Philosopher aujourd’hui : à la quête d’une sagesse contemporaine

Joséphine Staron | 06 septembre 2015

 

philosopher aujourd'huiPhilosopher aujourd’hui : à la quête d’une sagesse contemporaine

Par Joséphine Staron

Luc Ferry, Sagesses d’hier et d’aujourd’hui, édition Flammarion, Paris, 2014, 25€

La quête du sens de la vie, de notre existence, des valeurs morales et politiques a été le fil conducteur de tous les mythes, religions et philosophies. Luc Ferry retrace, dans son ouvrage, le parcours de cette quête depuis les premiers mythes jusqu’à aujourd’hui. Bien sûr, 800 pages ne suffisent pas pour tout expliquer. Ferry assume dès le début ses choix d’auteurs et de courants de pensée, expliquant vouloir présenter, non pas un catalogue scolaire de ce qui s’est dit et ce qui s’est fait, mais bien plutôt une sorte de cartographie représentative de cette quête de sens qui traverse l’histoire de l’homme.

Loin de rester observateur, Luc Ferry n’hésite pas à donner son avis tout au long des chapitres. Dans le dernier qu’il intitule « Philosopher aujourd’hui, penser la mondialisation et la révolution de l’amour », il nous livre sa propre pensée quant au sens et aux valeurs qui, selon lui, façonnent et rendent intelligible le monde dans lequel nous vivons.

Au fond, qu’est-ce que la philosophie, sinon cette recherche constante de réponses aux questions existentielles que se posent les hommes, indifféremment du lieu et de l’époque dans lesquels ils se trouvent ? Ferry appréhende les différents courants de pensée philosophique à travers le prisme de ce qu’il appelle « la spiritualité laïque », ou comment faire sens universellement sans se référer à un Dieu ou une croyance religieuse. Au regard des difficultés que nos sociétés rencontrent aujourd’hui face à l’intégrisme et aux revendications religieuses de plus en plus prégnantes, cette question revêt une importance et une pertinence toute particulière.

Les chapitres étudient les auteurs et courants de pensée chronologiquement, montrant ainsi l’évolution logique entre les uns et les autres. Les questions auxquelles tentent de répondre les philosophes sont, de manière générale, assez similaires. Luc Ferry identifie trois grands axes de la philosophie pour constituer sa grille d’analyse : la Théorie (quelle Justice, quel sens, quelle conception du Bien ? etc.) ; la Pratique (quelles valeurs et pratiques morales ?) ; et la Sotériologie (quelle doctrine de la sagesse et de la vie bonne ?).

Ferry part de l’étude des mythes (l’Odyssée d’Homère ; l’épopée de Gilgamesh) pour montrer que toute la philosophie, mais aussi le christianisme, s’en inspire. Homère donne la première définition laïque de la « vie bonne », c’est-à-dire la vie qui nous rend heureux et sage : Ulysse est perdu depuis 20 ans et n’a de cesse que de retourner chez lui, auprès de sa femme et de son fils. Homère décrit un monde chaotique dans lequel Ulysse est immergé contre son gré. Il refuse l’immortalité et l’éternelle jeunesse que lui offre la déesse Calypso, préférant sa condition de mortel. Ainsi, Ulysse incarne l’humilité de l’homme face à la mort et surtout face à la vie : il ne peut être heureux qu’en retrouvant ceux qu’il aime.

La sagesse laïque consiste donc dans l’acceptation de la mort comme condition de la vie bonne. Les stoïciens, les épicuriens mais aussi Jésus et Bouddha, vont, tour à tour, définir les moyens pour atteindre cette sagesse. Ferry fait même dialoguer Bouddha et Gilgamesh au cours d’une rencontre fictive qui permet au lecteur de comprendre les liens indéfectibles entre toutes les théories du bien et de la vie bonne, des mythes à la philosophie, jusqu’à la religion.

Luc Ferry consacre un chapitre à « Jésus et la révolution judéo-chrétienne ». C’est en effet une révolution car, pour la première fois, l’homme n’est pas identifié à la nature, au cosmos (comme c’est le cas dans les philosophies grecques), mais au libre arbitre. La morale chrétienne de l’humilité, de l’égalité et de la liberté inspirera largement les morales laïques et républicaines. Ferry identifie même le républicanisme à un « christianisme sécularisé ».

Après avoir passé en revue une bonne partie des philosophies humanistes (Pic de la Mirandole), classiques (Descartes, Spinoza, Leibniz), des philosophies des Lumières (Rousseau, Tocqueville, Kant) et des philosophes du soupçon (Nietzsche, Marx, Freud, Heidegger, Sartre), Luc Ferry s’attaque à ce qu’il appelle « La pensée 68 », ou « les sixties philosophantes ». Il caractérise ce mouvement intellectuel particulier à la France comme « un climat de pseudo effervescence intellectuelle » avec « un discours un rien paranoïaque » dans lequel tout est remis en question, soupçonné et déconstruit.

Pour Ferry, il s’agit aujourd’hui de reconstruire la philosophie à l’aune des changements caractéristiques de notre époque. Les valeurs traditionnelles ont été déconstruites, laissant ainsi tout loisir à la société de consommation de s’installer durablement et à la mondialisation de transformer en profondeur les valeurs de nos sociétés. La pensée de Luc Ferry s’inscrit ainsi dans une critique constructive de la globalisation, avec pour perspective la même quête de sens qui n’a cessé de traverser toute l’histoire de la pensée.

crédit photo flickr Yvan LEMEUR

 

 

 

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