« Pompéi » : du péplum catastrophe au film catastrophique

28 février 2014

28.02.2014« Pompéi » : du péplum catastrophe au film catastrophique

2014 s’annonce comme une année faste pour le péplum, avec pas moins que six films qui vont sortir sur les écrans. En stock : deux versions d’Hercule, Noé de Darren Arenovski (avec Russel Crowe), une suite des 300 et surtout Exodus de Ridley Scott, réalisateur qui avait ressuscité le genre au cinéma il y a 15 ans avec Gladiator (avec le même Russel Crowe). Cette nouvelle vague de films sur l’Antiquité sera-t-elle l’occasion enfin de rétablir la réputation d’un genre souvent décrié ou le verra-t-on définitivement dégradé au niveau du « spin-off » du jeu vidéo ? Une première indication nous est offerte par le Pompéi de Paul W.S. Anderson, avec l’idole de Game of Thrones Kit Harington dans son premier rôle au cinéma.

Gomorrhe

Anderson, épaulé par ses trois scénaristes, commence son film en tous cas très sérieusement avec une citation de Pline le jeune, témoin oculaire de l’éruption de la Vésuve en l’an 79 et qui en a rendu compte dans deux lettres à son ami Tacite. Pourtant, le décor et la thématique du film viennent en vérité des derniers jours de Pompéi d’Edward Bulwer-Lytton, un roman anglais du XIXe siècle. Bulwer-Lytton, homme politique, romancier, poète et véritable figure de la société victorienne anglaise, a vu de ses propres yeux les ruines de Pompéi, redécouvert à la fin du XVIIIe siècle et sans doute n’a-t-il pas raté les antiques fresques ouvertement sexuelles. C’est à cause de ces fresques que Pompéi devient un autre mot pour Gomorrhe, symbole de la décadence romaine aux yeux du puritanisme victorien. Sa destruction cataclysmique dans le roman prend ainsi la forme d’une punition aux allures bibliques.

D’un Pompéi, l’autre

Avec l’avènement du cinéma, le roman devient immédiatement l’un des sujets fétiches pour les réalisateurs, notamment italiens. Curieusement, le péplum américain, pourtant si friand de sujets à forte connotation moralisante, ne se sert du livre de Bulwer-Lytton qu’une seule fois, en 1935, à travers une très lointaine adaptation de Merian Cooper et Ernest B. Schoedsack, par ailleurs créateurs de King Kong. Ce film comporte des effets spéciaux révolutionnaires pour l’époque, mais il est surtout intéressant par sa dimension sociale car il raconte le destin d’un forgeron qui se voit soudainement condamné à la pauvreté, comme des millions d’Américains au début des années 1930. Au début du film, on voit même défiler des rangées d’esclaves dans les rues étroites de la ville, une image qui, pour le spectateur américain de l’époque, en évoque immédiatement une autre : les longues marches de chômeurs, errant de ville en ville. Pompéi, dans la conception de Cooper et Schoedsack, est moins un espace de débauche morale qu’un symbole du marasme économique dans lesquels se trouvent les Etats-Unis dans les années trente.

Anachronisme volontaire et effet de miroir

Ce procédé de détachement historique, qui tourne souvent à l’anachronisme volontaire, est bien connu et a notamment été relevé par une spécialiste en lettres classiques, Maria Wyke[i]. Elle nous offre une grille de lecture passionnante du péplum qui peut aussi aider à comprendre la popularité du genre, à différentes périodes de l’histoire du cinéma (19OO-1935 et 1950-1965). Ainsi, la réalisation en l’an 2000 de Gladiator, un film sur un empire à bout de souffle et les valeurs de l’ancienne république que l’on tente de rétablir, illustre parfaitement les doutes de l’Amérique de Bill Clinton qui s’interroge sur ses valeurs et son rôle de superpuissance dans le monde.

A(b)dos

Retour au film de Paul W.S. Anderson, qui trahit ici son origine britannique car le récit de Pompéi commence… en Angleterre – pardon, en Bretagne – où une tribu celte est vaincue et sauvagement massacrée par la légion romaine. Le seul survivant est un jeune garçon, Milo. Capturé et vendu comme esclave, on le retrouvera une vingtaine d’années plus tard gladiateur doté d’abdos impressionnants (Kit Harington), en route pour Pompéi. Juste avant d’y arriver, il croise la jeune romaine Cassia, fille du souverain de la ville (Emily Browning), qui a fui Rome pour échapper à l’emprise du méchant sénateur Corvus. Bien évidemment, ce Corvus (Kiefer Sutherland) est également l’assassin personnel de la mère de Milo. Et, bien évidemment, il arrive au même moment à Pompéi…Toute cette joyeuse bande se retrouve au cirque de la ville, entourée de quelques personnages subordonnés – les parents de Cassia, victimes du chantage de Corvus, un gladiateur noir censé être affranchi après un dernier combat dans l’arène –  avant l’éruption du Vésuve que la réalisation ne cesse d’annoncer en arrière-plan.

Des jeux ou du sport ?

Il est vrai que le copier-coller est une marque de fabrique de nombre de péplums – Gladiator de Ridley Scott reprend ainsi allègrement des éléments de La chute de l’empire romain d’Antony Mann (1964) et Spartacus de Stanley Kubrick (1959). Mais alors qu’il s’agissait chez Scott d’hommages à la dernière grande époque du péplum hollywoodien ici, l’intrigue prend la forme de pillage abusif d’à peu près tout ce qui s’est fait en matière de péplums ou autres films catastrophe, de Titanic au Pic de Dante. Aucun événement, aucun personnage ne paraît crédible, on se désintéresse totalement de leur destin, seul le montage de plus en plus effréné nous empêche de nous endormir définitivement. On y perd surtout son latin. Quel est le sens de la dispute terriblement et surtout inutilement anachronique entre Corvus et Cassia sur le caractère « sportif » (sic) ou non du combat des gladiateurs ? Le sport est une valeur inconnue à l’Antiquité et ne fut inventée qu’au XIXe par… les Anglais. Il suffisait de parler de « jeux », terme d’époque et qui permet de poser d’ailleurs le problème éthique. Et pourquoi le sénateur Corvus doit-il parler avec cet accent british, par ailleurs raté, tels les Romains dans les péplums classiques des années 1950 ? Serait-ce du second degré ? Peut-être, mais on se demande pourquoi…

Tsunami ou marasme ?

Reste la mise en image 3D de la catastrophe. Elle est certes assez spectaculaire, très appuyée, l’éruption est même accompagnée d’un véritable tsunami – censé venir du témoignage de Pline le Jeune – mais ici aussi, on a cette terrible impression du déjà vu, avec une caméra qui tournicote et des images alternant accéléré et ralenti, des procédés qui viennent directement du jeu vidéo. On reste finalement très en deçà de que peuvent faire les spécialistes tels que Roland Emmerich. Et surtout, la 3D n’apporte aucun relief supplémentaire, au contraire, elle est souvent totalement ratée et apparaît bâclée : l’image n’est pas seulement trop sombre, elle est par moments même floue. Elle apparaît, comme dans la plupart des films récents comme un simple artifice, un effet marketing censé apporter du public.

Une preuve de plus que les ressources nouvelles et illimitées de la technique qui ont permis la renaissance du péplum ne servent à rien et sont même contreproductifs sans un véritable scénario et de vrais personnages !

Harry Bos

Crédit photo : Carlo Mirante


[i] Maria Wyke, Projecting the Past: Ancient Rome, Cinema and History (1997)

 

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