Podemos, un renouveau de l’offre à gauche ?

Jean Sénié | 08 décembre 2015

podemosPodemos, un renouveau de l’offre à gauche ?

Par Jean Sénié

Podemos. Pour une autre Europe, de Christophe Barret, éditions du Cerf, 2015, 256 pages,  19€

À l’heure où se crée en France le « Mouvement Commun » à l’instigation du député Pouria Amirshahi[1], « un lobby citoyen » lorgnant du côté de l’Espagne et de Podemos[2], ce dernier connaît une relative perte de vitesse à la veille des élections législatives du 20 décembre 2015[3]. Cet apparent paradoxe – pourquoi copier aujourd’hui en France ce qui serait en difficulté en Espagne – invite à revenir sur la nature de Podemos, en prêtant attention à ses origines idéologiques et à son programme.

Le livre de Christophe Barret, Podemos. Pour une autre Europe, est éclairant à cet égard. L’auteur a réalisé de nombreux entretiens avec les dirigeants du mouvement et lu une grande partie de leur littérature produite. Il dresse ainsi un portrait de Podemos qui, s’il n’est pas dénué d’une certaine bienveillance, n’exclut aucune des ambiguïtés tant programmatiques que politiques que connaît aujourd’hui la formation de Pablo Manuel Iglesias.

Renouveler l’offre, une nécessité de gauche

Le mouvement Podemos s’enracine dans une double matrice. Il provient d’abord du choc et de la fascination ressentis par des intellectuels et des militants espagnols devant l’importance des mobilisations du mouvement des Indignés, ou Movimiento 15-M. A partir du 15 mai 2011, des centaines de milliers de personnes s’étaient retrouvés dans les rues espagnoles pour lutter contre l’austérité que connaissait l’Espagne depuis les élections générales de 2008. Ces grands rassemblements ont suscité un vif intérêt auprès d’intellectuels de gauche comme Pablo Iglesias, Juan Carlos Monedero, Íñigo Errejón, Ariel Jérez ou encore Alberto Garzón, qui y ont vu une demande politique nouvelle.

podemosLe mouvement se nourrit ensuite d’un écho qu’il faisait aux travaux de sciences politiques et d’économie des fondateurs de Podemos. Ils analysent, pour la condamner, la victoire d’une Europe « libérale » en termes gramsciens d’hégémonie culturelle. La victoire du libéralisme, et par là même des politiques d’austérité, découlerait d’une victoire dans la sphère culturelle. Le libéralisme ayant imposé les termes du débat – c’est-à-dire les échanges ne se déroulant plus que dans ses termes idéologiques – il convient de ramener le débat sur le terrain de gauche. Cette influence de Gramsci s’est opérée à travers le filtre de la référence du penseur argentin Ernesto Laclau[4]. On retrouve d’ailleurs la même connexion en France puisqu’un des meilleurs connaisseurs de Podemos[5], Gaël Brustier, qui a fait ressortir toute l’importance de la pensée de Laclau pour ce parti[6], a récemment publié un livre où il présente la pensée d’Antonio Gramsci et rappelle, pour la gauche, l’importance du combat culturel[7].

Ce groupe de professeurs de Somosaguas (Universidad Complutense de Madrid) et de militants, après avoir mis en évidence cette nécessité d’instaurer un bloc hégémonique, loin de rester inactif, s’est engagé et est pleinement entré dans la mêlée. C’est le point central de l’analyse de Christophe Barret : l’étude des formes que revêt l’action de Podemos, qui est extrêmement performante. Pablo Iglesias et les autres ont d’abord réussi à fonder un nouveau parti en prétendant répondre aux exigences de démocratie directe, de participation et de transparence que demandaient les électeurs espagnols[8]. Ensuite, ils ont mis en œuvre une importante stratégie de publication, et d’activisme médiatique, par exemple en créant leur propre émission la Tuerka qui connaît aujourd’hui un franc succès[9].

Demain Podemos, Ciudadanos ou le statu quo ?

Le livre ne fait l’impasse sur aucune des difficultés que rencontre aujourd’hui le mouvement Podemos. Sans s’arrêter à commenter ad nauseam les résultats du scrutin ayant eu lieu en Catalogne le 27 septembre[10], ni à rester le nez collé aux sondages, il est indéniable que Podemos se heurte à l’heure actuelle à des résistances. Sur le plan purement politique, il doit faire face à la résistance des partis politiques, et notamment du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol qui n’hésite pas copier, de manière flagrante, ses pratiques[11]. Il doit aussi proposer comment résister, sur le front du renouvellement de la classe politique, à un autre parti qui prône ces vertus, Ciudadanos, dans un autre registre idéologique[12]. Il ne faudrait pas imaginer un Podemos triomphant sur un champ politique dévasté !

Par ailleurs, le livre n’ignore pas les difficultés structurelles qui touchent Podemos. Il y a tout d’abord les changements dans l’appréciation portée sur le gouvernement d’Alexis Tsipras en Grèce : encensé dans un premier temps, il a ensuite fait l’objet d’un jugement de plus en plus mitigé de la part de la direction de Podemos. Syriza, présenté comme un parti frère, est désormais présenté comme une victime de l’Europe et de l’Allemagne[13].

Si, au niveau idéologique, Podemos condamne de manière claire l’Europe libérale et l’austérité, appelant de ses vœux une politique économique de redistribution des richesses, la réalisation de son projet et sa traduction dans un corpus programmatique, apparaîssent sujettes à caution. Christophe Barret analyse les questions que soulève, par exemple, le programme économique du parti qui a connu de nombreuses critiques. Il en va de même de sa vision européenne.

C’est l’intérêt du livre de Christophe Barret : il invite à regarder, étudier et aussi tirer les conséquences d’une scène politique qui, à l’heure actuelle, est peut-être le meilleur laboratoire pour observer les recompositions de la gauche anti-libérale[14]. Toute critique sérieuse de ces dynamiques politiques se devrait d’avoir à l’esprit ce qui se passe en Espagne avec Podemos.

[1] http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2015/10/31/le-depute-frondeur-pouria-amirshahi-veut-creer-un-lobby-citoyen_4800723_823448.html

[2] http://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/021451490712-mouvement-commun-le-podemos-a-la-francaise-des-frondeurs-du-ps-1173259.php

[3] http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2015/10/31/le-depute-frondeur-pouria-amirshahi-veut-creer-un-lobby-citoyen_4800723_823448.html

[4] BARRET Christophe, Podemos. Pour une autre Europe, Paris, Cerf, 2015, p. 48-52.

[5] http://www.slate.fr/story/97195/syriza-podemos-ambition-hegemonique

[6] http://www.slate.fr/story/98821/gauche-radicale-laclau

[7] BRUSTIER Gaël, À demain Gramsci, Paris, Cerf, 2015. On lira aussi avec profit, http://www.slate.fr/story/108273/victoire-culturelle-droite

[8] BARRET Christophe, Podemos. Pour une autre Europe, Paris, Cerf, 2015, p. 80-82.

[9] http://www.telos-eu.com/fr/vie-politique/podemos-linconnue-espagnole.html

[10] http://www.telos-eu.com/fr/vie-politique/espagne-du-scrutin-catalan-au-scrutin-national.html

[11] http://www.lopinion.fr/edition/international/en-espagne-socialistes-copient-podemos-mieux-contenir-90340

[12] http://www.lejournalinternational.fr/Ciudadanos-et-Podemos-la-nouvelle-approche-de-la-politique-espagnole_a3357.html

[13] http://www.contrepoints.org/2015/07/23/215152-echec-de-syriza-quelles-retombees-pour-les-partis-populistes-deurope

[14] http://www.lesechos.fr/monde/europe/021309264259-thomas-piketty-au-service-de-la-gauche-anti-liberale-espagnole-1153165.php

crédit photo : flickr Marta Jarabo González

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