Politique de la BCE : un pragmatisme monétaire de "bon aloi" !

30 octobre 2012

7027584837_6750e02f17Dans le but d’approfondir la réflexion intellectuelle autour de la politique monétaire de la BCE (et des enjeux qu’elle implique), une nouvelle analyse vient répondre à celle d’hier. Dans son article, Nathalie Janson pointait la mise à mal par la BCE de l’orthodoxie monétaire. Aujourd’hui, Christophe de Voogd présente une autre interprétation: Les décisions de la BCE sont marquées d’un pragmatisme requis par les circonstances exceptionnelles du moment.

Une avalanche monétaire contestée…

Devant l’avalanche de liquidités en provenance de la BCE après les décisions historiques de Mario Draghi, les inquiétudes se font jour dans les cercles monétaristes qui voient les piliers de l’orthodoxie ébranlés   : « illusion monétaire », risque inflationniste et donc contradiction avec la mission « hiérarchique » assignée à la BCE par les traités, la stabilité des prix ; menace sur son indépendance, tout aussi sanctifiée par les mêmes traités; inefficacité économique de cette avalanche de liquidités largement replacées illico par les banques auprès de la BCE…

Mais voilà : les keynésiens étant de leur côté furieux devant les « politiques d’austérité » qui ruineraient les Etats et les peuples, si contraires à la vulgate de leur grand homme,  le citoyen européen ne sait plus qui croire et à quel saint se vouer : Saint Friedman ou Saint Keynes ?.

Ces interprétations contradictoires de la politique européenne actuelle devraient tout de même nous interpeller et nous faire prendre nos distances avec des approches trop unilatérales. Lesquelles présentent également des contradictions internes : ce blog faisant régulièrement le procès des illusions keynésiennes, nous nous concentrerons ici sur les principaux arguments monétaristes

Fragilité des arguments juridiques

Ainsi de la mission prioritaire et de l’indépendance de la BCE qui seraient mises à mal par son nouveau cours. Il est d’abord essentiel de ne pas confondre les deux enjeux : La BCE peut très bien en toute indépendance choisir de pratiquer l’activisme monétaire. Davantage l’écarter  a priori serait se soumettre à l’Allemagne et aux pays du Nord : en quoi serait-ce une manifestation plus grande d’indépendance que d’écouter les sirènes du Sud?

Quant à la mission de la BCE , rappelons que l’aide indirecte aux Etats, par le rachat des dettes sur le marché secondaire, n’est nullement contraire aux traités (qui interdisent seulement leurs emprunts directs à la BCE). La BCE a en effet une mission multiple : « Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté, tels que définis à l’article 2 ». (article 105, paragraphe 1, du traité) « La Communauté se donne pour objectifs d’obtenir un niveau d’emploi élevé et une croissance durable et non inflationniste » (article 2 du traité sur l’Union européenne). Mission « hiérarchique » de stabilité monétaire donc, mais non exclusive. D’autant qu’une crise majeure de la zone euro entraînerait bel et bien l’instabilité externe de la monnaie.

 

… et économiques des monétaristes

Reprocher à la BCE de multiplier les liquidités et dénoncer en même temps le retour immédiat desdites liquidités à la BCE par des banques qui craignent de s’engager sur les marchés est contradictoire : si les liquidités reviennent à la BCE, en bonne logique monétariste elles n’alimentent pas l’inflation…

Enfin le triomphe des thèses monétaristes depuis les années 80 ne doit pas faire oublier que la dérégulation simultanée du système bancaire mondial a contredit l’effort de contrôle de la masse monétaire par les banques centrales, multipliant les bulles spéculatives qui constituent à juste titre le cauchemar des monétaristes.

Une politique d’urgence qui vise à rétablir la confiance

Or, pour le moment, l’objectif principal, dans une Europe qui n’est pas dans une spirale inflationniste, est de rétablir la confiance. Confiance dans le système bancaire qui a failli s’écrouler en 2008, fait quasiment oublié aujourd’hui ; confiance dans les Etats en mal de trésorerie (Italie, Espagne… et France) en permettant leur refinancement auprès des banques, à des coûts raisonnables : or les émissions récentes de tous ces pays montrent une nette décrue des taux.

Les monétaristes ont parfaitement raison de souligner les dangers de l’illusion monétaire et la nécessité de privilégier l’économie réelle. A moyen et long terme, l’histoire leur a toujours donné raison. Et la phrase bien connue de Keynes –« à long terme nous serons tous morts »- résonne aujourd’hui bien tristement, notamment aux oreilles des jeunes générations chargées de payer les folles dettes des précédentes. Mais dans la phase actuelle, une certaine souplesse monétaire est indispensable pour éviter un credit crash, tant pour les banques que pour les Etats. C’est l’argument bien connu des keynésiens de tous bords : « quel intérêt de mourir guéri ? ». A condition que l’argument ne soit pas utilisé pour encourager simultanément un laxisme budgétaire. Or l’Europe, à juste titre, refuse désormais celui-ci.

Un policy mix à l’européenne

La nouvelle politique de la BCE ne se comprend en effet quesi on la met en parallèle avec la rigueur budgétaire demandée parallèlement aux même Etats. Elle s’insère dans un véritable policy mix à l’européenne : politique budgétaire rigoureuse et politique monétaire souple. Mélange qui fut pratiqué avec succès dans les Etats-Unis de Clinton et Greeenspan. La première est destinée à réduire des déficits désormais infinançables, la seconde à redonner de l’oxygène à l’économie.  L’usage différencié des deux grands instruments de la politique économique correspond à ce que les spécialistes appellent une « politique croisée » Car dans le contexte actuel, la liquidité de l’économie ne saurait être assurée par des Etats déjà surendettés : ayant dépassé la limite de 80% de dette sur PNB, le consensus des économistes – y compris des keynésiens fidèles à Keynes –  souligne l’impossibilité d’aller au-delà. Mais, inversement, une politique monétaire restrictive finirait d’asphyxier une Europe au bord de la récession.

Hollande sur la ligne de… Sarkozy (ou presque !)

Or, si l’on veut bien sortir un instant des aveuglements partisans, l’on s’apercevra vite que ce policy mix est très exactement la voie suivie par François Hollande, dans la droite ligne de… Nicolas Sarkozy. Ce dernier, censé avoir « capitulé » devant Angela Merkel, est pour beaucoup dans le nouveau cours de la BCE, à commencer par le choix de Mario Draghi à sa tête… La seule divergence – lourde de conséquences– entre le nouveau président français et son prédécesseur est la manière de réaliser la rigueur budgétaire : hausse forte des impôts et diminution des dépenses d’investissement (Hollande) ; hausse limitée des impôts et baisse des dépenses de fonctionnement (Sarkozy).

Il se trouve que keynésiens et monétaristes sont plutôt d’accord pour préférer cette dernière voie : l’exemple britannique, où cette politique est poussée à plein régime, montre en effet son succès avec le recul du chômage depuis un an et la sortie actuelle de la récession. Et dans l’Euroland même, des signes encourageants commencent à apparaître en Espagne et en Italie, notamment en termes de balance commerciale.

Mais, comme déjà dit dans ce blog à maintes reprises, à quand la formulation politique, c’est-à-dire destinée aux citoyens européens en pleine confusion, de ces choix économiques ?

Christophe de Voogd est responsable du blog « trop libre ».

Crédit photo : tax credits

 

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