Pourquoi et comment François Hollande va gagner son pari sur le chômage
05 août 2013
Pourquoi et comment François Hollande va gagner son pari sur le chômage.
La constance avec laquelle le chef de l’Etat rappelle son engagement « d’infléchir la courbe du chômage d’ici à la fin de l’année » laisse souvent sceptiques les observateurs : tous les prévisionnistes, de la Commission européenne à l’OCDE, annoncent même une augmentation du chômage français en 2014. Pourtant une attention précise à ce que signifie la promesse de François Hollande montre qu’il pourrait bien gagner son pari… sans pour autant démentir ces prévisions pessimistes !
Une promesse à dessein vague et très modeste
Tout bien considéré quelle est en effet la portée exacte de cet engagement ? Aucun objectif chiffré, aucune date précise, nulle durée probatoire, encore moins un recul du chômage par rapport à la situation de mai 2012, date de l’élection du Président, ni de mai 2013, ni même encore de septembre 2013, où il paraît d’ores et déjà acquis que la France dépassera le record historique de 1993. L’absence de toute référence à un niveau de chômage donne une latitude remarquable – et fort peu remarquée ! – au Président. C’est toute la différence avec l’objectif de la réduction du déficit budgétaire imprudemment annoncée à 3% pour 2013. Erreur que François Hollande, à la différence de Nicolas Sarkozy en 2007, n’a pas commise sur la question du chômage, ne parlant dans ses 60 engagements que de « combat pour l’emploi »…
Littéralement comprise, la promesse ne signifie en effet qu’une chose : quelque part avant le 31 décembre 2013, il y aura une baisse du nombre de chômeurs par rapport au mois précédent. A quel moment précis ? De quelle ampleur ? Sur quelle durée ? Le président n’en dit rien. Stricto sensu donc une baisse de 1000 chômeurs constatée dans le seul mois de décembre 2013 constituerait bel et bien « une inflexion de la courbe du chômage d’ici la fin de l’année ».
Du sens du bon timing
La ficelle est un peu grosse, dira-t-on, et il en faudra un peu plus pour convaincre l’opinion. Assurément. De fait, tout dépend du timing dans cette affaire, qui doit faire la part aux données techniques, aux rythmes de l’économie et à ceux de la politique. Or l’on peut faire confiance sur ce point au président dont la gestion du temps est des plus réfléchies et des plus habiles, contrairement à ce qu’on lit trop souvent, en fidèle disciple qu’il est de François Mitterrand et de Machiavel. N’a-t-il pas déjà discrètement modifié l’horizon temporel de son engagement ? Annoncée « d’ici un an » en septembre 2012 sur TF1, la fameuse « inflexion » a été par la suite reportée à « la fin 2013 ». Trois mois de « sursis » gagnés sans que (presque) personne ne le remarque…
Dans le scénario idéal, il lui faudrait disposer de la « bonne nouvelle » pour ses vœux aux Français le 31 décembre prochain, donc de bons chiffres pour novembre. Ceux-ci devraient alors être confirmés en décembre et en janvier : trois mois tout au plus pour accréditer le phénomène de l’inflexion avant les municipales de mars. Dans un scénario moins favorable, deux mois suffiront pour que la promesse soit considérée comme tenue : décembre 2013 et janvier 2014 (chiffres connus respectivement en janvier et février prochains).
Et sur le front du chômage ?
Or cet objectif n’a rien d’impossible : reprise mondiale qui semble se confirmer, niveau déjà très élevé du chômage « acquis », politique stricte de radiation à Pôle emploi (on en vu les heureux effets en mai), et enfin « traitement social » à pleine vapeur, devraient conduire à une amélioration de la situation, aussi modeste et précaire soit-elle, d’ici quelques mois. A-t-on assez remarqué que paradoxalement le « retard à l’allumage » des emplois d’avenir est une aubaine pour la promesse présidentielle ? L’on pourra concentrer la majorité des contrats aidés sur les derniers mois de l’année, avec l’aide des grosses collectivités locales dominées, on le sait, par le PS : la mobilisation est à l’ordre du jour !
Un Président tocquevillien ?
« Trop tard, trop peu ! » objectera-t-on encore ? La réaction positive des grands médias audiovisuels au chiffre du chômage de Juin (+ 15000 demandeurs d’emploi), alors même que le chômage reculait dans l’ensemble de la zone euro, peut donner quelque espoir au Président.
Car, dans l’engagement présidentiel, il y a bien plus que de l’habileté politique et de la virtuosité rhétorique : l’on y retrouve l’écho d’une loi bien connue de Tocqueville à propos de la perception des inégalités : ce n’est pas le niveau de celles-ci qui compte mais la tendance qu’elles suivent : dans un pays égalitaire, toute reprise même légère des inégalités est ainsi bien plus durement ressentie que dans une société d’essence inégalitaire.
Nous pourrions bien à avoir affaire en matière de chômage à un phénomène de même nature, c’est-à-dire profondément psychologique : l’on juge tout fait nouveau par rapport à la situation existante. De même qu’après une période de prospérité, une crise est perçue comme une catastrophe, en période de crise, un moindre mal est un pris comme un bien. L’esprit partisan fera le reste.
« On espère toujours alors même qu’on désespère »
Autrement dit, si la courbe « s’infléchit » au tournant de 2013/2014, nul doute que le « recul du chômage » (sans autre précision) sera salué par la plupart des médias ; que « le premier signe positif depuis près de trois ans » sera souligné et que pour beaucoup donc, le président aura « gagné son pari ».
Qu’importera alors que le chômage soit à son plus haut niveau historique, que la courbe se soit d’ailleurs déjà « infléchie »… sous Nicolas Sarkozy entre janvier 2010 et avril 2011 (mais qui le rappellera ?) ; enfin que « l’inflexion » à venir fasse long feu par la suite : entre-temps les municipales seront passées.
Christophe de Voogd
Cet article est dédié à David Valence
Crédit photo : Flickr, Newton Free Library
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