"niches fiscales" : ce que dit le rapport des Finances
Fondapol | 05 septembre 2011
Un rapport retentissant
Le récent rapport du « Comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales » aura eu un retentissement médiatique et politique peu commun pour un document aussi volumineux (356 pages sans les rapports annexes), austère et difficile d’accès. Crise des dettes souveraines et perspectives électorales ont rendu, il est vrai, le sujet des fameuses « niches fiscales » des plus brûlants. Et ce dans le contexte d’un Etat aux abois financiers qui se demande où prélever les milliards indispensables à la réduction d’un déficit chronique. Notre culture politique, où la dénonciation des « privilèges » du voisin n’a d’égale que la défense des siens propres, a fait le reste, suscitant la multiplication des commentaires, où confusions, amalgames et sélectivité ont fait bon ménage.
Des commentaires confus et sélectifs
Sur l’auteur précis de ce rapport (non la seule Inspection des finances mais un comité de hauts fonctionnaires de Bercy), sur le nombre exact des niches évaluées (400 ? 500 ?), sur leur nature (« dépenses » fiscales » et « niches » sociales, distinction oblige), sur le résultat global de cette évaluation comme sur l’appréciation de telle ou telle mesure, les versions ont différé : 10 milliards de dépenses inutiles ? 15 ? 53 ? Voire 104 ? Et les uns de mettre en avant la mise en cause des avantages de la Corse et de l’Outre-mer, d’autres ceux des retraités, d’autres encore les mesures phares du quinquennat : détaxation des heures supplémentaires, TVA sur la restauration, services à la personne, intérêts des emprunts immobiliers… Avec des considérations politiques antagonistes, le uns voyant dans le rapport des Finances « du grain à moudre pour le gouvernement », les autres « des arguments pour l’opposition ». Mais la plupart des commentaires se sont retrouvés sur un point et sur un mot : « l’inefficacité » de nombreuses et souvent très substantielles « niches », qu’aurait démontrée l’analyse des hauts fonctionnaires.
Logique économique ou logique financière ?
De quoi donner l’envie de se plonger dans le document lui-même. Encore faut-il commencer par la méthodologie de cette enquête (538 mesures « étudiées » dont 385 « évaluées » pour un total de 104 milliards d’euros) qui repose sur une distinction subtile mais capitale entre efficacité et efficience. Comprendre, sous le premier terme, la mesure de la réalisation de l’ « objectif poursuivi » et de l’ « effet recherché » et, sous le second, une série de quatre critères à la fois financiers (coût total de la mesure) et techniques (pertinence et cohérence de l’instrument retenu). Le raisonnement central est le suivant : l’efficience d’une mesure n’est étudiée que si son efficacité est d’abord assurée : à défaut, elle reçoit le score de 0. Si elle est efficace, les critères d’efficience lui sont alors appliqués, conduisant à une évaluation allant de 1 (peu efficient) à 3 (très efficient). Application faite selon la règle suivante : « lorsqu’au moins un de ces quatre critères d’efficience manque expressément, l’évaluateur a donné à la mesure un score égal à 1 ou 2… en fonction de sa conviction, à l’issue de l’exercice d’évaluation et de l’importance qu’il attribuait au(x) critère(s) manquant(s). Pour cela les évaluateurs ont notamment attaché une importance supérieure au coût de la mesure par rapport à son efficacité »[1]
Choix sans ambiguïté –mais non sans subjectivité- qui détermine naturellement le résultat final de l’évaluation :
« 19 % des mesures évaluées sont considérées comme inefficaces ; parmi les autres mesures qui ont un impact économique réel, 47 % sont jugées peu efficientes (score de 1), au regard de leur coût trop élevé ou de leur mauvais ciblage, par exemple, tandis que 34 % sont considérées comme pleinement ou relativement efficientes (score de 2 ou 3) » [2].
Logique financière ou logique comptable ?
Autrement dit : les critères strictement financiers et techniques l’emportent en quantité et en autorité sur les considérations économiques, ce qui, après tout, ne saurait surprendre dans un document rédigé par les responsables de nos finances publiques ! Mais ce qui doit nous garder de certains contre-sens. Ainsi, et contrairement à ce que l’on a pu lire ici ou là, la détaxation des heures supplémentaires comme les services à la personne (score de 1), sont bel et bien efficaces ; mais elles sont peu efficientes fiscalement.
La minoration des considérations économiques va parfois très loin : ainsi lorsqu’ examinant la détaxation des heures supplémentaires, (9,4 millions de bénéficiaires !), le comité demeure très critique sur la mesure dont il souligne les difficultés d’évaluation, notamment en raison de « caractéristiques mal connues comme la sensibilité de l’offre de travail à sa rémunération »[3]. Vraiment si « mal connue » des économistes ? Et si oui, n’aurait-il pas mieux valu s’abstenir de noter la dite mesure ?
Plus grave est l’incertitude qui entoure la recommandation centrale du rapport, préconisant la suppression des niches les moins utiles. Suppression dont « l’impact négatif sur l’activité serait donc réduit » dit le comité[4]…tout en reconnaissant par ailleurs qu’ «’il ne s’agit que d’un chiffrage statique qui ne prend pas en compte, notamment… les éventuels changements comportementaux des contribuables ciblés dans l’hypothèse d’une suppression ou d’une modification de la mesure.« [5] Logique comptable, quand tu nous tiens !
Supprimer les niches ?
Et, à tous ceux qui en appellent, enthousiastes, à la suppression rapide des niches véritablement inefficaces (score 0, soit 15 milliards d’euros au total), nous conseillons d’en consulter la liste précise (annexe IV du rapport): mesures en faveur des personnes âgées, des anciens combattants, des agriculteurs, des familles, et… des handicapés [6] qui, dans leur quasi-totalité, reçoivent un 0 pointé ! Adieu aussi à nos chèques vacances et autres tickets restaurant…
Bon courage donc aux audacieux, surtout s’ils ont le coeur social! Dans chaque niche fiscale il y a un chien prêt à mordre, dit l’adage : à vrai dire, c’est une faune très variée et parfois très fragile qui y trouve refuge. Le Comité, lui, a eu la prudence de ne pas évaluer les avantages accordés aux journalistes et aux élus, malgré un enjeu de 200 millions d’euros…
Un rapport utile
Est-ce à dire que par sa complexité, ses choix méthodologiques et sa faible prise en compte des dynamiques économiques, ce rapport s’avère, au final, inutile et incertain ? Nullement : le travail est colossal et les enseignements précieux y abondent : ainsi du poids excessifs des critères de statut et d’âge dans notre réglementation fiscale ; ainsi encore des excellentes évaluations (score 3) données aux allègements de charges sur les entreprises (exonération des bas salaires, crédit d’impôt recherche, et même le très contesté bénéfice mondial consolidé !). L’on est également frappé par l’honnêteté intellectuelle quant aux limites inévitables de l’enquête menée et la forte préoccupation d’équité entre les contribuables et de protection des plus faibles qui animent l’ensemble du rapport.
Le point aveugle de notre fiscalité
Demeure une question majeure, véritable point aveugle de notre législation fiscale, où pourrait bien se loger la plus immense niche qui soit : l’exonération de près d’un foyer fiscal sur deux de l’impôt sur le revenu.
Situation qui a pour effet de placer notre politique fiscale dans l’étau d’un double bind : soit la surtaxation d’une minorité de contribuables dans un pays où, fait trop peu mentionné, 1% d’entre eux acquittent 37% de l’impôt sur le revenu ; avec tous les effets pervers que l’on connaît, en termes économiques mais aussi financiers : « trop d’impôt tue l’impôt », faut-il le rappeler ? Soit inversement, la multiplication des niches, qui s’expose aussitôt au reproche d’iniquité puisque, par définition, les non-imposables n’en profitent pas… Raisonnement curieux, en vérité, que l’on entend souvent dans le débat politique et que reprend à son compte le rapport des Finances.
Raisonnement qu’il serait grand temps d’inverser, en s’inquiétant d’abord de la faible assiette globale de notre fiscalité sur le revenu et de la lourdeur excessive du coût du travail pour les entreprises.
Christophe de Voogd est responsable du blog « trop libre »
Crédit photo : Google Images, Santenard
[1] p.16 et schéma du raisonnement p.17
[2] P.22
[3] P.32
[4] p.58
[5] Voir sur ce point l’analyse de l’IFRAP : http://www.ifrap.org/Les-niches-fiscales-qu-il-faut-supprimer,12267.html
[6] La politique du handicap est qualifiée d’ « empilement très hétérogène de dispositifs », p.106.
Aucun commentaire.