L’orthodoxie monétaire récusée par les faits ?

Fondapol | 29 octobre 2012

5858059202_a15811ccc6Les dernières décisions de la BCE et de la Fed sont une entorse supplémentaire à l’orthodoxie monétaire. Après 30 ans d’orthodoxie monétaire, le discours est à l’activisme monétaire et à la monétisation de la dette. Un retournement inédit du mainstream en la matière. Milton Friedman doit se retourner dans sa tombe !

L’orthodoxie monétaire à l’épreuve de la crise monétaire et financière européenne

Après 30 ans de bons et loyaux services, il aura fallu une crise bancaire et financière et une crise de la dette publique pour enterrer l’orthodoxie monétaire. La Fed nous avait déjà habitués depuis le début de la crise des subprimes à des atteintes régulières à travers les différents rounds d’assouplissement monétaire avec la décision d’opter pour un  round de Quantitative Easing. La Banque Centrale Européenne a résisté plus longtemps aux chantres de l’activisme monétaire malgré un contexte économique difficile suite à la crise bancaire et financière. Mais la crise de la dette souveraine européenne a eu raison de son conservatisme monétaire. Pour Mario Draghi, désormais  la monétisation de la dette pourra être utilisée en dernier ressort et sous conditions – afin d’alléger la pression des marchés sur les taux d’intérêts auxquels les états en difficulté empruntent et améliorer la liquidité sur le marché secondaire de la dette souveraine. Cette annonce est une atteinte supplémentaire portée à l’indépendance pourtant si enviée de la Banque Centrale Européenne après les premières opérations de rachat sans décote de titres de la dette grecque pendant l’été 2010 et les programmes de refinancement à long terme de l’hiver dernier. En effet, par sa constitution, la Banque Centrale Européenne jouit d’un degré d’indépendance inégalé et renforcé par le mandat « hiérarchique » qui préside sa gestion. L’objectif premier de son mandat est la stabilité des prix et celui-ci prime sur la croissance et l’emploi. Il est vrai que l’indépendance n’est pas garante d’une politique monétaire assurant la stabilité des prix, le cas de la FED l’illustre bien. Il n’empêche que le principe de l’interdiction de monétiser les déficits publics inscrit dans la constitution de la BCE la préservait des pressions politiques. Cependant,  Même si les dirigeants de la BCE nous expliquent que la décision prise lors de la réunion du 13 septembre 2012 n’est pas une remise en cause de la primauté de la stabilité des prix, il est cependant difficile de les croire notamment  parce que les récentes estimations de l’inflation font déjà état d’une inflation proche de 2,6%

Automatisme des règles de gestion monétaire, crédibilité  et stabilité des prix…

La montée en puissance de la théorie monétariste dans les années 70 a transformé les politiques monétaires dans les années 80 et a été à l’origine du mouvement d’indépendance des banques centrales sur le plan international. Les maîtres mots étaient stabilité et prédictibilité de la politique monétaire afin d’établir la crédibilité de la banque centrale. Dans le contexte inflationniste des années 70, il semblait urgent de pouvoir définir des règles de politique monétaire qui stabilisent  les anticipations d’inflation des acteurs économiques et qui permettent d’assoir la crédibilité de la banque centrale. La même préoccupation – chère à l’Allemagne – a façonné les discussions qui ont conduit au projet de l’Euro et à la constitution de la BCE. Le consensus était alors unanime : l’activisme monétaire n’a pas d’effet sur la croissance à long terme et pas davantage à court terme. Au mieux la monnaie est  neutre : elle ne crée pas de richesses mais en revanche nourrit des illusions qui retardent les réformes structurelles. Au pire la création monétaire provoque des distorsions dans le système des prix qui conduisent les acteurs économiques – les entreprises comme les ménages – à prendre des décisions erronées à l’origine d’une déformation de la structure de production et du phénomène de « malinvestment ». Les dommages créés par une politique d’argent facile vont être longs à corriger puisque dès lors que la politique monétaire se resserre, tous les investissements réalisés grâce à l’argent facile ne sont plus rentables et c’est ainsi que des pans entiers de l’activité sont remis en cause.  Ainsi, les politiques monétaires accommodantes se terminent toujours mal : inéluctablement l’inflation s’accélère et s’accompagne de récession et d’instabilité économique.

La déflation, un prétexte pour remettre la politique monétaire sur le devant de la scène

Evidemment l’argument de poids aujourd’hui consiste à dire que comme il n’y a pas d’inflation mais plutôt de la déflation consécutive à la crise monétaire et financière, les politiques monétaires d’injection massive de liquidités ne remettent pas en cause l’objectif de stabilité des prix. Ceux-là même qui prêchaient hier pour une banque centrale européenne indépendante assortie d’un mandat hiérarchique sont les mêmes qui vous disent qu’aujourd’hui il n’y a plus de lien entre quantité de monnaie et inflation. La théorie quantitative de la monnaie est morte : vive la théorie quantitative da la monnaie ! Les liquidités injectées dans l’économie ne provoquent pas de dommage. Aux Etats-Unis sur les 2800 milliards de $ injectés depuis le début de la crise, 1 500 milliards dorment dans les comptes de la FED puisque les banques commerciales préfèrent les y laisser pour éviter les risques et garantir leur liquidité. Dans le cas de la zone Européenne, la situation est similaire même si le montant des injections totales est inférieur. Pour autant, penser que les injections n’ont pas d’impact, c’est paradoxalement croire en la neutralité de la monnaie et c’est oublier que ces injections empêchent les prix de baisser ce qui revient à ne pas laisser s’effectuer les ajustements réels nécessaires. Cette politique provoque les mêmes distorsions dans le processus de production et d’allocation des ressources qu’un processus inflationniste. Il est vrai que la déflation a toujours été perçue négativement alors qu’elle peut être vertueuse lorsqu’elle résulte d’une forte hausse de la productivité dans un contexte où la quantité de monnaie reste inchangée – phénomène courant au 19ème siècle du temps de l’étalon or où dès lors que la croissance économique dépassait la celle du stock d’or, il s’en suivait une baisse du niveau général des prix.

Alors qu’arrive-t-il aux responsables des banques centrales majeures et aux économistes qui les soutiennent? Ont-ils tout simplement tourné le dos au principe monétariste et enterré 30 ans de réforme institutionnelle des banques centrales qui ont œuvré en faveur de leur indépendance et qui a contribué à les isoler des pressions politiques et du cycle politique?  Croient-ils sérieusement que les différents programmes d’assouplissement monétaire et les décisions qui viennent d’être prises d’injecter des liquidités sans limite pour des raisons différentes auront un impact autre que celui de générer des bulles spéculatives sur les marchés ? Les investisseurs ont raison de se réjouir de ses nouvelles à court terme puisque ce sont des garanties données à la valeur de certains titres sur le marché mais pour combien de temps ? Les opérateurs contrairement aux économistes mainstream croient-ils vraiment en la théorie de la non-neutralité de la monnaie ?

Nathalie Janson.

Crédit photo : Images Money

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