Mai 68 : quelles conséquences pour les partis ?

Fondapol | 23 mars 2012

Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.), Les partis à l’épreuve de 68. L’émergence de nouveaux clivages, 1971-1974, Rennes, PUR, 2012.

Tectonique des partis

L’étude des mutations que les partis ont subies ces dernières décennies offre un moyen pertinent d’entrer dans l’histoire politique. Ces transformations sont internes à chaque formation, mais ont également redéfini les systèmes d’alliance ou les rapports entre les partis et la société civile. A cet égard, Mai 68, matrice de nouvelles valeurs et de nouvelles formes d’organisation, a constitué un choc pour les partis institutionnalisés, notamment gaulliste et communiste. Le mouvement a également conduit à l’apparition de nouvelles questions et d’une nouvelle manière de faire de la politique dont nous sommes aujourd’hui les héritiers. C’est pour rendre compte de l’ensemble de ces évolutions issues de Mai que s’est tenu les 2 et 3 février à Rennes, le colloque intitulé « La mutation du système partisan français après Mai 1968 : printemps 1971-automne 1974 », dont les actes ont été publiés aux Presses Universitaires de Rennes.

Une extrême-droite télévisuelle

Paradoxalement, l’extrême-droite, pourtant ennemie virulente de mai 68, en a intégré les conséquences, notamment la médiatisation de la vie politique. Aujourd’hui, la surexposition de Marine le Pen donne l’impression d’un changement stratégique notable : volonté de normalisation, de « dédiabolisation » conjointe à une centralisation renouvelée autour de la figure du chef. L’utilisation des instruments médiatiques ne datent pourtant pas d’hier. Ce que l’étude de l’extrême-droite révèle entre 1968 et 1974, outre la naissance du Front national le 5 octobre 1972, c’est l’établissement extrêmement précoce et pourtant perpétuel d’une stratégie de candidat permanent jouant des ressources médiatiques pour promouvoir sa personne. Il insiste notamment dans la campagne présidentielle de 1974 sur l’importance de la télévision pour un parti qui dispose de peu de moyens et peut par là-même toucher un nombre de personnes sans commune mesure avec ce qui pourrait se faire à l’occasion d’un meeting. C’est autour d’une figure publique centrale, toujours en campagne, que va désormais s’organiser le Front national.

La naissance de l’écologie politique

Un autre trait marquant des mutations partisanes post-68 est l’apparition dans le champ politique d’un nouveau courant, d’abord marginal, sensibilisé aux problèmes environnementaux mais aussi à la question du nucléaire et à celle de la consommation. Mais c’est l’élection présidentielle de 1974 marquera l’acte de naissance de l’écologie politique. René Dumont, premier candidat écologiste, ingénieur agronome au pull rouge et aux idées vertes, y développera un style et des idées nouvelles. Moins guindé, plus ouvert, il insistera sur les questions agricoles, énergétiques, et le développement durable (le rapport du Club de Rome, The Limits to growth, date de 1972). Il déterminera à cette occasion une identité politique dont les écologistes ne se sont toujours pas séparés. Leur action est marquée par une certaine permanence idéologique et organisationnelle de 1974 à Europe Ecologie-Les Verts. À noter également que la phase d’entrisme opérée par les trotskystes prend place après les élections présidentielles de 1974.

Le changement, c’est maintenant

Les socialistes seront profondément bouleversés par les conséquences immédiates de Mai. Dans les années qui suivent 68, un climat de contestation général s’installe notamment marqué par les revendications d’autogestion. La multiplication des grèves est la manifestation de cette volonté de prise directe du pouvoir par les salariés, que les syndicats traditionnels, CGT en tête, n’ont pas toujours réussi à prendre en charge. Plutôt qu’un projet structuré issu des organisations traditionnelles, l’autogestion est davantage une aspiration spontanée dans « l’air du temps », que l’on retrouvera par exemple parmi les membres du PSU [1]. Si ce mouvement suscite la méfiance des ténors socialistes, notamment au moment de la signature du programme commun, la grève de l’horlogerie LIP, qui a eu lieu en 1973, sert de caisse de résonance aux idées autogestionnaires qui se diffusent alors dans les rangs socialistes. L’exercice du pouvoir par le PS à partir de 1981 sonnera cependant le glas d’un des velléités autogestionnaires qui s’étaient répandues dans l’appareil militant.

68, un renouveau politique

Ce qui domine à la lecture des actes du colloque de Rennes, c’est l’impression donnée par les partis gaulliste et communiste d’être dépassés par ces innovations. La difficile adaptation de ces deux partis hégémoniques depuis l’après-guerre aux nouvelles exigences constitue ainsi un des facteurs explicatifs de l’élection de Valérie Giscard d’Estaing en 1974 puis de celle de François Mitterrand en 1981.

68 conduira aussi au « décentrement » de la vie politique française qui intégrera de nouvelles questions transverses et se fera l’écho de nouveaux combats comme celui de la dignité des femmes. C’est enfin un temps de remise en cause systématique de l’ensemble des valeurs qui avaient constitué le socle commun de la vie politique française. Le colloque permet donc d’apprécier l’ampleur de cette seconde naissance de la Ve République dix ans après 1958, marquée par les excès d’une remise en question généralisée mais aussi par l’émergence de nouveaux sujets (écologie, femme, autogestion, renforcement de la démocratie, place des jeunes) qui constituent encore des enjeux majeurs du débat politique.


[1] Parti socialiste unifié, conduit à l’époque par un certain Michel Rocard.

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