Pourquoi les femmes devraient-elles vraiment être plus nombreuses en politique ?
04 juin 2013
Pourquoi les femmes devraient-elles vraiment être plus nombreuses en politique ?
Les discours justifiant l’avènement des femmes en politique s’inscrivent, pour la plupart et de manière tout à fait paradoxale, dans une rhétorique essentialiste, et reposent sur une incompréhension de ce qu’est véritablement la représentation politique. Il est temps de revoir les véritables raisons qui font que 27% de femmes à l’Assemblée, et 22% au Sénat, devrait constituer un objet de révolte civique.
Le quiproquo du « plus de femmes en politique »
Au cours de la tumultueuse histoire de l’avènement des démocraties représentatives et des débats relatifs au concept de « représentation politique », deux définitions distinctes n’ont cessé de cohabiter. Face à une approche particulariste, qui suggère que les individus, selon leur catégorie sociale ou leur sexe, ont des expériences de vie distinctes, et que ce sont ces expériences de vie et ces regards sur le monde qui doivent pouvoir être présents dans les instances de décision politique, la tradition française a statué sur ce que l’on nomme « l’universalisme républicain ».
On considère donc que doivent être représentés au Parlement non la pluralité des catégories de citoyens mais bien les citoyens en tant que source de la volonté générale. De manière pragmatique, ce rapport à la représentation politique est bien plus légitime, car il ne réduit pas l’individu à des aspects identitaires subis (comme le sexe, par exemple), mais met a contrario en exergue sa pensée, et ses aspirations sociales et citoyennes. C’est l’affirmation du libre-arbitre, et de la capacité de l’individu à s’extraire de la manière de penser de son groupe social qui est proclamée dans ce choix idéologique. Une particularité française précieuse, donc, qui est le sens profond de la laïcité, au-delà du seul enjeu religieux ; mais une conception qui, par son abstraction même, est souvent contredite dans la réalité du débat public. Est-ce la raison pour laquelle la nature des arguments féministes dans la promotion des femmes en politiques rappelle souvent étrangement l’approche la plus catégorielle de la représentation (1) ?
On pense ici à Valérie Pécresse qui affirmait dans une interview – en parlant des femmes – : « Leur logique, leurs centres d’intérêts diffèrent. Cette différence fait que la femme est un plus en politique » (2). Répondons-lui ici que la femme n’est pas un atout en politique parce qu’elle est femme : il n’y a pas d’essence féminine, il n’y a que des individus aux aspirations, aux modes de leadership et aux vertus uniques – et déconnectés de leur identité sexuelle -.
Quelle est la part de responsabilité de la femme elle-même dans ce statut quo ?
La responsabilité des hommes dans le manque de représentativité féminine en politique ne se démontre plus : remarques sexistes aux députées femmes qui se présentent dans l’hémicycle en jupe, phrases médiatiques désolantes concernant le « combat des femmes » pour la mairie de Paris. Mais au risque de faire une entorse au politiquement correct, il serait abusivement « victimaire » de ne pas pointer du doigt la part de responsabilité féminine dans cette réalité :
« Pour moi, je pense qu’il n’existe pas de mythe plus irritant ni plus faux que celui de l’éternel féminin qui fut inventé, avec l’aide des femmes, par les hommes, et qui les décrit comme intuitives, charmantes, sensibles (…) Si une femme réussit brillamment en affaires, dans la vie sociale, dans sa profession, elle souffre d’un complexe d’infériorité en se comparant aux autres femmes. (…) Elle sait qu’aux yeux des hommes sa réussite ne constitue pas un atout » (3)
On constate dans cet article avant-gardiste signé par Simone de Beauvoir deux éléments clefs de compréhension. D’une part, la domination masculine dans les cercles de décision ne s’est pas faite unilatéralement Les femmes ont en effet souvent effectué le choix réfléchi de se maintenir dans une situation d’asservissement à l’homme, car elles savent que c’est ici le gage d’être attirante à ses yeux .
D’autre part, si la dissociation entre réussite professionnelle et féminité n’est le fait ni des hommes ni des femmes, mais de la société dans son ensemble – en tant qu’elle est issue d’une construction historique fortement influencée par le religieux -, les femmes se sont, en connaissance de cause, retirées d’elle-même de la vie publique selon une logique d’autocensure– outre l’exclusion objective également subie -.
Sans quota, point de salut ? La fin ne justifie pas le moyen
La position victimaire et fataliste des propos dits ‘féministes’ qui revendiquent la mise en place de quotas donnent en réalité du grain à moudre à ceux qui, secrètement – car une telle position publique n’est désormais plus admise – espèrent le maintien du système actuel.
Pourquoi ne pas plutôt parier sur une femme politique, certes handicapée par les rôles sexués qui lui sont assignés par la société, mais luttant ardemment pour défendre ses positions et convaincre les militants ? La tâche n’est pas aisée, nous le concédons., Elle est, à l’heure actuelle, encore plus ardue que pour les hommes, dont la rhétorique politicienne est très largement dominante (il n’est qu’à voir les pelotons vainqueurs des différents concours d’éloquences dans les universités françaises, exclusivement composés d’hommes). Mais une vraie réussite, entendue comme la démonstration objective –et, ici, conquise- de la légitimité des femmes en politique, bousculera plus vivement les consciences qu’une quelconque obligation de quotas qui, malheureusement, ne fait que conforter les doutes au sujet de la compétence féminine en politique.
Créer une parité artificielle, issue de la « volonté du prince » – en l’occurrence des hommes -, n’aboutira qu’à des situations renouvelées en apparence et renforcées en profondeur, comme en témoigne le gouvernement actuel, dont la « parité parfaite » n’a d’égale que la très faible répartition des ministères de pouvoir parmi les ministres féminines.
La fin – accroître le nombre de femmes décideuses – ne justifie pas le moyen – les imposer par la discrimination positive – pour la simple raison que le quota ne fera que repousser la nécessité pour les femmes de prouver leur compétence à après l’élection…
Pourquoi, dans ce cas, la situation actuelle n’est-elle pas satisfaisante ?
Balayer l’argument particulariste justifiant l’accès des femmes au pouvoir ne signifie pas que leur absence des cercles de décision ne constitue pas un problème, bien au contraire.
Pourquoi alors, les femmes devraient-elles bénéficier d’un meilleur accès aux fonctions suprêmes ?
Une partie de la réponse se trouve dans la pensée de John Stuart Mill (4), qui affirmait « Ce serait une erreur regrettable que de négliger l’avantage le plus direct qui en découlerait ; le bonheur qu’éprouverait alors la moitié de l’humanité ainsi libérée serait considérablement accru ».
Il ne s’agit en réalité de rien d’autre que d’élargir l’éventail des possibles dont disposent les femmes dans le choix de leur mode de vie. Cela impose que l’éducation des nouvelles générations soit à même sinon de réduire à néant les présupposés rôles sexués –ce qui risquerait d’être perçu comme une violence par une partie de la société- du moins d’en montrer les limites et la relativité ; ceci pour que les jeunes filles n’aient plus besoin de choisir entre conserver leur féminité et réussir dans le domaine de la politique (ou autres, d’ailleurs).
Les mesures qui doivent être prises s’inscrivent dans le cadre plus général d’une rénovation de la vie politique : mettre fin au cumul des mandats serait ainsi un propulseur naturel de femmes en politique, propulseur qui ne s’inscrit – lui – nullement dans un environnement idéologique amplifiant une fois encore les différences sexuées.
Claire Poncet
Crédit photo : Flickr, TG4TV
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(1) « Les femmes ne sont pas une catégorie : les stratégies de légitimation de la parité en France » Laure Bereni et Éléonore Lépinard, Presses de Sciences Po | Revue française de science politique
(2) « Valérie Pécresse : ‘la femme est un plus en politique’ » Le Dauphiné, 7 mars 2013-05-18 http://www.ledauphine.com/savoie/2013/03/06/la-femme-est-un-plus-en-politique
(3) : « Feminity : the trap », Simone de Beauvoir (Vogue, 15 mars 1947)
(4) John Stuart Mill, The Subjection of Women (1869)
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