Paname ! Paname ! Où es-tu ?
04 décembre 2013
Paname ! Paname ! Ou es-tu ?
Paris sans le Peuple. La Gentrification de la Capitale, Anne Clerval, La Découverte, septembre 2013, 256p, 24€
La gentrification est un terme qui se banalise. Issu des milieux de recherche anglo-saxons, il commence aujourd’hui à investir les discours des dirigeants politiques français. Mais que signifie-t-il réellement ? Quelles sont les implications de son usage pour décrire l’évolution de Paris ? En cherchant à répondre à ces deux questions principales, Anne Clerval nous donne l’occasion de revenir sur les transformations sociologiques de la capitale française à la veille des élections municipales.
La gentrification : un embourgeoisement spécifique des quartiers populaires
Issu du terme anglais « gentry », que l’on peut traduire par « bourgeoisie », la gentrification désigne le processus par lequel un quartier qui ne présente à l’origine aucune caractéristique bourgeoise se voit peuplé de nouveaux arrivants appartenant à la classe supérieure. Le résultat n’est pas pour autant la reproduction exacte des dynamiques des quartiers bourgeois –puisque, on le verra, les « gentrifieurs » ne sont pas directement issus des milieux les plus favorisés –mais plutôt la constitution d’une nouvelle identité de quartier, avec ses habitudes et ses revendications propres.
Anne Clerval adopte d’emblée une perspective historique en rappelant que l’embourgeoisement des espaces parisiens n’est pas un phénomène nouveau. Les travaux du baron Haussmann, dans la seconde moitié du XIXème siècle, participent déjà cette logique de valorisation de la capitale par son embellissement. Toutefois le mouvement s’est accéléré avec la désindustrialisation progressive qui a provoqué un changement profond dans la structure des emplois parisiens : ainsi on remarque dès la seconde moitié du XXème siècle une hausse considérable de la part des emplois de cadres et professions intellectuelles supérieures, très diplômées, et un déclin très net des emplois ouvriers. La gentrification s’explique donc d’abord et avant tout par la tertiarisation de l’économie de la ville.
Un autre facteur économique va accélérer le processus : la déréglementation des loyers, votée dans les années 1980, qui relance la spéculation immobilière. La gentrification, par la réhabilitation de bâti ancien, devient donc lucrative et attire les promoteurs immobiliers dans des zones qu’ils n’avaient pas encore investies. Les pouvoirs publics ne sont pas tout à fait absents : en plus d’avoir amorcé la libéralisation du marché de l’immobilier parisien, la Ville met en place des programmes de soutien à la réhabilitation privée, qui favorisent la revalorisation du patrimoine et améliorent considérablement l’attractivité de certains quartiers.
Acteurs et étapes de la gentrification
Le phénomène de gentrification est ensuite analysé plus en détail : il s’agit dans un second temps de mettre à jour les étapes de la gentrification ainsi que ses acteurs. Les premiers cités sont les promoteurs immobiliers, qui s’engouffrent dans la brèche de ce que l’auteur qualifie de « différentiel de rente », c’est-à-dire une sous-évaluation des prix du foncier particulièrement importante dans les quartiers populaires. « La mise en œuvre de la gentrification au niveau local découle donc avant tout d’une opportunité immobilière » (p. 92). Cette opportunité se matérialise dans un second temps en réponse à la demande de ménages qui, contraints par un faible capital économique mais ne souhaitant pas abandonner le centre-ville –souvent pour des raisons symboliques- se rabattent sur les quartiers populaires. Ces derniers, héritiers de la contre-culture et plus à même d’idéaliser la culture populaire à laquelle ils vont se confronter, sont identifiés comme les acteurs principaux de la gentrification. Ils sont accompagnés dans leur mouvement par de nouveaux commerçants qui, aussi dans une logique d’opportunités économiques, investissent dans des quartiers en voie de réhabilitation.
Enfin, la gentrification n’est pas décrite comme un processus homogène mais décalé selon les quartiers : ainsi le Marais serait le premier quartier à avoir subit une gentrification parvenue à son terme ; les mêmes dynamiques étant aujourd’hui à l’œuvre dans des zones comme Belleville ou encore, de façon plus retardée, à Château Rouge ou à la Goutte d’Or (XVIIIème arrondissement).
Les nouveaux rapports sociaux : « petite bourgeoisie intellectuelle » contre classes populaires
Dans une dernière partie, Anne Clerval décrit les nouveaux rapports sociaux engendrés par le phénomène. Elle catégorise d’emblée les « gentrifieurs » selon les critères de la « petite bourgeoisie intellectuelle », nouvelle classe intermédiaire qui sortirait des schémas de la classe moyenne par son fort capital culturel mais ne rejoindrait pas la grande bourgeoisie du fait de son faible capital économique. La présence de ce groupe social dans les quartiers populaires ne remettrait pas en cause, selon la chercheuse, les schémas de domination, bien au contraire : la mixité sociale dont ils se targuent tant ne serait qu’une excuse dans le but de déposséder les dominés de leurs maigres biens –un logements et, surtout, une solidarité de quartier – d’autant plus condamnable qu’elle ne se vérifie pas puisque les gentrifieurs ne se fréquentent exclusivement qu’entre eux.
Car c’est bien là l’ambition de l’auteur par cette étude bien peu scientifique au final : dénoncer un processus au nom d’une idéologie marxiste vieillissante. S’il faut louer la précision du travail entrepris, l’orientation du propos est à déplorer. On y retrouve tous les schémas du marxisme classique : le rôle des pouvoirs publics, instruments de domination aux mains de la classe dominante, qui loin d’enrayer le processus de gentrification le favorise du fait notamment d’une connivence de classe entre gentrifieurs et membres du Conseil de Paris (p. 171). Il est intéressant par ailleurs de constater que Anne Clerval regrette l’absence de conscience de classe des couches populaires, rendues incapables de lutter contre un phénomène qui pourtant les asphyxie. On croirait entendre Marx lui-même concéder dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1852) que la Révolution tardera à arriver.
Toutefois au delà de ces considérations idéologiques, on peut légitimement se demander s’il est pertinent de voir la gentrification selon un angle nécessairement négatif. L’embellissement du bâti, par exemple, ou l’éradication d’îlots d’insalubrité à laquelle elle contribue largement sont des éléments nécessaires à l’attractivité tant économique que touristique de la Ville la plus visitée au monde. En bref, s’il est évident que les plus défavorisés font face à de nombreuses difficultés -la première étant celle de se loger- qu’il est impératif d’affronter, il est aussi certain qu’elles ne seront pas résolues par une lutte vaine contre un phénomène inéluctable, et dont les retombées peuvent être bénéfiques tant pour la Capitale que pour ses habitants.
Louise Thin
Crédit Photo: Flickr: 1la
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