Misère de l’athéisme en démocratie libérale

15 février 2012

Une écriture pédagogique

Le premier mérite de ce livre composite est sa grande facilité de lecture. L’auteur, probablement en raison de son passage à la radio (plus de 300 heures d’émissions d’histoire de la philosophie programmées sur France culture) a acquis une prose limpide, simple, qui ne s’embarrasse pas de termes abscons sans pour autant tomber dans le simplisme. Dans l’entrecroisement des textes rassemblés dans cet ouvrage, à défaut de système, un discours cohérent peut être dégagé. Philippe Nemo fait notamment état de l’échec de l’athéisme comme information du monde et du rapport intime qu’entretiennent libéralisme et catholicisme.

Heurs et malheurs de l’athéisme moderne

Selon l’auteur, tout au long du XIXème siècle, l’athéisme a connu plusieurs déclinaisons successives qui ont toutes échoué à remplir le contrat qu’elles s’étaient fixé. L’auteur distingue six variantes successives de l’athéisme : « le positivisme et le scientisme », la « recherche d’une vérité historico-critique », la « recherche d’un absolu philosophique », la « recherche d’un absolu artistique », les « résurgences du sacré païen et les syncrétismes », les « millénarismes laïcisés [1]». L’argumentation de Nemo vise à démontrer l’incomplétude de chacune de ces solutions, insistant particulièrement sur l’échec des millénarismes laïcisés, ultime variante de l’athéisme, qui aurait apporté « sur Terre non le paradis mais l’enfer » (p. 25).

En contrepoint, l’auteur se réclame des auteurs dont la pensée comble selon lui le vide métaphysique et éthique laissé par l’athéisme « Emmanuel Levinas, Paul Ricoeur, Jean-Luc Marion, René Girard, Michel Henry, Christian Jambet… » (p. 26.). Aux yeux de Philippe Nemo, « le vrai problème n’est pas la valeur des savoirs produits par les Lumières et de ceux que nous héritons des religions, mais l’opposition entre deux visions du monde, l’une, païenne close sur le monde tel qu’il est, l’autre, biblique, ouverte sur une perspective éthique et eschatologique qui oblige à le transformer » (p. 58). C’est en effet en refusant de demeurer dans la « paix de Babylone », comme le dit Saint Augustin, mais en visant davantage à la paix de l’autre monde que l’homme prend en charge une éthique, découlant du péché originel, blessure irrémédiable mais rémissible. C’est donc en fonction d’un rapport à la souffrance et au mal que s’établit pour l’auteur non pas la supériorité de la religion mais sa vérité.

« Libéralisme et christianisme »

Philippe Nemo consacre le plus vaste chapitre de son ouvrage au rapport entre le christianisme et cette pensée profondément moderne qu’est le libéralisme. L’auteur, contrairement à certaines idées reçues, affirme que « non seulement le libéralisme est compatible avec le christianisme, mais qu’il est directement ou indirectement jailli de ce dernier » (p.73.) Et de poursuivre : « je pense que c’est la Révélation biblique qui a produit peu à peu, dans le monde méditerranéen et européen, les profondes transformations sociopolitiques qui devaient finalement aboutir aux démocraties libérales modernes ».

D’où vient la prétendue contradiction entre libéralisme et christianisme ? Le libéralisme serait constitué de trois strates : à la recherche de la liberté comme valeur en soi auraient succédé l’aspiration à la liberté comme vecteur de progrès puis la liberté comme moyen de servir la charité, ce que Levinas appelle « être responsable de l’autre ». En réalité, seul le premier niveau est fondamentalement hermétique au christianisme[2], les deux autres lui reconnaissent un droit de cité important, le troisième allant jusqu’à affirmer leur parenté. Ce lien intime entre libéralisme et christianisme établi, l’auteur dénonce l’erreur voire la malhonnêteté de ceux qui refusent de reconnaître les racines chrétiennes de l’Europe et donc la part d’héritage biblique reçu par les démocraties libérales européennes.

En dehors de la religion, point de salut ?

À l’origine de l’ensemble de son argumentation, l’une des prémisses avancée par l’auteur établit que le christianisme est, parmi les schémas de pensée « le seul à receler la vérité qui importe le plus à la vie humaine »[3]. S’il n’affirme aucunement qu’il n’existe pas de vérité en dehors du christianisme, ce dernier excède selon lui les autres vérités pour la bonne raison qu’il est « une doctrine essentiellement ouverte ». Au-delà des vérités terrestres et conjoncturelles, il nous offre une vérité transcendante, seule norme véritablement universelle qui répond au problème que nous pose le « Mal absolu ». L’auteur illustre son propos d’une très belle phrase : « Que nous ne soyons décidément pas des « êtres », mais des « autrement qu’être », pour reprendre la formule tranchante de Levinas, est confirmé par le fait que nous ne pouvons respecter la vie que si nous savons qu’elle a une origine et une destination transcendantes » (p. 148.)

Une question primordiale demeure cependant : « d’où parle l’auteur » ? Son propos s’apparente au témoignage de l’homme sauvé du péché par la grâce. On pourrait lui objecter que celui qui ne croit pas n’en est pas moins sujet au bien. Le grand problème du présupposé de l’ouvrage est qu’il exclut tout agnostique et a fortiori les athées de la faculté du don absolu de soi. Il réactive en quelque sorte la vieille preuve par l’absurde de l’existence de Dieu, qui établit l’impossibilité structurelle pour l’incroyant d’être pleinement vertueux. La charité, seule capable de donner sens au progrès, est-elle l’apanage du chrétien ? Ne peut-on opposer à cette conception exclusive la figure du bon Docteur Rieux dans La Peste, qui joint l’athéisme à la bonté ?

Jean Senié


[1] Pour ce dernier on notera une approche conceptuelle nettement différente que celle envisagée par Emilio Gentile dans Les Religions de la politique. Entre démocraties et totalitarismes, Paris, Seuil, 2005.

[2] Philippe NEMO, La belle mort de l’athéisme moderne, Paris, PUF, 2012, p. 102-103.

[3] Ibid., p. 10.

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