Qu’est ce que le kirchnerisme ?
23 janvier 2013
Qu’est ce que le kirchnerisme ?
Nestor Kirchner accède à la Présidence le 25 Mai 2003 dans un contexte de chaos économique, institutionnel et social. Quasi inconnu du grand public avant sa campagne, il est élu avec une très faible marge et sa légitimité est contestable. Pourtant, dix ans plus tard, le kirchnerisme marque toujours le pouvoir et la femme de l’ancien président, Cristina Fernandez de Kirchner, qui lui a succédé aux affaires, a été réélue au premier tour avec plus de 54% des voix lors des présidentielles de 2011. Comment expliquer un tel succès ? Est-il durable ?
Les Kirchner au pouvoir : quel programme ?
Si l’on peut qualifier le kirchnerisme de « phénomène », c’est en partie parce que rien ne l’annonçait. Nestor Kirchner est élu par défaut avec 22% des voix à la suite du retrait de la candidature de son principal opposant Carlos Menem. Il hérite d’un pays en ruines : le chômage dépasse les 20% et la moitié de la population du pays s’est retrouvée sous le seuil de pauvreté suite à la crise financière de 2001.
La rhétorique de campagne de Nestor Kirchner est en grande partie construite en opposition radicale avec ce qui l’a précédée, c’est à dire la politique tout autant que le style de son prédécesseur, Carlos Menem Caudillo, flamboyant -aimant à se faire photographier en Ferrari- et néolibéral convaincu. Il n’est donc pas surprenant que Kirchner adopte comme slogan de campagne « Pour un pays normal »…
On comprend par ailleurs pourquoi un des axes principaux du programme kirchneriste est sa position économique anti-libérale, en rejet total du Consensus de Washington. Il reconstruit l’économie sur la base du protectionnisme et de l’indépendance face aux grandes institutions de la finance mondiale, dont le FMI. Il refusera notamment tout accord bilatéral de libre échange avec les Etats Unis.
Cette base idéologique lui permet de se rapprocher des autres pays d’Amérique latine qui ont aussi entamé un virage à gauche. C’est surtout vers ces derniers que se tourne la politique internationale des Kirchner : le Venezuela d’Hugo Chavéz est intégré comme membre permanent du Mercosur et l’Argentine œuvre à resserrer ses liens politiques et commerciaux avec le Brésil de Lula.
Enfin, les Kirchner, mari et femme, sont connus pour leur politique de défense des droits de l’homme. Peu après son arrivée au pouvoir, Nestor ouvre à nouveau le procès d’anciens cadres de la dictature amnistiés sous l’ère Menem. En 2004, il demande officiellement pardon de la part de l’État aux victimes des violences et aux familles de « desaparecidos ».
Transversalité et hétérogénéité des soutiens
Le contenu de ce programme n’est, certes, pas entièrement dépourvu de considérations électoralistes. En effet, Nestor Kirchner hérite d’un paysage politique qui s’est retrouvé complètement éclaté aux lendemains de la crise. Les partis traditionnels, tels que le Parti Justicialiste, principale formation péroniste, sont soumis à de graves divisions internes. La confiance des citoyens s’est repliée sur des fractions politiques locales et temporaires dénuées de vision globale et de structures permanentes. Atomisée à l’extrême, la société civile se compose de groupements d’intérêts que rien, a priori, ne rapproche.
C’est là un des succès du kirchnerisme : avoir su tirer avantage d’un tel contexte et s’en servir pour se maintenir au pouvoir. Les différents aspects de son programme répondent en partie à cette stratégie : l’accent mis sur les droits de l’homme touche ainsi de larges pans antimilitaristes de la population offusqués par l’impunité de certains anciens dirigeants militaires. De même, son discours anti-libéral s’adresse aux laissés-pour-compte du ménémisme alors que, paradoxalement, sa politique de relance par les exportations lui fait obtenir le soutien des cercles patronaux des grandes entreprises agricoles.
Au-delà du seul discours, le projet kirchneriste revêt un aspect beaucoup plus stratégique dans le but de s’octroyer le soutien de groupes dont l’appui va être déterminant. Ainsi les équipes du Président entament des négociations avec des dirigeants de plusieurs mouvements sociaux issus de 2001, faiblement organisés et porteurs de revendications variées. Se voyant offrir une place sur la scène publique leur discours est par là légitimé et ils promettent en échange de mobiliser leurs militants en faveur du nouveau Président. De même Kirchner va s’attirer les bonnes grâces du péronisme traditionnel en favorisant les gouverneurs des provinces majoritairement péronistes
Cette stratégie transversale va s’avérer payante : le kirchnerisme est parvenu à pénétrer toutes les couches d’une société atomisée et à faire converger des organisations politiques et partisanes qui s’étaient pourtant caractérisées par leur volonté d’indépendance.
Entre républicanisme et populisme : le style kirchner
Un mot à présent sur le style de gouvernement du couple présidentiel, qui va nous permettre de qualifier le régime qu’il instaure. Selon Graciela Ducatenzeiler 1, on assiste à une démocratie qui se situe à mi-chemin entre républicanisme et populisme : « le cas argentin s’avère être davantage une démocratie qui allie les deux dimensions, et qui, dans cette combinaison, privilégie la démocratie de basse qualité et le respect pour les institutions démocratiques, tout en assurant la perpétuation des pratiques populistes et clientélistes héritées du passé. »
En effet, on assiste souvent à une relégation au second plan des pouvoirs législatifs et judiciaires au profit du pouvoir exécutif qui gravite entièrement autour de la personne du Président. Le volontarisme dont ce dernier fait preuve est justifié par l’entreprise quasi-religieuse de sauver la Nation du chaos dans lequel elle est plongée.
D’autre part l’utilisation d’une conception « ami-ennemi » de la politique contribue à justifier l’aspect populiste que peut revêtir le régime argentin actuel. En effet le discours kirchneriste est toujours à la recherche d’un responsable pour les difficultés rencontrées, qu’il s’agisse des gouvernements antérieurs, des organismes de crédit internationaux ou des journalistes et des médias. Ainsi la Présidente s’est lancée depuis 2009 dans un véritable bras de fer avec le groupe de médias Clarín qu’elle cherche à rendre purement et simplement illégal. De même, devant la reprise des difficultés économiques, la présidente vient de relancer la question des Falklands/Malvinas, selon un procédé habituel en Argentine, au risque, comme l’a montré le précédent de 1982, de jouer l’apprenti-sorcière.
Essoufflement et contestation ?
Quelles sont dès lors les perspectives du kirchnerisme ? Alors que Cristina ne peut pas se représenter aux élections de 2015, le nombre de mandat étant limité à deux, l’anti-kirchnerisme fait de plus en plus entendre sa voix. La preuve en a été donnée le 8 novembre dernier, lors d’une manifestation rassemblant plus 500 000 opposants au gouvernement. Toutefois si les soutiens de la Présidente sont hétérogènes, il en va de même pour l’opposition : sans leader ni revendication précise, la portée de ce mouvement reste à relativiser.
Louise Thin
Crédit photo: Flickr, Mariano Pernicone
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