Quand la reprise économique est vraiment là... Mais pas ici !

22 janvier 2014

22.01.2014Quand la reprise économique est vraiment là… Mais pas ici !

Au seuil de 2014, après un septennat d’une crise en trois actes – financier, économique et budgétaire – force est de constater que la reprise mondiale se poursuit progressivement mais demeure inégale. Alors qu’en France la courbe de la croissance a des allures d’encéphalogramme plat et que la reprise apparaît comme une simple incantation présidentielle, elle revêt une traduction beaucoup plus tangible dans d’autres contrées. Entre atonie persistante et réels signes d’embellie, une fracture semble s’être creusée en 2013 au sein de la zone OCDE. Dès lors, à la faveur de la publication des indicateurs économiques de fin d’année, décryptons les politiques menées par trois pays développés sur trois continents différents et pour qui 2013 restera synonyme de véritable reprise.

États-Unis : « le chômage n’est pas seulement une statistique »

En guise d’étrennes, Barack Obama a pris connaissance à la fin décembre des derniers chiffres du chômage et de la croissance : le premier est repassé sous la barre des 7,5% – au plus bas depuis cinq ans – tandis que la seconde affleure les 3%[1]. Tout un symbole pour un pays épicentre d’une crise qui a irradié sur toute la planète et dont on prédisait volontiers le déclin. Or, comme l’explique Jean-Marc Vittori, les chiffres sont éloquents : le PIB outre-Atlantique a progressé de 9% entre 2008 et 2014, alors qu’il a reculé de 1% sur la même période en zone euro[2]. Traduction microéconomique : les entreprises n’ont jamais généré autant de profits depuis 1947[3]. Quelles sont donc les recettes du succès américain ?

D’inspiration keynésienne, le policy mix de l’administration Obama pour endiguer la récession et relancer l’économie a, ab initio, consisté à marier relance budgétaire et assouplissement monétaire. Au plus fort de la crise et à l’orée de son premier mandat, le 44ème président des États-Unis a alors mis en place un plan de relance pharaonique de 800 milliards de dollars, multipliant par deux la dette nationale[4]. Par la suite, l’Amérique s’est engagée dans une cure d’austérité drastique, popularisée par les vicissitudes des débats parlementaires du Congrès avec pour point d’orgue le « shutdown », paralysie des services publics, qui s’en suivit.

En parallèle de ce plan d’assainissement des finances publiques, la Réserve fédérale a adopté une politique monétaire résolument offensive : les taux directeurs ont été abaissés à leurs plus bas niveaux et, surtout, l’institution s’est lancée dans un vaste programme d’achats de titres à un rythme effréné de 85 milliards de dollars par mois. Dès lors, d’aucuns – à l’image d’Arnaud Montebourg – considèrent la Fed comme le moteur du réveil américain. Et le ministre du redressement productif d’affirmer qu’elle constitue dorénavant « un modèle de sortie de crise dans le monde »[5]. En effet, tel un barreur dans la tempête et à rebours de la doxa monétariste européenne, la banque centrale américaine a libéré la croissance nationale en injectant massivement des liquidités dans l’économie et en facilitant le financement des entreprises via une politique de taux bas. De surcroît, alors que la BCE, fille ainée de la très orthodoxe Bundesbank, se borne à ne veiller qu’à la stabilité des prix, la Fed s’est assignée des objectifs concrets, en matière de diminution du chômage notamment. En témoigne la tonalité des discours de Janet Yellen, future remplaçante de Ben Bernanke à la tête de la Réserve fédérale, pour qui « les chômeurs ne sont pas seulement des statistiques »[6] et la lutte contre le chômage un sacerdoce de la banque des banques américaines.

Par-delà les éloges qui lui sont adressées, la politique d’assouplissement monétaire de la Fed n’est pas sans susciter inquiétudes et interrogations. En effet, avec un bilan gonflé à près de 4 000 milliards de dollars[7] et une dette fédérale supérieure à 17 000 milliards soit 106% du PIB[8], la pérennité de la reprise américaine semble incertaine. En sous-titre, il appartient à Janet Yellen de sevrer une économie sous perfusion, et ce sans entraver la reprise amorcée en 2013. Un vrai numéro d’équilibriste !

Japon : les trois flèches de l’archer Abe

Issu d’une longue lignée de responsables politiques où se côtoient d’anciens premiers ministres, ministres et députés, Shinzo Abe, chef du gouvernement japonais depuis décembre 2012, a d’ores et déjà inscrit son prénom dans l’histoire nippone et son nom dans les manuels d’économie du monde entier. En effet, englué depuis plusieurs décennies dans un cycle de croissance atone et de déflation, le Japon – de surcroît durement frappé par la crise – vit aujourd’hui sa révolution économique, immortalisée par le désormais célèbre néologisme « Abenomics ».

La stratégie de Shinzo Abe repose sur trois piliers imagés sous la forme de trois flèches : un plan de relance budgétaire conjugué à une politique monétaire ultra accommodante et des réformes de structure. Premières flèches décochées par le gouvernement, la relance budgétaire – de l’ordre de 2% du PIB soit 110 milliards de dollars – et la politique monétaire expansive ont entraîné une forte dépréciation du yen, dopant de facto les exportations de l’archipel ainsi que la confiance des entreprises et des ménages[9]. L’idée du gouvernement est alors de favoriser la production nationale et la compétitivité du yen tout en stimulant l’emploi et la consommation. À l’instar de la Fed, sa consœur américaine, la Banque centrale japonaise a ainsi procédé à des achats massifs d’obligations du Trésor, et ce dans l’optique d’atteindre une inflation de 2% soit « l’expansion monétaire la plus importante jamais annoncée dans les grands pays développés »[10].

Alors que le train des réformes structurelles devrait être lancé cette année, les premiers effets des « Abenomics » se sont fait sentir dès 2013. Sur le plan de la croissance, le Japon devrait clôturer l’année par une hausse de 1,8% du PIB après un premier semestre euphorique à +4%[11]. Boostée par la bonne tenue des exportations et la forte consommation des ménages, celle-ci devrait toutefois se tarir à 1,4% en 2014[12]. Du côté des marchés, la bourse de Tokyo, pourtant doublement victime des affres de la crise économique et du tsunami de Fukushima, a renoué avec une tendance haussière en 2013. Grâce à un rebond de 57% de l’indice Nikkei, elle enregistre même la « meilleure performance mondiale »[13]. Sur le front de l’emploi, le taux de chômage devrait, quant à lui, se stabiliser à 4% en 2013, au plus bas depuis 2008[14].

Principal écueil des « Abenomics » : l’endettement du pays – déjà très haut avant la crise – a littéralement explosé, atteignant aujourd’hui 230% du PIB[15] et faisant du Japon « le pays développé le plus endetté au monde »[16]. Face à ce record, les inquiétudes quant à la soutenabilité de la dette publique nipponne sont néanmoins tempérées par des taux d’intérêt qui demeurent parmi les plus bas du monde et par un important financement national. En effet, à l’inverse de la zone euro, 96% des titres d’État japonais sont détenus par des résidents[17]. Une garantie essentielle pour les marchés certes, mais jusqu’à quand ?

Bien qu’elles aient indéniablement réanimé une économie japonaise sous anesthésie depuis plus de vingt ans, les relances budgétaire et monétaire ne sont, pour autant, suffisantes pour assurer la pérennité du rebond constaté en 2013. Dès lors, la troisième partie du plan du gouvernement Abe, à savoir la mise en place de réformes structurelles, constitue l’élément essentiel pour conjuguer au futur ce réveil nippon. Ce faisant, si la dernière flèche de Shinzo Abe venait à manquer sa cible, c’est toute la politique des Abenomics qui serait alors discréditée. 2014 sera donc décisive, et pour le gouvernement Abe et pour l’économie de l’archipel lato sensu.

Royaume-Uni : du sang et des larmes qui payent

Bien que prudents, David Cameron et George Osborne, respectivement premier ministre et ministre des finances outre-manche, n’ont pas boudé leur plaisir à la publication fin décembre des derniers indicateurs actant la reprise britannique. Après trois années de durs sacrifices, le verdict est en effet sans appel : la croissance du PIB devrait se hisser à 1,4% en 2013 puis gagner un point supplémentaire en 2014, tandis que le chômage passera quant à lui sous la barre des 8% dès cette année[18].

À l’origine de ce rebond, le gouvernement Cameron s’est employé à mettre en œuvre une politique économique de l’offre dont la philosophie reposait sur un triptyque composé d’une réduction drastique des dépenses publiques additionnée d’une hausse de la taxation à la consommation et d’une baisse des prélèvements aux entreprises[19]. Ainsi, à la suppression de près de 500 000 fonctionnaires se sont notamment conjugués le relèvement de l’âge de départ à la retraite à 66 ans dès 2020, le passage de 17,5% à 20% du taux standard de la TVA, la baisse substantielle du taux d’imposition sur les sociétés ainsi que l’allègement du code fiscal[20]. Cette vague d’austérité a permis à Londres de réduire de 4,3 points de PIB son déficit structurel, soit le plus gros effort consenti en Europe après la Grèce et le Portugal[21].

En parallèle de ce mariage de raison entre austérité budgétaire et compétitivité fiscale, le Royaume-Uni a mené une politique monétaire expansionniste combinant baisse des taux d’intérêt directeurs et achats de titres d’État[22]. En effet, au risque d’engendrer un surcroît d’inflation, la Banque d’Angleterre n’a eu cesse depuis 2009 de soutenir l’économie en abaissant son principal taux directeur à 0,5% et en engageant un vaste programme d’achat de titres publics à hauteur de 450 milliards d’euros, équivalant à près de 25% du PIB britannique et 30% de la dette nationale[23]. Résultat : cette politique a permis à la fois aux entreprises nationales de se financer facilement – ne paralysant pas de facto l’économie – et à l’État de profiter de taux d’intérêt sur la dette publique extrêmement bas, inférieurs par exemple à ceux de la France et de la moyenne de la zone euro[24]. Par ailleurs, comme le démontre Nicolas Goetzmann, cet équilibre entre activisme monétaire et austérité budgétaire a permis à la Grande-Bretagne de « procéder à des ajustements sur son budget, de réformer, et ce, sans impacter la croissance et l’emploi »[25].

En outre, la banque centrale britannique a subordonné la révision de sa politique non conventionnelle à la baisse du taux de chômage, avec pour horizon le seuil de 7%. Eu égard à la  vigueur de l’emploi et aux excellents chiffres de la période août-octobre 2013 (où le taux de chômage s’élevait à 7,4%), les observateurs estiment que ce seuil devrait être franchi avant 2016. Dès lors, en tournant le dos à l’emprunt et à la dépense publique, David Cameron se pose – non sans provocation – comme l’anti-modèle français[26]. À la faveur des élections législatives de 2015, il pourra toutefois mesurer dans les urnes les effets de sa méthode.

Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

À la lumière des politiques économiques examinées supra, force est de constater que – partout – l’instrument monétaire apparaît comme le levier décisif à l’origine et de la sortie de crise et de la reprise lato sensu.

Or, alors qu’en 2013, la croissance hexagonale n’a pas excédé 0,2%, que le taux de chômage s’est fixé à 11%[27] et que le nombre de défaillances d’entreprises – culminant à plus de 60 000 – s’est dangereusement rapproché du record de 2009, les outils à la disposition du gouvernement semblent bien peu nombreux. Certes honorable, la proposition du président de la République lors de sa conférence de presse du 14 janvier de supprimer les cotisations patronales familiales – suppression conditionnée par des créations d’emplois – apparaît comme une manière bien timide de relancer la croissance.

Surtout, elle traduit l’impuissance de gouvernements européens démunis face à une BCE enfermée dans son dogme de la lutte contre l’inflation au détriment de l’emploi et de l’activité. En effet, bien que l’institution de Francfort ait su peu ou prou s’affranchir de cette rigidité – sous l’impulsion de Mario Draghi – en jouant le rôle de « prêteur en dernier ressort » pour la Grèce, l’Irlande et le Portugal ainsi qu’en prêtant plus de 1 000 milliards de dollars aux banques du vieux continent entre décembre 2011 et février 2012, elle a davantage agi comme un pompier au lieu de mettre en place une véritable stratégie de politique monétaire activiste[28].

Avatar de la division européenne, la politique monétaire semble pour autant l’épine dorsale des politiques économiques dont la reprise fut des plus vigoureuses en 2013. Ayant à l’origine protégé les États membres de la zone euro, la monnaie unique semble aujourd’hui constituer un véritable handicap pour le retour de l’activité et de l’emploi. Vu de France notamment.

Ancien premier ministre d’un pays européen qui n’a pas souhaité adopter l’euro, Winston Churchill disait : « pour s’améliorer, il faut changer ». À la veille des élections européennes, et si le changement en Europe était pour 2014 ?

Anthony Escurat 
Crédit photo: Flickr: TarValanion


[1] Les Échos. Les États-Unis gagnent la bataille de la relance. 4 janvier 2014.

[2] Les Échos. Pourquoi l’Amérique bat l’Europe à plate couture. 7 janvier 2014.

[3] Les Échos. Comment l’économie américaine est redevenue une locomotive mondiale. 4 janvier 2014.

[4] Direction générale du Trésor. Fiche pays : États-Unis. Ministère de l’Économie et des Finances, 2012.

[5] Les Échos. La Fed, un nouveau modèle pour la BCE. 18 novembre 2013.

[6] Le Monde. À la Fed, Janet Yellen va donner le tempo de l’économie. 9 octobre 2013.

[7] VILAS BOAS, Philippe. États-Unis : Bernanke, dernier acte. Crédit Agricole, Éco focus n°13/76, 20 décembre 2013.

[8] FMI. Fiscal monitor: taxing times. Octobre 2013.

[9] VAN DER PUTTEN, Raymond. Japon : Abenomics, un traitement dangereux. BNP Paribas, 2ème trimestre 2013.

[10] GASTEUIL-ROUGIER, Audrey. Hausse de la dette publique au Japon : jusqu’à quand ? Société Générale, Département des études économiques, Éco Note n°21, novembre 2013.

[11] RIPERT, Marie-Pierre. Japon : l’année des « Abenomics ». Natixis, Éco Hebdo n°2, 10 janvier 2014.

[12] Les Échos. Le Japon prévoit une croissance de 1,4% en 2014. 22 décembre 2013.

[13] Challenges. La Bourse de Tokyo peut dire merci aux Abenomics. 30 décembre 2013.

[14] GASTEUIL-ROUGIER, Audrey. Japon : face à un dilemme. Société Générale, Département des études économiques, Scénario Éco, septembre 2013.

[15] OCDE. Perspectives économiques de l’OCDE. Éditions de l’OCDE, novembre 2013.

[16] GASTEUIL-ROUGIER, Audrey. Hausse de la dette publique au Japon : jusqu’à quand ? Société Générale, Département des études économiques, Éco Note n°21, novembre 2013.

[17] GASTEUIL-ROUGIER, Audrey. Qui détient la dette publique? Société Générale, Département des études économiques, Éco Note n°16, avril 2013.

[18] Le Nouvel Observateur. Reprise économique en Grande-Bretagne et austérité confirmée. 5 décembre 2013.

[19] ARTUS, Patrick, DUMAINE-MARTIN, Victoire. La politique économique du gouvernement conservateur britannique peut-elle réussir ? Natixis, Flash Économie n°256, 7 avril 2011.

[20] Idem

[21] Slate.fr. Grande-Bretagne : l’hiver du contentement. Éric Le Boucher, 6 janvier 2014.

[22] GOETZMANN, Nicolas, GOUIFFÈS, Pierre-François. Reprise : pourquoi la Grande-Bretagne s’en sort mieux que nous. Atlantico, 8 novembre 2013.

[23] DEZEURE, Nathalie. Royaume-Uni : la BoE devra-t-elle revoir sa Forward Guidance ? Natixis, Special Report n°198, 19 décembre 2013.

[24] HEITZ, Benoît. Le “quantitative easing” britannique : plus d’inflation mais pas plus d’activité ? Société Générale, Département des études économiques, Éco Note n°9, juillet 2012.

[25] GOETZMANN, Nicolas, GOUIFFÈS, Pierre-François. Reprise : pourquoi la Grande-Bretagne s’en sort mieux que nous. Atlantico, 8 novembre 2013.

[26] Atlantico. David Cameron : dans une tribune, il critique ouvertement la politique française. 2 janvier 2014.

[27] OTTY, Mark. Eurozone forecast. Ernst and Young, décembre 2013.

[28] Direction de l’information légale et administrative. Les politiques économiques européennes. 2013

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