieille Constitution
En dépit de l’expression trompeuse de « IIe République », les institutions italiennes de 1947 n’ont pas été réformées dans les années 1990, une tentative en ce sens ayant finalement échouée à la fin de la décennie. La recomposition du système politique transalpin, après 45 ans de domination politique de la Démocratie chrétienne, résulte directement de facteurs extraconstitutionnels : l’implosion des anciens partis liée aux effets de l’opération Mani Pulite conduite par la justice italienne d’abord, la réforme électorale de 1993 ensuite.
La vie politique italienne s’est réorganisée autour de coalitions de droite ou de gauche, et du clivage entre pro- et anti-Berlusconi. Depuis 20 ans, l’Italie s’affirme comme une véritable démocratie d’alternance, dans le respect des choix opérés par les électeurs en 1996, 2001, 2006 et 2008.
A l’inverse de la France de la Ve République, le changement de paradigme politique en Italie ne résulte donc pas d’une réforme institutionnelle déclinée ensuite dans le champ politique, mais en réalité d’une rénovation profonde du système partisan, doublée d’une réforme électorale, sans révision constitutionnelle préalable.
Les institutions de la Constitution italienne de 1947 sont proches de celles de la IIIe République française : Un régime parlementaire composé de deux assemblées aux prérogatives identiques devant lesquelles le gouvernement est responsable. Un gouvernement désigné par un chef de l’Etat principalement élu par les parlementaires et exerçant surtout une magistrature d’influence ; une instabilité ministérielle traditionnelle, quoique atténuée depuis 1994, dès lors que le gouvernement est obligé de démissionner quand il a perdu la confiance d’une des deux chambres.
Or, ce décalage entre une démocratie politique italienne rénovée et un cadre institutionnel ancien puisque l’Italie reste, selon le professeur Philippe Lauvaux, « le dernier grand pays d’Europe continentale à illustrer le parlementarisme de type traditionnel », ne pouvait manquer d’aboutir au risque de paralysie institutionnelle.
D’autant que la loi électorale à dominante majoritaire de 1993 a été remplacée en 2005 par un mode scrutin proportionnel décrié sous le nom de « porcellum » (porcherie). Les effets de ce mode de scrutin compliqué conjugués à la percée du mouvement « 5 étoiles » du populiste Beppe Grillo ont débouché sur un Parlement sans majorité au Sénat. De fait, la gauche, majoritaire à la Chambre des députés, a échoué à former un gouvernement.
Le Président Napolitano à la manoeuvre
Le lancement du chantier de la modernisation des institutions, parallèlement à une réforme de la loi électorale, tient à l’engagement très fort en ce domaine du Président de la République, Giorgio Napolitano.
Réélu à la tête de l’Etat à 87 ans, ce dernier a joué un rôle essentiel pour résoudre la crise politique. Mais il a clairement lié son acceptation d’un deuxième mandat, qu’il ne souhaitait pas initialement, à la mise en œuvre de véritables réformes institutionnelles et politiques.
De plus en plus, depuis 20 ans, les présidents de la République italienne ont été amenés en tant que garants de l’équilibre institutionnel et usant de leurs prérogatives constitutionnelles à jouer un rôle renforcé dans la vie politique. Ainsi, le président Napolitano a largement piloté le remplacement de Silvio Berlusconi par Mario Monti à la tête du gouvernement italien à la fin de 2011.
Au printemps 2013, pendant la crise politique, il a institué un groupe de quatre « sages », dont le futur ministre Gaetano Quagliariello, représentant différentes sensibilités politiques et chargé de proposer des réformes institutionnelles. Leur rapport, base du débat institutionnel en cours, porte aussi bien sur une nouvelle loi électorale, la réduction du nombre de parlementaires, l’administration de la justice, un meilleur encadrement du financement public des partis, une loi sur les conflits d’intérêt.
Modèle allemand ou « Semipresidenziale » ?
Pour l’organisation du gouvernement, le rapport pose clairement l’alternative entre une forme rationalisée du gouvernement parlementaire et un projet semipresidenziale, « c’est-à-dire d’un parlementarisme à correctif présidentiel plus ou moins inspiré, selon Philippe Lauvaux, du modèle français » avec l’élection au suffrage universel direct du chef de l’Etat.
Trois des « sages » jugent le premier modèle davantage en cohérence avec le système constitutionnel italien. Ce néo-parlementarisme rationalisé transalpin reprendrait largement des dispositions de la loi Fondamentale allemande : investiture par les députés du chef du gouvernement qui choisit, seul, ses ministres ; obligation pour les députés, s’ils souhaitent le remplacer, d’adopter une motion de défiance constructive indiquant le nom de son successeur ; encadrement des conditions de la dissolution anticipée de la Chambre des députés. En outre, comme en France, le gouvernement bénéficierait de prérogatives importantes dans la conduite des débats parlementaires, ce qui n’est pas le cas en Allemagne.
Reste à savoir si la rationalisation envisagée suffirait à garantir le bon fonctionnement des institutions, d’où l’importance de la future loi électorale pour permettre de dégager de véritables majorités de gouvernement.
Seul parmi les « sages », Gaetano Quaglieriello est favorable à un « Semipresidenziale » dont les contours restent à définir précisément. Auteur de plusieurs travaux universitaires sur le général de Gaulle, il insiste, notamment, sur la nécessité, dans cette phase difficile de la vie politique italienne, de garantir une forte légitimité démocratique et une capacité de décision adéquate au chef de l’Etat grâce à son élection au suffrage universel direct. Et, comme pour la Ve République, il considère que l’on doit d’abord choisir l’architecture institutionnelle avant de fixer la nouvelle loi électorale.
Des chances sérieuses d’aboutir
A la différence des travaux de la commission parlementaire bicamérale de 1997, la réforme institutionnelle en cours pourrait aboutir, car elle est portée, cette fois, par un gouvernement de grande coalition. En outre, le président Napolitano dispose, pour surmonter les éventuels blocages des partis, de deux armes politiques majeures : sa démission, qui risquerait d’aboutir à la paralysie institutionnelle ou la possibilité de dissoudre le Parlement.
Quel que soit le modèle retenu, il semble acquis que le bicamérisme égalitaire sera abandonné et la deuxième Chambre transformée en un Sénat des régions fonctionnant sur le modèle du Bundesrat allemand.
Néanmoins, comme à son habitude, le laboratoire politique italien pourrait encore réserver bien des surprises.
Jean-Félix de Bujadoux
Crédit photo : Flickr, just.Luc
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