« Record du chômage » ? 0ui, mais pas là où l’on croit…
29 avril 2013
« Record du chômage » ? 0ui, mais pas là où l’on croit…
Le mot fait, par une sorte d’antiphrase honteuse, les gros titres de la presse : « record ». Le « record » de 1997 a été battu : la France compte aujourd’hui plus de 3,2 millions de chômeurs sans aucune activité. Le constat est alarmant. Il l’est encore plus lorsqu’on regarde la structure de ce chômage. Mais il convient, malgré tout, de regarder de plus près les chiffres, de replacer les données dans leur contexte, et, surtout, de mettre en valeur d’autres qui passent inaperçues…
Méthodologie
Et tout d’abord d’être un peu rigoureux et de ne pas sans cesse comparer des séries hétérogènes. Commencer par exemple par ne pas mélanger France entière (DOM-TOM compris) et France métropolitaine ; catégorie A et ensemble des chômeurs ; source INSEE et source Pôle emploi. Et peut-être alors, enfin, l’analyse de l’évolution du chômage français pourra-t-elle faire consensus ?
2013 n’est pas 1997
Au regard du sensationnalisme dont ont fait preuve presque tous les grands médias, non, ce fameux « record » n’en est pas vraiment un. La raison en est simple ; la France comptait en 1997 25 millions d’actifs ; en 2013, elle en compte 28, soit trois millions de plus[1]. Alors oui, le nombre de chômeurs en valeur absolue est aujourd’hui supérieur ; mais rapporté au nombre d’actifs, le taux de chômage s’élevait, en 1997, à 10,8%[2]. Il est aujourd’hui de 10,2%.
Que les esprits chagrins ne soient pas « déçus » pour autant : les perspectives sont bien plus sombres qu’elles ne l’étaient il y a quinze ans. En 1997, la perspective d’une rapide sortie de crise était raisonnable, et anticipée – sauf par l’entourage de Jacques Chirac ! – ; et elle intervint bientôt, pour le plus grand profit du nouveau gouvernement de gauche. En 2013, il semblerait bien que, malgré les déclarations pleines de bonne volonté de François Hollande, la courbe du chômage ne s’inverse pas de sitôt…
Contre quelques idées reçues
Et s’il fallait tordre le coup à d’autres idées reçues, il conviendrait d’ajouter que les licenciements ne proviennent majoritairement pas des grands groupes, mais des PME et que l’ampleur du traitement des grands plans sociaux est en effet inversement proportionnelle à leur impact sur le taux de chômage. Eh oui, les fins de CDI ne représentent que 3% des inscriptions mensuelles à Pôle emploi, l’immense majorité des nouveaux chômeurs provenant de ruptures conventionnelles, de CDD non-renouvelés et de fins d’intérim. Les « plans sociaux ne sont pas, loin de là le premier motif d’entrée dans le chômage» écrivait un grand quotidien » : en effet, puisqu’ils en sont, tout simplement, le dernier…[3]
« La faute à Sarko » ?
De quoi renvoyer aux oubliettes la fameuse « faute à Sarko », censé avoir reporté à « l’après-6 mai » le tsunami des licenciements collectifs, qui déferlerait depuis sur son malheureux successeur. Refrain que l’on entend, il est vrai, de moins en moins, non pas tant à cause du démenti des chiffres, mais par le simple effet du temps qui passe… Mais le thème de « l’héritage » est encore présent : Jean-Marc Ayrault se dédouanait déjà il y a quelques mois, arguant que « le chômage à 10%, c’est l’héritage Sarkozy ». Quant à François Hollande, il entonnait lui aussi ce refrain de l’héritage, lors de son interview sur France 2 en mars dernier, lorsqu’il évoquait « le million de chômeurs » supplémentaires du quinquennat précédent : oui, si l’on inclut les DOM TOM et l’ensemble des catégories de chômeurs ; mais gare à l’effet boomerang ! A ce compte, François Hollande est déjà arrivé, après seulement 11 mois de présidence, à 40% du « résultat » de Nicolas Sarkozy au bout de 5 ans (+ 440 000 contre + 1, 1 million).
Comparaison n’est pas raison
Curieusement, sauf erreur, personne n’a fait le calcul dans les grands médias. Plus curieusement encore, personne ne l’a fait non plus dans l’opposition. Pourtant un mauvais esprit (de l’UMP) pourrait en déduire qu’au rythme actuel, la France compterait en 2017 quelque 7 millions de chômeurs, soit 2,5 millions de plus qu’au moment du départ de Nicolas Sarkozy …Un esprit plus mal tourné encore pourrait s’amuser à comparer, en invoquant le parallélisme des formes, les 11 premiers mois de Nicolas Sarkozy et les 11 premiers mois de François Hollande : moins 130 000 chômeurs dans le premier cas ; plus 335 000 dans le second (France métropolitaine, catégorie A). Mais il est vrai que l‘UMP a autre chose à faire en ce moment, avec sa « croisade » évidemment prioritaire contre le mariage gay… Tant mieux, au moins sur un point : car ces comparaisons, qui font fi des contextes respectifs, ne sont évidemment pas raisons.
L’approche redoutable du « bilan : an 1 »
Gageons toutefois qu’avec le thème du « bilan : an 1 » de François Hollande qui va très vite envahir tous les médias, ces comparaisons vont être faites et brandies avec la même mauvaise foi que celles des soutiens du pouvoir. Il est peut-être encore temps de rompre avec les présentations partisanes des chiffres du chômage. Il serait temps, face à un sujet aussi sérieux que le chômage de masse, de dépasser les clivages politiques et de faire front commun ; de délaisser la critique facile et de coopérer au nom de l’intérêt national et du redressement du pays. La réalité est déjà assez éprouvante pour le gouvernement actuel.
Le rythme de l’aggravation du chômage a augmenté de 50% depuis mai 2012
L’on voudra bien, pour la cerner, se reporter à une même source, celle de la DARES qui donne des séries homogènes mois par mois, en distinguant les critères du BIT et ceux de Pôle emploi[4]. Une comparaison paraîtra légitime (même durée, même contexte de crise) : les 11 derniers mois de Nicolas Sarkozy et les 11 premiers de François Hollande ; et une constatation semblera alors difficilement contestable : la hausse du chômage s’est nettement accélérée depuis mai 2012 : + 202 000 chômeurs entre juin 2011 et avril 2012 ; + 335.000 entre mai 2012 et mars 2013 (Catégorie A, France métropolitaine, source Pôle emploi).
Soit une accélération de plus de 50% du rythme de la hausse. Affirmation difficilement contestable, comme l’est cette autre : la totalité des destructions nettes d’emplois en France en 2012 s’est produite à partir de mai[5].
« Affirmations difficilement contestables », disons-nous ? Soyons sûrs qu’elles le seront !
Christophe de Voogd et Vincent Destrez–Ostrowski
Crédit photo: Flickr, hellolapomme
[1] Europe 1, « pourquoi 2013 n’est pas 1997 », http://bit.ly/11nwT8w
[2] Le Parisien, http://bit.ly/180YPUQ
[3] http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/04/26/seniors-plans-sociaux-radiations-les-chiffres-du-chomage-a-la-loupe_3167445_3224.html
[4] http://www.emploi.gouv.fr/demandeurs-emploi-dares-1
[5] http://www.insee.fr/fr/themes/info-rapide.asp?id=30&date=20130313
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