Plaidoyer républicain pour une Génération gueule de bois

Edern De Barros | 04 février 2016

gueule de bois républicainPlaidoyer républicain pour une Génération gueule de bois

Par Hadia Baïz et Edern de Barros

Génération gueule de bois. Manuel de lutte contre les réacs, de Raphaël Glucksmann, Allary Éditions, 2015, 170 pages, 16.90 €

L’ouvrage de Raphaël Glucksmann, Génération gueule de bois, est à la fois un plaidoyer républicain et un réquisitoire adressé aux « réacs » en tous genres. Il s’adresse d’avantage aux passions du lecteur qu’à la raison. En tant que « Manuel de lutte contre les réacs », il utilise la polémique, le combat idéologique contre les mouvements réactionnaires, à des fins politiques, pour réanimer les sentiments républicains de chacun dans une prise de conscience active de ce qui signifie être Français aujourd’hui. Il s’agit de redonner du sens au terme « politique », pour contrer le remplissage sémantique par une pensée antirépublicaine, d’un mot devenu vide de sens.

La gueule de bois : le choc du réel 

En 1992, le politologue Francis Fukuyama publiait La fin de l’histoire et le dernier homme, ouvrage où il développait l’idée du triomphe idéologique de l’Occident libéral et capitaliste après la chute du mur de Berlin. La vision géopolitique binaire du monde était à présent obsolète. Le monde marcherait dans un sens commun vers le progrès, sans véritable idéologie opposable capable de renverser cette marche inéluctable de l’histoire.

Cette thèse de la fin de l’histoire n’était que la traduction géopoliticienne d’une douce illusion dans laquelle toute une “génération vernie” avait grandie dans les années 1980 et 1990. En nous croyant à l’abri du déclin civilisationnel, parce que nous avions cru en notre « hégémonie culturelle », nous avons négligé ce qui constitue notre identité et notre force : la République. Or “en se figeant dans le marbre, notre République meurt”.

Les évènements de ces dernières années ont sonné le glas de ce doux rêve, et balayé le mythe de la fin de l’histoire. Les printemps arabes débutés en 2010, la crise politique en Géorgie avec la victoire électorale du parti réactionnaire « Rêve géorgien » en 2013, l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe et la restauration du califat islamique en 2014, ou encore les séries d’attentats de 2015, ont participé à la prise de conscience de la précarité de nos sociétés et de l’effacement du sentiment républicain. Ce réveil dans le réel, après l’ivresse du sentiment d’invulnérabilité, est comparable à la gueule de bois : apathiques et dépolitisés, nous n’étions pas prêts à faire face au retour de la politique et de l’histoire sur la scène nationale et internationale.

Génération gueule de bois. Manuel de lutte contre les réacsUne mobilisation républicaine contre les « réacs »

Le mythe de la fin de l’histoire avait asséché tout discours politique en proposant une vision du monde simpliste et déterministe. La politique n’était devenue qu’un synonyme de bonne gestion ou de bonne gouvernance. Or notre époque est un « interregnum », d’après l’expression d’Antonio Gramsci, c’est-à-dire une période de révolutions politiques où l’ancien modèle vertical s’effrite, et où les citoyens aspirent à plus d’horizontalités, sans véritable institutions adaptées. Si l’on ne propose pas une vision du monde à la hauteur des enjeux, on laisse « le FN kidnapper Gramsci », c’est-à-dire déployer un discours politique qui ait un écho, faute de rendre le nôtre audible.

Dans cette perspective, l’auteur ne tombe pas dans le piège du « choc des civilisations », théorisé par Samuel Huntington pour renverser la thèse de Fukuyama. Si l’on adopte ce paradigme, nous déplaçons la cause des problèmes ailleurs qu’en nous-même, alors que nous en portons l’essentiel de la responsabilité par manque de vision politique. Le péril est d’abord dans l’effritement du modèle cosmopolite républicain, et le salut est dans la reconstruction d’une conscience politique, car « quand Voltaire se tait, Le Pen et Al-Quaradâwi parlent ». Ainsi, en renvoyant dos à dos le fanatisme islamiste et la réaction identitaire sous le qualificatif de « grand bond en arrière », Raphaël Glucksmann propose un combat sur un seul front, par une réappropriation du contenu sémantique du terme « politique ».

Le sursaut français : produire un récit républicain

L’essai de Raphaël Glucksmann est nourri de l’expérience politique sur le terrain, et de ses échecs personnels en tant que conseiller. La gueule de bois est aussi une désillusion personnelle, un constat d’impuissance devant les succès électoraux des mouvements réactionnaires. En 2012 d’abord, il assiste à la défaite du Mouvement national géorgien face au parti réactionnaire Rêve géorgien. En Ukraine en 2013, soutenant le mouvement Maïdan pro-européen, il constate que son discours républicain auprès des responsables politiques se heurte à la réalité de l’invasion du pays par les troupes russes. C’est en amont par un travail d’éducation de toute une génération qu’il faut lutter contre les réacs, et non pas simplement en tant que conseiller politique.

Les manifestations des 10 et 11 janvier 2015 ont été un premier « sursaut français », une réaction contre les réactionnaires, avec la réaffirmation des valeurs républicaines dans la continuité de la philosophie politique des Lumières. Mais il ne s’agit pas d’être républicain par à-coup. Au contraire, « le civisme est un réveil qui ne cesse de sonner ». C’est un sentiment qui s’entretient au quotidien.

“Il est temps de redécouvrir que la République n’est ni acquise ni innée, qu’elle est une conquête, une construction politique, sociale, idéologique.”

crédit photo : flickr Rems116

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