Populisme : comment comprendre? Comment répondre?
Fondapol | 02 septembre 2011
Dominique Reynié, Populisme : la pente fatale, Paris, Plon, 2011.
Dominique Reynié est directeur général de la Fondapol.
En 2015, il y aura en Europe moins de naissances que de décès. Pour le citoyen peu informé des évolutions démographiques, cette affirmation est, au plein sens du mot, un vrai choc. Elle devient un véritable défi lorsqu’on cherche à en évaluer les répercussions sociales et politiques.
C’est à ce travail que s’attache le dernier livre de Dominique Reynié : « Populisme : la pente fatale », paru chez Plon.
Le tableau de la situation économique et sociale de l’Europe que nous peint le politologue Dominique Reynié (l’auteur est professeur à l’Institut d’ Etudes Politiques de Paris et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique), est tout sauf réjouissant.
La crise économique frappe des millions de citoyens qui vivent dans l’angoisse du chômage. « La disparition ou l’amoindrissement des politiques sociales creuse le gouffre des inégalités, des peurs et des ressentiments. » Face à la pauvreté qui se développe, l’endettement prive les Etats de la plupart de leurs moyens d’action.
« Un cycle régressif »
L’opinion publique est de plus en plus persuadée que s’ouvre devant elle, ce que l’auteur appelle : « un cycle régressif » et que, pour faire face à cette épreuve, le secours de l’Etat lui sera de moins en moins utile.
Cette impuissance nouvelle de l’Etat entraîne de redoutables conséquences politiques, conséquences qui peuvent se résumer en une phrase: l’Etat et ses exigences apparaissent de moins en moins légitimes aux yeux des citoyens. Pression fiscale, choix budgétaires, tout est discuté et les citoyens angoissés, malmenés par la crise et en bute à des vagues d’immigration qui semblent irrésistibles, se posent le problème de leur identité et de leur devenir.
Or, Dominique Reynié montre combien il est difficile de donner une réponse satisfaisante à cette angoisse identitaire : « L’identité nationale qui prévaut en Europe n’a pas de fondement ethnique ni religieux. » Se poser la question de l’identité nationale, nous dit-il, c ‘est avouer que l’on a « perdu le chemin de l’évidence ». Qu’est-ce qu’être Français, Italien ou Belge ? La question est posée quand on ne sait plus y répondre !
Panorama du populisme européen
L’auteur dresse un vaste tableau de tous ces partis et mouvements populistes qui font florès aujourd’hui dans l’ensemble de l’Europe. Etayée par une grande connaissance des réalités étrangères, la démonstration semble imparable.
L’un des grands intérêts du livre est qu’il nous fait remonter à la source de tous ces mouvements et montre que le populisme n’est pas, comme on le présente trop souvent un simple avatar de « l’extrême droite ». Car l’on trouve, en son sein, ceux qui, partis de la gauche extrême, cherchent un nouveau positionnement dans un monde ou « l‘internationalisme » est de moins en moins bien porté ; et ces autres, partis de la droite extrême qui, comme en Suède, ont abandonné drapeaux et ceinturons pour apparaître sous un aspect plus acceptable, mais, de ce fait même, plus inquiétant peut-être.
Si la description d’un populisme enfanté par la droite ou la gauche extrême ne surprend pas ceux qui refusent les clivages simplistes, l’ouvrage de Dominique Reynié nous montre aussi que certains de ces partis, le parti du progrès norvégien par exemple, se réclament de la tradition libérale la plus dure et la moins protectrice, incarnée en leurs temps par Ronald Reagan et Madame Thatcher.
Un populisme « patrimonial »
L’auteur décrit également la montée en puissance, et recouvrant l’ensemble des aspects précédents, de ce qu’il appelle le « populisme patrimonial ». Ce type de populisme engageant une compétition féroce avec la droite de gouvernement sur le terrain du conservatisme aussi bien matériel (niveau de vie, protection sociale) qu’identitaire ( références et symboles collectifs).
Cette compétition ébranle les assises de tous les partis conservateurs pris dans le dilemme de savoir s’ils doivent en rajouter dans la démagogie, voire collaborer avec ces partis pour se maintenir au pouvoir au risque d’y perdre son âme, ou bien ne rien faire et alimenter l’idée funeste que « le peuple n’est plus représenté » ?
Les partis sociaux démocrates et socialistes ne sont pas beaucoup mieux lotis, puisqu’ engagés sur le terrain de «la raison gouvernante », ils ont perdu la force de l’espoir et du rêve, comme l’écrit joliment –mais non sans esprit partisan- Raphaele Simone « La gauche a perdu la capacité de donner sa forme au monde ».
Parmi les raisons qui nous ont conduit à cette situation, l’auteur stigmatise l’indulgence coupable des médias pour les leaders populistes, ces oiseaux rares qui réussissent encore à faire grimper l’audimat !
Quid de la révolution numérique ? Quid du « blairisme » ?
On aurait aimé que soit davantage développé dans le livre le rôle joué par la révolution numérique, qui a sans doute porté un coup très rude aux politiques en atomisant le scène politique et en donnant à tout un chacun les moyens d’avoir une tribune sans qu’aucune sanction démocratique ne vienne en valider la représentativité.
De même, on aurait aimé que soient davantage évoquées certaines tentatives faites pour empêcher l’encerclement populiste tel que le projet « Blairiste » de réconciliation entre les traditions libérales et travaillistes qui aurait pu créer une alternative au populisme. L’échec de ce projet en 1999 conduira les conservateurs de nombreux pays à rejoindre en masse le bastion anti-européen.
On pourrait discuter également le rôle des institutions européennes dans cette crise populiste qui secoue le vieux continent.
Que faire face au populisme ?
Mais au final c’est dans sa conclusion, dans son appel à une action raisonnée contre « le prêt à penser » populiste que réside la véritable force de proposition du livre de Dominique Reynié.
Pour l’auteur, la lutte contre les idées populistes passe d’abord et avant tout par un constant rappel du fait démographique. L’Europe ne peut pas, et ne pourra pas plus dans le futur, se passer de l’immigration pour contrebalancer son déclin démographique.
Sur le plan économique, Dominique Reynié en appelle, pour une meilleure efficacité du système, à une plus grande intégration européenne permettant les économies d’échelle et l’indispensable cohérence des politiques nationales.
Cette lutte pour remonter « la pente fatale » du populisme passera aussi par la réaffirmation des droits à la personne mais aussi, plus généralement, de la démocratie libérale car comme l’écrit l’auteur : « la diversité démocratique ne peut tolérer la constitution d’îlots de tyrannie ». D’où, par exemple, la nécessaire moralisation de la vie publique pour que la dénonciation incantatoire du populisme ne soit pas perçue par les classes populaires comme le moyen trouvé par les élites pour maintenir des privilèges injustifiables.
Au final, un livre important pour l’analyse et la prise de conscience des maux de nos sociétés européennes et la recherche de solutions innovantes pour lutter contre les tentations démagogiques véhiculées par les partis populistes
Philippe Albouy
Crédit photo : Flickr, Fondapol – Fondation pour l’innovation politique
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