Proust contre Cocteau
Coralie Pereira | 27 décembre 2013
Proust contre Cocteau
Par Coralie Pereira
Claude Arnaud, Proust contre Cocteau, Paris, Editions Grasset, 2013, 206 pages, 17€
Claude Arnaud revient au travers de ce livre sur l’amitié complexe qui lia deux grands noms de la littérature française de la première moitié du XXe siècle. Au fil des pages, l’auteur nous livre un portrait croisé de l’immense Marcel Proust (1871 – 1922) et du poète Jean Cocteau (1889 – 1963). Sans pour autant délaisser le « Petit Marcel », l’auteur s’attache à raviver la « flamme Cocteau » pour une digne célébration du cinquantième anniversaire de sa mort.
Proust et Cocteau, une gémellité dissemblable
Proust et Cocteau furent deux personnalités à la fois semblables et étrangères. Tous deux furent marqués par une présence maternelle excessive. Mais si Proust réclamait cette attention par un vampirisme émotionnel qui semble avoir ensuite caractérisé chaque lien qu’il tissa en société, Cocteau, subît l’omniprésence d’une mère qui animait sa vie par « la compagnie du petit dernier[1] ».
Au cours de leurs vies, les deux écrivains semblent avoir vécu dans la recherche incessante de l’attention d’autrui. « Mal séparés de mère adorées, (…) l’un et l’autre ne trouvèrent un semblant de légitimité que dans l’œuvre qu’ils s’acharnèrent à concevoir »[2]. Néanmoins, si Proust s’imposa presque de manière maladive dans les vies de ses proches, Cocteau n’eut besoin que des témoignages de respect et d’affection que ses pairs lui adressèrent.
Entre amour et désamour
Un lien profond naquît entre les deux auteurs dès leur première rencontre dans les Salons mondains du Paris de la fin du XIXe siècle[3]. S’aimant et s’influençant l’un l’autre, la force de leur amitié souffrira d’une envie réciproque, latente au départ, qui les accompagnera jusqu’à la fin. Leur relation, particulièrement complexe, fut ainsi faite d’amitié sincère et de jalousie indescriptible. Si, à la mort de Proust, Cocteau fut son premier encenseur, il fut aussi le premier à « s’en prendre à la vision du monde de son ami »[4], remettant alors en cause le génie d’un auteur que les générations passantes hissèrent au sommet de son art au détriment du poète autrefois adoré.
Une révision de La Recherche
En filigrane du portrait de ces deux auteurs, Claude Arnaud livre une vision nouvelle de l’œuvre de Proust qui diffère de l’image glorifiante que les Universitaires ont choisit de retenir et d’enseigner. Ainsi, du roman critique de la société de la fin du XIXe siècle, À la recherche du temps perdu devient le livre exutoire des « péchés et vices » de son auteur[5]. Narrateur non avoué de romans si difficilement édités et compris, Proust aurait travesti chacun des êtres croisés au cours de sa vie pour les enfermer de manière millénaire dans les milliers de pages que contiennent son œuvre. L’auteur lui-même est transformé par l’œuvre en ce qu’il devient l’homme mondain, hétérosexuel, qu’il n’a jamais su être en société.
Claude Arnaud, partisan de Cocteau
Malgré une convaincante neutralité, Claude Arnaud se révèle particulièrement attaché à Cocteau, auquel il a déjà consacré un livre en 2003[6]. Proust contre Cocteau permet de « rétablir la balance »[7] et montre que l’accès à la postérité du premier ne diminue en rien le mérite du second, qui « mena une aventure littéraire plus moderne, en comparaison »[8]. Si le biographe ne nie pas le talent, l’intérêt et l’importance de Marcel Proust dans l’histoire littéraire, il regrette néanmoins la transparence de l’œuvre de Cocteau, qui n’est, selon lui, pas moins respectable que la Recherche.
Proust contre Cocteau, un plaisant essai romanesque
Bien que très savant, l’essai de Claude Arnaud s’invite délicatement dans la sphère des écrits accessibles à tous. A l’image d’un Marcel Proust, l’auteur dissimule sa présence sous un « je » ; mais ce dernier n’est ni anonyme, ni obscure comme pouvait l’être celui de Proust. L’écriture de ce « narrateur », fluide et facile d’approche, permet au lecteur de glisser dans les méandres relationnels de ces deux écrivains complexes qui ne sont souvent connus qu’au travers d’une légende bâtie par le temps. De chapitre en chapitre, on remonte le temps, glissant au travers des mondanités du second XIXe siècle, côtoyant le sociable Cocteau, vivant le mal-être du pessimiste Proust, assistant à l’ascension de l’un et au silence envieux de l’autre. Enfin, comme une dernière péripétie de ces vies romanesques, Claude Arnaud nous peint leurs postérités respectives ; différentes l’une de l’autre, mais aboutissant toutes deux à la reconnaissance publique.
Crédit photo : Flickr, Renaud Camus
[1] Claude Arnaud, Paris, 2013, pp 25-26.
[2] Claude Arnaud, Paris, 2013, page 197.
[3] Claude Arnaud, Paris, 2013, pp 35-61, « La rencontre ».
[4] Claude Arnaud, Paris, 2013, page 176.
[5] Claude Arnaud, Paris, 2013, pp 175-191, « Jalousie et sainteté ».
[6] Claude Arnaud, Jean Cocteau, Paris, Editions Gallimard, coll. « Biographie », 2003, 859 pages.
[7] Claude Arnaud, Paris, 2013, page 191.
[8] Claude Arnaud, Paris, 2013, page 199.
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