Quel avenir pour les quartiers sensibles ?

Nicolas Sèze | 18 janvier 2017

2990154550_216d249bdd_zLa crise des quartiers sensibles est une grande absente des débats et des programmes des candidats aux différentes primaires, et il y a fort à parier qu’elle le sera également de la campagne présidentielle. Pourtant, la colère et l’insécurité des habitants se renforcent, et la hausse de la criminalité et du djihadisme dans ces espaces déstabilise l’ensemble de la société française. Les causes sont multiples. Les solutions le sont aussi.

Un sentiment d’abandon toujours plus grand

Depuis les émeutes de 2005, rien ou presque n’a vraiment changé dans les banlieues françaises. Tout d’abord, les logements restent toujours très étroits pour des familles souvent nombreuses. Ils s’avèrent pour la plupart vétustes, mal cloisonnés et engoncés dans des immeubles immenses, dans lesquels s’entassent parfois jusqu’à plusieurs milliers d’individus. Cette situation exaspère les résidents tandis que la seule envie des jeunes est de fuir ces habitations dans lesquelles ils se sentent oppressés, pour rejoindre leurs pairs au pied des « tours ». Il en résulte pour beaucoup un sentiment de colère, de rejet vis-à-vis de l’Etat, qui leur donne l’impression de les abandonner à eux-mêmes au sein d’une morphologie urbaine qu’ils n’aiment pas.

Ce sentiment d’abandon est également aggravé par le manque d’emploi dans ces quartiers sensibles, où le chômage atteint en moyenne presque un quart de la population active. Le désœuvrement est d’autant plus présent chez les jeunes actifs, dont le taux de chômage s’élève en moyenne à 45%.La pauvreté en est accrue, avec trois fois plus de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans les Zones Urbaines Sensibles ( ZUS ) que dans le reste de la France. De surcroît, la crise économique a accentué ces inégalités avec une nette baisse du revenu moyen des habitants des ZUS alors que le revenu moyen a légèrement augmenté en France métropolitaine, en 2011.

Le chômage conduit à une inédite ghettoïsation des quartiers sensibles, dont les habitants n’ont plus de raisons de sortir dés lors qu’ils n’ont plus d’emploi. Les jeunes, qui constituent près de la moitié de la population de ces espaces, sans emploi (principalement à cause du manque de formation, un jeune sur deux n’étant pas diplômé en ZUS), sont ainsi livrés à eux-mêmes dans des espaces manquant cruellement d’infrastructures de services et d’entreprises implantées localement. Désœuvrés, sans réelles perspectives d’avenir, un nombre conséquent d’entre eux se tournent alors vers la seule filière capable de leur procurer rapidement des revenus élevés, le trafic de drogues, quand d’autres préfèrent chercher des réponses à leurs maux dans la pratique d’un islam radical, pouvant les conduire à s’impliquer dans des filières salafistes et djihadistes. Gangrénés par l’implantation durable des narcotrafiquants, dont la pression sur les habitants est quotidienne, et par la montée de la radicalisation islamique, les quartiers sensibles s’enfoncent un peu plus chaque jour dans la violence et la délinquance. Le sentiment d’abandon de l’Etat n’en est que plus renforcé.

Enfin, les incursions policières dans les zones sensibles, émaillées d’affrontements avec les jeunes qui prennent à parti les forces de l’ordre d’un Etat qui ne les aide pas, cristallisent souvent la haine de la police, de l’Etat et in fine de la France au sein de ces quartiers.

Des politiques urbaines insuffisantes

Certes, la mise en place de plans de rénovation des bâtiments a permis d’améliorer les conditions de vie de nombreux habitants et profondément transformé la structure urbaine de plus de 600 quartiers sensibles, comme Clichy-sous-Bois. Cependant, si cet investissement de l’Etat fut financièrement colossal, avec 48 milliards d’euros injectés pour la reconstruction de ces espaces depuis 2005, il lui a manqué une dimension sociale non négligeable. En effet, la seule restructuration urbaine avec la construction de bâtiments de tailles plus modestes avec des logements plus spacieux, accompagnée du désenclavement de ces zones par leur relai aux réseaux de transports en commun, ne suffit plus.

Face à une crise aux multiples causes, non pas une mais des solutions

Pour répondre à la crise des quartiers sensibles, plusieurs axes d’intervention avec différents objectifs doivent être engagés par les services publics.

Tout d’abord, ils doivent permettre l’accès à la culture et au sport aux habitants de ces espaces. La construction d’espaces culturels tels que des bibliothèques, médiathèques, Maison de la Jeunesse et de la Culture ( MJC ) proposant différentes activités, de cinémas, de musées, et la mise en place de nouvelles infrastructures sportives ( piscines, terrains de foot, de basket, etc. ) permettraient aux zones sensibles de devenir des lieux attractifs, où les jeunes peuvent s’instruire, s’accomplir, rêver d’un avenir meilleur et pouvoir réaliser cet avenir en trouvant leur place dans la société française. Conjugués à une amélioration de la formation grâce à la construction d’écoles, collèges et lycées, et de centres de formation, ces dispositifs favoriseraient l’égalité des chances.

Ensuite, ces politiques doivent dynamiser le tissu économique et associatif des zones urbaines sensibles. Par la création d’entreprises et grâce à une hausse de la formation, le chômage serait considérablement réduit. Parallèlement, la mise en place d’associations diverses permettrait une amélioration du vivre ensemble et de la solidarité.

En outre, une implantation policière conséquente est nécessaire pour assurer la sécurité. Le rétablissement de la police de proximité, et la construction de commissariats, de gendarmeries au sein de ces quartiers sensibles sécuriseraient ces zones et faciliteraient le démantèlement des réseaux mafieux et terroristes. De nouvelles formations des forces de l’ordre afin de les aider à mieux connaître le milieu et le climat urbain de ces espaces si particuliers les rapprocheraient des populations et désamorceraient ainsi les tensions.

Enfin, pour briser la ghettoïsation, des partenariats avec des MJC implantées dans des quartiers plus aisés permettraient une mixité sociale non négligeable, tandis que le développement de VTC sous contrat avec la firme Uber redonnerait un emploi à plusieurs individus, et les ferait travailler dans d’autres quartiers que ceux dans lesquels ils vivent. L’implantation d’infrastructures publiques, comme par exemple de mairies, ou encore d’agences de pôle emploi, pousserait un nombre croissant de personnes extérieures aux quartiers sensibles à y venir régulièrement, permettant une fois de plus leur désenclavement.

Sans intervention des pouvoirs publics, ces zones urbaines sensibles constitueront toujours une deuxième France de 4,4 millions d’habitants, exclue et oubliée, où explosent pauvreté, violence, criminalité et djihadisme. L’enjeu est énorme.

Pour aller plus loin

– « Dix ans après les émeutes, le sentiment d’abandon des banlieues », Le Monde.
– « Dix ans après les émeutes de 2005, où est passée la colère des banlieues ? », Le Huffington Post.
– « Dix graphiques sur les « quartiers prioritaires », réservoirs de pauvreté et de chômage », Le Monde.
– « Trente ans de crise des banlieues, trente ans de blocages politiques », Le Monde.
– « Comment la banlieue parisienne s’est ubérisée », Slate.

« Crédit photo Flickr: Liliane Polak »

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