"Que Marianne était jolie"
20 août 2013
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Adjani, Falbala, Lolita, personnage de manga… Le timbre Marianne imaginé par Olivier Ciappa a été ces dernières semaines l’objet de toutes les suppositions et de tous les fantasmes. Chaque internaute a cru reconnaître une star ou un personnage de fiction sur ce dessin qui, selon l’auteur, a été principalement (mais pas exclusivement) inspiré d’Inna Chevtchenko, de Christiane Taubira et de Roselyne Bachelot.
On passera sur les accusations de mièvrerie et de vulgarité (trop subjectives), et sur celle, manifestement excessive, d’ »outrage à la dignité de la femme »[2]. En la matière, les pourfendeurs comme les défenseurs du timbre ont pour beaucoup fait preuve de démesure, voire d’hystérie[3]. Pour apprécier la pertinence du choix d’Inna Shevchenko comme l’une des sources d’inspiration du dessinateur pour la Marianne 2013, interrogeons-nous sur la valeur de ce symbole : Marianne est-elle un simple dessin ou doit-elle personnifier les valeurs d’un pays ? Dans le second cas, doit-elle être une représentation fidèle de la France contemporaine (un instantané) ou une allégorie des idéaux des Liberté, d’Égalité et de Fraternité inscrits aux frontons de nos édifices publics ?
Marianne, oeuvre figurative ou symbolique
Dans une tribune pour Lemonde.fr[4], Olivier Ciappa a répondu aux attaques dont il a été l’objet en arguant qu’en tant qu’artiste, ses sources d’inspiration lui appartenaient, « au même titre que les musiques qu'[il] avait écoutées en créant ce timbre, les tableaux ou les sculptures qu'[il] avait pu contempler sans forcément savoir qu’ils figureraient dans le morphing final ». Certes, la ‘cuisine’ de l’artiste ne regarde que lui. Certes, les timbres Marianne (à la différence des bustes, dont les modèles successifs -Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Laetitia Casta, Evelyne Thomas- sont clairement identifiables) sont non figuratifs. Mais on ne peut pas nier les particularités de ce dessin : présent sur les timbres de la Poste depuis 1944, traditionnellement choisi par le Président sous la Ve République (à l’exception de François Hollande), il ornera cette année 2,9 milliards de lettres[5]. Dans ces conditions, laisser entendre qu’il y aurait d’un côté les sources d’inspiration artistiques, et de l’autre, complètement déconnectées, des « valeurs » pourtant présentes dans l’œuvre finale, est un argument fallacieux, car l’auteur ne pouvait ignorer son caractère hautement symbolique[6].
Marianne, miroir d’une société ou idéal
Si Marianne a simplement prétention à refléter la société française en 2013, il faut bien avouer que le mélange des trois modèles est particulièrement pertinent : Christiane Taubira (Ministre de la Justice), Inna Schevchenko (co-fondatrice du mouvement « Femen »), Roselyne Bachelot (ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale sous la présidence de N.Sarkozy) ont pour point commun leur engagement en faveur du « Mariage pour tous », récemment légalisé en France[7]. Leurs âges et leurs origines (guyanaise, ukrainienne, métropolitaine) tendent à en faire des miroirs fidèles d’une société française diverse. Inna Schevechenko a d’ailleurs fait partie en 2012 du top 20 des femmes emblématiques de l’année (classement réalisée par Madame Figaro[8]), aux côtés de Najat Vallaud-Belkacem et de Meryl Streep.
En revanche, si la Marianne doit représenter un idéal, comme l’affirme lui-même Olivier Ciappa (« Marianne, qui est représentée seins nus, en 1789, aurait certainement été une Femen car elle se battait pour les valeurs de la République, la liberté, l’égalité, la fraternité. »[9]) l’option retenue laisse perplexe. Surtout pour ce qui est de la fraternité. Sur le site officiel des Femen, outre un appel à « une révolte populaire sans pitié » en Russie, on peut par exemple lire des phrases comme « Nous ciblons nos ennemis, nous traquons leurs moindres faits et gestes et nous nous préparons à les attaquer », ou encore « Tout ce que Femen souhaite à Inna, c’est de voir sa rage monter contre le patriarcat et de gagner ce combat ! »[10].
Marianne, figure universelle ou représentation de valeurs propres à la France
De la même manière que l’Italie a son « Italia turrita » et les États-Unis leur « Oncle Sam », la France a sa « Marianne », qui est l’un des symboles de son identité. Marianne n’est donc pas une figure universelle, elle est l’allégorie de valeurs propres à un pays. Or on peut légitimement douter de la comptabilité des thèses d’une femme qui a tronçonné une croix (édifiée en mémoire des victimes de l’Holodomor), ou qui a twitté « Qu’est ce qui peut être plus stupide que le Ramadan ? qu’est ce qui peut être plus laid que cette religion? »[11] avec la liberté de conscience et de pratique religieuse inscrite dans notre Constitution, voire, plus généralement, avec notre conception de la laïcité et du « vivre ensemble ». À la décharge de l’artiste, il faut bien reconnaître qu’Olivier Ciappa n’a pas eu prétention à représenter la France. Au contraire, il souhaitait, selon ses propres termes, porter un message « universel », dont on ne sait d’ailleurs pas trop ce qu’il est. Un discours qui n’est pas sans rappeler celui des Femen, dont la cofondatrice a déclaré au quotidien 20minutes « On ne va pas adapter notre discours aux dix pays où s’est implanté le groupe. Notre message est universel »[12].
Et c’est bien le plus dommage dans cette histoire : cette réduction de Marianne à la portion congrue, à un message flou (« je voulais que chacun puisse projeter en elle le personnage qu’il imaginait », écrit Olivier Ciappa) et un peu kitsch. D’accord pour le choix esthétique original, mais au service d’une vraie vision de la France.
Marie-Eva Bernard
Crédit photo : Flickr, Lutrus
[1] Michel Delpech, 1973
[2] Tweet du Parti chrétien démocrate (15/07/2013)
[3] Inna Shevchenko a joué la provocation sur Twitter : « Femen est sur un timbre français. Maintenant tous les homophobes, les extrémistes, les fascistes devront lécher mon cul lorsqu’ils voudront envoyer une lettre. » (15/07/2013). Quant à Christine Boutin, elle a offert un exemple du manque de retenue de la classe politique en appelant carrément à la démission de François Hollande.
[4] « Le nouveau timbre Marianne : autopsie d’une fausse polémique » Olivier Ciappa, LeMonde.fr 19/07/2013
[5] « La Poste : lancement officiel du nouveau timbre » Ladépêche.fr 24/07/2013
[6] « Quant aux récentes déclarations ‘religiophobes’ d’Inna Shevchenko, elles lui appartiennent et je ne vois absolument pas en quoi je devrais les cautionner » (Lemonde.fr, 19/07/2013).
[7] Le 17 /05/2013, date à laquelle le Conseil constitutionnel a rendu une décision favorable quant à la constitutionnalité de la loi Taubira.
[8] « Les femmes de 2012 » Gaëlle Rolin 18/12/2012
[9] « Timbre : la nouvelle Marianne en partie inspirée… d’une Femen ! », Le Point 15/07/2013
[11] Tweet posté le 9/07/2013 puis supprimé par son auteure.
[12] Femen: ‘Notre message est universel’ » 20minutes.fr
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