Redresser nos finances sans briser la croissance

Fondapol | 06 octobre 2011

 

Selon le projet de loi de finances  pour 2012, notre dette publique devrait atteindre 87,4 % du PIB, après 85,5 % prévus cette année. Pour la première fois, la charge de la dette, autrement dit le montant des intérêts que l’Etat versera pour se financer, sera le premier poste budgétaire l’an prochain, à hauteur de 48,77 milliards d’€ en 2012. Faut-il s’en alarmer ?

La dette publique est-elle dangereuse ?

[1].

Dès lors, dans quelles circonstances la dette constitue-t-elle un danger ?

Face à la dette, agir sur les déficits

Si la dette publique n’est pas dangereuse en elle-même, elle peut le devenir lorsque son niveau est trop élevé relativement au produit intérieur brut (PIB).

En effet, la situation financière d’un État dépend de sa capacité à lever des impôts, elle-même conséquence de la richesse du pays. Plus le volume de dette est important et plus hauts sont les taux d’intérêt. Plus le montant de ces intérêts est élevé, plus le volume des dépenses est significatif. Or il existe un plafond de dépenses pour l’État qui est fonction de ses ressources, donc du PIB qui les alimente. Il existe donc un niveau du ratio dette/PIB au-delà duquel l’État ne peut s’aventurer.

Néanmoins, il est impossible de déterminer ce niveau de façon incontestable. Il faut dès lors changer de paradigme. Au lieu de considérer la réduction de la dette en elle-même, il faut se concentrer sur la stabilisation du rapport entre cette dette et le PIB. Comment faire ? En se concentrant sur les déficits.

Chaque déficit augmente le stock de dette publique, chaque excédent le réduit, le stock (la dette) étant la conséquence de flux (le solde budgétaire).  Pour stabiliser le rapport entre dette et PIB, il faut donc agir sur les déficits.

Les deux déficits

Contenir les déficits serait-il suffisant pour sécuriser nos finances publiques ?

La gestion des finances publiques, en particulier leur redressement, ne peut se faire indépendamment de la conjoncture économique. Or, il existe un décalage de fait entre finances publiques et économie.

Depuis le début des années 1960, la France a connu des cycles d’une durée de sept à neuf ans[2] tandis que les règles institutionnelles en vigueur tablent sur l’annualité budgétaire. Ces règles héritées de la France paysanne ne correspondent plus à la réalité économique d’aujourd’hui. Dans la lutte contre les déficits publics, il ne peut être fait abstraction d’une conjoncture économique pluriannuelle.

En fait, il faut distinguer deux types de déficit, un déficit conjoncturel – lié à l’évolution du cycle – et un déficit structurel – correspondant à la détérioration objective et de long terme de la situation des finances publiques.

Le déficit conjoncturel, qui correspond en quelque sorte à un découvert de trésorerie pendant la période difficile du cycle, est acceptable. En revanche, le déficit structurel, qui correspond à un écart durable entre le montant des impôts perçus et celui des dépenses publiques, est inacceptable. L’objectif que doit se donner une politique budgétaire est de maintenir l’équilibre structurel des finances publiques, en d’autres termes de faire en sorte que le déficit structurel soit nul.

Le creusement inquiétant du déficit structurel français

Or, depuis 1980, dernière année où les finances publiques ont été équilibrées, le déficit structurel français a été régulièrement accru notamment par des mesures dites discrétionnaires, indépendantes de la situation économique.

En réalité, c’est moins le déficit de la période de récession que l’absence d’excédent de la période faste qui est problématique. Ainsi, les années les plus inquiétantes en la matière ne sont pas celles de fort déficit comme 1975, 1983, 1993 ou 2009, car elles correspondent à la période de récession du cycle et sont donc marquées par un fort déficit conjoncturel.

À l’inverse, les années qui posent problème sont les années où la croissance n’a pas été mise à profit pour reconstituer les marges de manœuvre de la politique budgétaire. Il s’agit des années de 1988 à 1990, ou encore des années de 1998 à 2002…

Nos politiques budgétaires ignorent les cycles

La question qui se pose donc pour la France est de savoir comment procéder pour réaliser un effort structurel sans perturber les perspectives de croissance à long terme et sans briser l’élan de la reprise, sachant par ailleurs que, jusqu’à présent, elle s’est montrée incapable d’accomplir un tel effort.

Le gouvernement actuel a d’ailleurs entrepris une politique qui affiche comme objectif, par rapport à 2010, une réduction du déficit de 90 milliards d’euros jusqu’à 2013. Il s’agit de revenir dans les clous du Pacte de stabilité et de croissance, donc d’atteindre un déficit inférieur à 3 % du PIB.

Cet objectif général ne fait pas la part entre déficits structurels et conjoncturels, ce qui a deux effets pervers.

D’une part, le gouvernement fait reposer la réduction des déficits sur une prévision de croissance dont une partie doit servir à absorber le seul déficit conjoncturel, au détriment du déficit structurel.

D’autre part, l’objectif de réduction de nos déficits à 3% du PIB  ne s’inscrit pas dans une logique cyclique. Romano Prodi l’avait souligné de façon brutale alors qu’il était président de la Commission qualifiant le Pacte de stabilité et de croissance de « stupide »[3]. Sans être aussi radical, nous pensons que 3 % de déficit conjoncturel sont plus acceptables que 2 % de déficit structurel, ce que le Pacte de stabilité ne stipule pas.

De nouvelles règles d’or

Face aux dérives constatées dans la gestion des finances publiques, des engagements symboliques forts sont indispensables pour entamer le redressement. Pour être efficaces, ces engagements doivent être à la fois pragmatiques et contraignantes.

Au niveau européen, le pacte de stabilité et de croissance, sans perdre sa force, doit permettre aux Etats-membres de s’adapter à la conjoncture. De même, introduire dans la Constitution une « règle d’or » suppose de la mettre en cohérence avec la logique du cycle. Pour qu’une telle règle soit efficace, elle devrait être formulée en termes d’équilibre structurel des finances publiques.

A cette fin, il devrait être possible de créer dans chaque pays des instances indépendantes, fournissant une évaluation de la réalité conjoncturelle à destination du gouvernement en charge de préparer le budget, soumis au parlement.

Cette évaluation servirait de fondement à la détermination du déficit acceptable, limité par définition au déficit conjoncturel. Mais il faut avoir conscience que de tels organismes ne pourraient jamais fournir une évaluation suffisamment précise du déficit acceptable pour en faire un élément de droit opposable.

Il est dès lors nécessaire d’adopter une règle de gestion des finances publiques en stabilisateurs automatiques. Il s’agit concrètement de faire évoluer les dépenses publiques comme le PIB potentiel et d’adopter une fiscalité qui, par son contenu, évolue comme le PIB réel. Dans un tel mode de gestion des finances publiques, la phase d’expansion dégage des excédents conjoncturels, et celle de récession produit des déficits, sachant que le déficit structurel reste égal à zéro.

Jean-Marc Daniel

Crédit photo : Google Images, Gedefr


[1] Richard Musgrave, The Theory of Public Finance. A Study in Public Economy, New York, 1959

[2] Ce type de cycle est appelé en général cycle de Juglar. Il a été décrit avec précision par Keynes dans le chapitre XXII de la Théorie générale et a été formalisé dans l’oscillateur de Hansen-Samuelson.

[3] Entretien au journal Le Monde, 17 octobre 2002

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