Réélection du président Daniel Noboa : l’Équateur au pied du mur

David Biroste | 30 juin 2025

Docteur en droit public, auteur de Financement et transparence de la vie politique (LGDJ Lextenso, 2015)
Vice-Président de l’association LATFRAN – France-Amérique latine (latfran.org).

Notes

1.

Les liens renvoyant vers les références citées dans cette étude ont tous été vérifiés le 8 mai 2025.

+ -

2.

Résultats officiels sur le site du Conseil national électoral (CNE) [en ligne]. Conformément aux articles 217 à
219 de la Constitution, le CNE exerce un pouvoir indépendant chargé d’organiser les scrutins dans le pays (Texte de la Constitution de 2008, amendé en 2021) [en ligne].

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La réélection de Daniel Noboa à la présidence de l’Équateur, le 13 avril 2025, marque une étape cruciale pour un pays en proie à une crise protéiforme. Confronté à une explosion de la violence liée au narcotrafic, à une fragmentation politique persistante et à de nouveaux équilibres régionaux, ce pays de 18 millions d’habitants illustre les tensions contemporaines en Amérique latine 1.

Après la surprise de son arrivée en tête au premier tour avec un très faible écart sur sa concurrente de gauche Luisa González (seulement 17 000 voix d’avance sur 13,7 millions d’électeurs), le Président Noboa réussit à s’imposer beaucoup plus largement au second tour avec 55,6% des suffrages et un million de voix de plus 2. Dans un contexte d’insécurité maximale et d’état d’urgence, ce scrutin présidentiel ne règle pas complètement la question de la gouvernance pour les quatre prochaines années, en raison de la fragmentation des forces politiques au Parlement. Il entraîne des conséquences inévitables sur le rôle de ce pays andin dans la géopolitique régionale à la suite du retour de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier dernier.

UNE NOUVELLE ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE SUR FOND DE CRISE SÉCURITAIRE

Notes

3.

« La crise en Équateur à la veille des élections présidentielles du 20 août 2023 a révélé la force du trafic de drogue (essentiellement de la cocaïne) dans la région des pays andins (Colombie ; Pérou ; Équateur ; Bolivie et la frontière amazonienne du Brésil), en lien avec les cartels mexicains qui sont chargés d’une “exportation” vers les marchés internationaux », Pascal Drouhaud, « L’Amérique latine en 2025 : l’année de tous les dangers », Revue politique et parlementaire, 30 janvier 2025 [en ligne].

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4.

Michel Faure, « L’Équateur en guerre contre les narcos », Conflits, N° 51, mai-juin 2024, p. 26 [en ligne] ; Corine Chabaud, « Le narcotrafic, enjeu central de l’élection présidentielle à venir en Équateur », La Vie, 21 janvier 2025 [en ligne].

+ -

5.

“Victims of intentional homicide”, United Nations Office on Drugs and Crime [en ligne].

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6.

Juliana Manjarrés, Christopher Newton et Marina Cavalari, « Balance de InSight Crime de los homicidios en 2024 », InSight Crime, 26 février 2025 [en ligne].

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7.

Maria Fernanda Noboa Gonzalez, « Équateur : comment le “havre de paix” de l’Amérique du Sud est devenu l’un des pays les plus violents du monde », The Conversation, 24 janvier 2024 [en ligne] ; l’Équateur est devenu « un hub pour la cocaïne » où se déroule « une “guerre contre les gangs” », Xavier Houdoy, « En Équateur, l’emprise croissante des narcos », Carto, N° 83, mai-juin 2024, p. 38.

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8.

Dagoberto Escorcia, « La violencia machaca Ecuador : un asesinato cada hora y miles de desaparecidos », La Verdad, 23 avril 2025 [en ligne].

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L’élection présidentielle équatorienne se déroule dans un climat de violence généralisée. En quelques années, le pays est devenu une plaque tournante du narcotrafic, victime de sa situation géographique stratégique sur la façade pacifique entre les deux principaux producteurs mondiaux de cocaïne, la Colombie et le Pérou 3. Depuis plus de cinq ans, le phénomène se traduit par un essor des homicides, une infiltration des institutions par les cartels, une prise de contrôle des prisons par les gangs et une militarisation croissante de l’espace public 4. Autrefois très calme, avec un taux d’homicides d’environ 6 pour 100 000 habitants (soit moins de 400 meurtres en 2018 par exemple), l’Équateur connaît une vague de violences très forte depuis la période de la Covid-19, avec un taux de 45,72 pour 100 000 en 2023 5, puis 38,8 pour 100 000 en 2024 6, représentant tout de même le taux le plus élevé en Amérique latine, excepté Haïti dont les chiffres ne sont pas connus 7. Avec un meurtre par heure en janvier, février et mars, soit 2 361 homicides volontaires recensés en trois mois (contre 1 428 pour la même période en 2024), le premier trimestre 2025 est le plus violent de l’histoire du pays 8. Tous les candidats font donc l’objet d’une sécurité renforcée pendant la campagne électorale.

Notes

9.

Éric Samson, « Daniel Noboa élu plus jeune président de l’histoire de l’Équateur », RFI, 16 octobre 2023 [en ligne].

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10.

En application de l’article 148 de la Constitution, le président de la République peut contrer une procédure de destitution en décrétant la dissolution de la chambre unique du Parlement et mécaniquement la fin de son propre mandat. Inversement, l’article 130 de la Constitution permet à l’Assemblée législative de destituer le président qui souhaiterait la dissoudre. Voir Luis Fernando Guevara Mena, « La “muerte cruzada” en la Constitución del Ecuador : disolución de la Asamblea Nacional y elecciones anticipadas », Polo del Conocimiento, Vol. 8, N° 11, Novembre 2023, p. 405-417 ; Damaris Gabriela Gonzalez Plua et Diana Katherine Lopez Peñafiel, La muerte cruzada y su falta de regulación en la legislación ecuatoriana, Mémoire pour le grade d’avocat, Université catholique de Santiago de Guayaquil, août 2024.

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11.

Vanessa Buschschlüter, “Guillermo Lasso: Ecuador’s President dissolves parliament”, BBC News, 17 mai 2023 [en ligne] ; Tom Phillips et Dan Collyns, “Ecuador’s embattled president dissolves congress in bid to avoid impeachment”, The Guardian, 17 mai 2023 [en ligne].

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12.

David Biroste, « Quelle voie pour l’Équateur à la veille de l’élection présidentielle ? », Revue politique et parlementaire, 7 février 2021 [en ligne].

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13.

Alexandra Valencia, “Ecuador presidential candidate Villavicencio assassinated”, Reuters, 10 août 2023 [en ligne] ; Éric Samson, « Équateur : six Colombiens, inculpés pour l’assassinat de Fernando Villavicencio, tués en prison », RFI, 7 octobre 2023 [en ligne].

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14.

Condamné par contumace à 8 ans de prison et 25 ans d’inéligibilité pour corruption dans une affaire de pots-de-vin ayant servi à financer son parti politique, Rafael Correa vit en Belgique, pays d’origine de son épouse. Il a toujours dénoncé le caractère politique des poursuites lancées contre lui. Cette affaire de corruption avait été révélée dans un article publié par le journaliste précité Fernando Villavicencio et son collègue Christian Zurita : « Odebrecht y otras multinacionales pusieron presidente en Ecuador », www.milhojas.is, 3 mai 2019 [en ligne] ; Il s’agissait du volet équatorien du gigantesque scandale de corruption lié au groupe brésilien de BTP Odebrecht. Antonio Jiménez Barca, « Amérique latine. L’affaire Odebrecht, une corruption qui éclabousse le continent », Courrier international, 22 février 2017 [en ligne].

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15.

Le 7 janvier, Fito, le chef du gang le plus puissant d’Équateur, Los Choneros, s’est évadé d’un centre de sécurité maximale dans lequel il effectuait une peine de 34 ans de prison. De même, Fabricio Colon Pico, alias El Salvaje, chef de Los Lobos, le deuxième gang le plus puissant du pays, s’est évadé de prison. Et simultanément, des émeutes ont éclaté dans six prisons du pays. Voir Felipe Botero, « El crimen organizado declara la guerra: El camino hacia el caos en Ecuador », Global Initiative, février 2024 [en ligne].

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16.

Anne Corpet, « L’Équateur en état de “guerre interne” », RFI, 11 janvier 2024 [en ligne].

+ -

17.

« L’assassinat d’un candidat à l’élection présidentielle en Équateur cet été a marqué un tournant et une prise de conscience du défi posé par un trafic de cocaïne en pleine croissance. Les cartels s’efforcent de multiplier les axes logistiques notamment vers l’Asie, l’Équateur devenant une plateforme de transit à cause de sa façade maritime ». Pascal Drouhaud, « L’Équateur et le défi du trafic de cocaïne en croissance », Revue Défense Nationale, N° 863, octobre 2023, pp. 115-119 [en ligne].

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18.

Lorena Baires, “Controversial Chinese Company Behind New Prison Project in Ecuador”, Diálogo Américas, 1er octobre 2024 [en ligne].

+ -

19.

Andrew Beatty, « Sprint final pour les candidats à l’élection présidentielle en Équateur », L’Opinion (avec AFP), 7 février 2025 [en ligne].

+ -

20.

Andrew Beatty, « Sprint final pour les candidats à l’élection présidentielle en Équateur », L’Opinion (avec AFP), 7 février 2025 [en ligne].

+ -

21.

Sources : Fonds monétaire international au 10 avril 2025 [en ligne].

+ -

22.

Le président Noboa a décrété le 12 avril l’état d’urgence dans la capitale, dans sept provinces et dans l’ensemble des prisons : Éric Samson, « Équateur : état d’urgence dans sept provinces pour le second tour de la présidentielle », RFI, 13 avril 2025 [en ligne].

+ -

23.

Bien que la candidate malheureuse ait contesté les résultats du scrutin présidentiel et demandé un recomptage des suffrages, alléguant sans preuve l’existence de fraudes, les observateurs internationaux ont rejeté les accusations de manipulations électorales, même s’ils ont pu constater ponctuellement des irrégularités, notamment liées à la situation d’état d’urgence décrétée la veille du second tour : Marie Delcas, « En Équateur, Daniel Noboa réélu haut la main, l’opposition conteste les résultats », Le Monde, 14 avril 2025 [en ligne].

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L’élection présidentielle de 2025 ne peut se comprendre sans revenir sur les circonstances exceptionnelles qui ont porté Daniel Noboa au pouvoir en 2023 à l’âge de 35 ans 9. Face à une violence criminelle croissante et à une crise constitutionnelle paralysant la gouvernance du pays, le Président Guillermo Lasso, élu en 2021, a pris la décision inédite d’actionner le mécanisme constitutionnel dit de la « mort croisée » en avril 2023 10. Pour contrer la procédure de destitution que l’Assemblée nationale a lancée contre lui à cause de soupçons de corruption, il a dissous cette dernière, mettant ainsi fin dans le même temps à son propre mandat présidentiel et déclenchant des élections générales anticipées 11. Le Conseil national électoral a alors programmé rapidement des élections afin que soient désignés un Président et des députés pour achever les mandats initiaux débutés en 2021 12.

Au cours de la campagne présidentielle de l’été 2023, à onze jours du premier tour, les groupes criminels ont assassiné le candidat numéro deux des sondages, Fernando Villavicencio, un journaliste spécialisé dans les enquêtes sur la corruption 13. Dans ce contexte, la campagne présidentielle de 2025 prend des allures de revanche sur celle de 2023, avec un second tour opposant le président sortant Daniel Noboa à Luisa González, candidate de gauche soutenue par l’ancien président Rafael Correa, exilé en Belgique, qui mise sur la victoire de son « héritière » pour espérer un retour à Quito 14. La question sécuritaire est tellement prépondérante dans le débat présidentiel que les sujets économiques, sociaux, énergétiques et internationaux sont marginalisés. Bien que son mandat de 15 mois ait été très court, Daniel Noboa met en avant son bilan, en particulier avec le rôle des forces armées face à la violence presque incontrôlable des gangs auxquels il a déclaré la guerre. En effet, après une nouvelle détérioration du climat sécuritaire fin 2023-début 2024 15, Daniel Noboa annonce le 9 janvier 2024 que le pays est en état de « conflit armé interne » contre 22 groupes criminels qualifiés de « terroristes » 16 ; il militarise ainsi la lutte contre les bandes armées qui se déchirent sur fond de trafic de cocaïne depuis quelques années 17 et ordonne la construction d’une « méga-prison de sécurité maximale » dans la province de Santa Elena pour un montant de 52 millions de dollars 18. Face à cette politique de la « main dure » 19, Luisa González critique l’inefficacité du tout répressif, proposant une approche plus préventive et sociale, plus respectueuse des droits de l’homme 20.

Sur le plan économique, la croissance du PIB faiblit : après un rebond à 6,2 % en 2022, elle est tombée à 2,4 % en 2023, puis à -2 % en 2024, et est estimée à 1,7 % en 2025, selon le FMI. L’économie équatorienne est très sensible aux fluctuations des prix du pétrole, secteur qui représente entre 15 et 20 % du PIB et la moitié des recettes liées à l’exportation : en 2023, le pays a dû faire face à un recul de 66 % des recettes pétrolières. La dette publique atteint désormais 57 % du PIB. La place importante du travail informel entraîne un manque de recettes fiscales préjudiciable au développement des politiques publiques nationales, même si l’État a pris récemment des mesures fiscales ambitieuses comme la hausse du taux de TVA de 12 % à 15 %.

Le taux élevé de criminalité décourage les touristes et les investisseurs et accentue, par conséquent, les difficultés économiques du pays 21. Au second tour du scrutin présidentiel, la participation élevée (84 %) témoigne de la forte mobilisation des électeurs dans un contexte de tension extrême 22 et l’échec de Luisa González traduit un rejet persistant du courant politique corréiste 23.

LA QUESTION DE LA GOUVERNABILITÉ FACE À LA FRAGMENTATION DE LA VIE POLITIQUE

Notes

24.

Richard Ortiz Ortiz, « Los problemas estructurales de la Constitución ecuatoriana de 2008 y el hiperpresidencialismo autoritario », Estudios constitucionales, Vol. 16, N° 2, décembre 2018 [en ligne].

+ -

25.

Articles 118 à 140 de la Constitution. L’Assemblée sortante compte 137 membres élus, mais 151 sièges étaient à pourvoir en 2025 : en effet, l’article 118 de la Constitution renvoie à la loi le soin de déterminer le nombre exact de députés et la loi électorale prévoit que ce nombre tienne compte du recensement le plus récent de la population (qui date de 2022).

+ -

26.

Articles 141 à 166 de la Constitution. Selon l’indice de l’État de droit du World Justice Project, l’Équateur se situe à la 97e place sur 142 pays observés en 2024 [en ligne].

+ -

Encadré par sa Constitution de 2008, le pouvoir de la République d’Équateur relève d’un régime présidentialiste 24. Il est réparti entre les trois fonctions classiques (législative, exécutive et judiciaire). Un parlement monocaméral dénommé « Assemblée nationale » exerce le pouvoir législatif : élus pour un mandat de quatre ans au suffrage universel direct, les députés sont rééligibles une seule fois 25. À la fois chef de l’État et chef du gouvernement, le président de la République exerce le pouvoir exécutif : il est élu pour quatre ans au suffrage universel direct sur le même bulletin de vote que le vice-président, obligatoirement de sexe opposé, et n’est rééligible qu’une seule fois. Pour gagner au premier tour, un « ticket » doit obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés ou bien atteindre au moins 40 % de voix avec un écart d’au moins 10 points sur le deuxième 26.

Si la victoire de Daniel Noboa cette année lui confère une légitimité populaire renforcée, elle ne garantit pas une gouvernance stable dans une Assemblée nationale fragmentée après le scrutin du 9 février dernier. Son parti « Action démocratique nationale » (ADN) ne dispose pas de la majorité avec ses 65 sièges (+51 par rapport à 2023) sur 151, tandis que le Mouvement de la révolution citoyenne (MRC-RETO) de Luisa González a obtenu 67 sièges (+13 par rapport à 2023) : Noboa devra composer avec diverses forces politiques aux intérêts divergents, dont le Parti social-chrétien (PSC : 4 sièges), parti de la droite conservatrice, et le Mouvement de l’unité plurinational Pachakutik (MUPP : 9 sièges), parti indigéniste classé à gauche. Dans un système politique marqué par l’instabilité chronique et l’effritement des partis traditionnels, la formation de coalitions durables s’annonce difficile. La nouvelle législature a débuté le 14 mai.

Notes

27.

Éric Samson, « Équateur : au lendemain de la présidentielle, les corréistes se divisent », RFI, 15 avril 2025 [en ligne].

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Cette configuration rappelle celle de la plupart des présidences équatoriennes depuis les années 1990, exception faite de la décennie corréiste (2007-2017), au cours de laquelle “Alianza País” a bénéficié d’une majorité parlementaire confortable. Pour le président Noboa, la principale marge de manoeuvre résidera dans sa capacité à rassembler des soutiens ponctuels autour de projets sécuritaires ou budgétaires. Il devra faire oeuvre de diplomatie et de pragmatisme, sinon les réformes plus structurelles (fiscales, sociales, institutionnelles) risqueront de ne pas trouver de majorité.

En outre, la polarisation reste forte. Bien que condamné et en exil, Rafael Correa conserve une influence non négligeable sur une partie de l’électorat. Le rejet de ses pratiques politiques constitue néanmoins un ciment fort pour la coalition anticorréiste de Daniel Noboa, mais peut empêcher aussi l’émergence d’un consensus national sur les priorités de sortie de crise. La contestation des résultats de l’élection par Luisa González, malgré l’écart significatif, illustre cette tension latente, alors que les partisans de Rafael Correa se divisent depuis le nouvel échec du 13 avril : plusieurs cadres du mouvement, comme le maire de Quito, ont refusé de suivre la candidate, battue dans sa contestation des résultats du scrutin présidentiel, et ont rapidement reconnu la validité de la victoire du président sortant 27.

LE FUTUR RÔLE DE L’ÉQUATEUR DANS LA GÉOPOLITIQUE DU CONTINENT AMÉRICAIN

Notes

28.

Article 5 de la Constitution : « L’Équateur est un territoire de paix. La création de bases militaires ou d’installations étrangères à des fins militaires étrangères n’est pas autorisée. Il est interdit de céder des bases militaires nationales à des forces armées ou de sécurité étrangères. »

+ -

29.

Le SOFA a été signé sous la présidence de Guillermo Lasso en 2023 et ratifié sous la présidence de Daniel Noboa en 2024. Ces accords augmentent la présence militaire américaine en Équateur, par exemple dans les îles Galápagos et dans les ports de Manta et Guayaquil. En contrepartie, les États-Unis ont versé 180 millions de dollars au titre de l’assistance en matière de sécurité et ont formé des centaines de policiers et de fonctionnaires du ministère de la Justice. Voir Emilien Pérez, « L’Équateur ouvre la porte à la militarisation étrangère des Galápagos », Courrier international, 10 janvier 2025 [en ligne] ; Anne Theisen, « Les Swaps en Équateur dans un contexte de militarisation étasunienne », Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, 5 février 2025 [en ligne].

+ -

30.

Voir sur cette question, Pascal Drouhaud et David Biroste, « Nicaragua : le méthodique abandon démocratique », Revue Défense Nationale, N° 879, avril 2025, pp. 121-127.

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La réélection de Daniel Noboa à Quito arrive peu après le retour de Donald Trump à Washington, dans un contexte de reconfiguration régionale. La nouvelle administration américaine place à nouveau la lutte contre le narcotrafic au coeur de son agenda continental, offrant à l’Équateur un partenariat privilégié et stratégique dans sa guerre contre les cartels. Le Président Noboa sollicite une coopération militaire renforcée et n’exclut pas l’accueil de bases américaines, malgré l’interdiction constitutionnelle actuelle 28. Le 15 février 2024, la Maison Blanche et le Palais Carondelet ont renforcé leur collaboration en signant plusieurs traités de coopération militaire, dont le SOFA (Status of Forces Agreement) 29. Bien que critiqué par l’opposition pour avoir « bradé » la souveraineté du pays, Daniel Noboa assume ce rapprochement stratégique, qui renforce son efficacité dans la lutte contre le crime organisé et permet aux États-Unis de limiter l’influence de la Chine et de la Russie dans la région 30.

Notes

32.

Pour mémoire, la police équatorienne a forcé les portes de l’ambassade mexicaine à Quito, en avril 2024 en violation des règles internationales protégeant les locaux consulaires, pour arrêter l’ancien vice-président de Rafael Correa, Jorge Glas, poursuivi pour corruption ; le Mexique a alors rompu ses relations diplomatique avec l’Équateur et l’a attaqué devant le Cour internationale de justice où l’affaire est toujours pendante : Charlotte Van Ouwerkerk, « La CIJ rejette la demande de mesures d’urgence du Mexique », La Presse, 23 mai 2024 [en ligne].

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33.

Romain Migus, « La Chine s’amarre au Pérou », Le Monde diplomatique, avril 2025, p. 8 [en ligne].

+ -

34.

R. Evan Ellis, “Ecuador’s Incoming Government Faces Difficult Choices Regarding China”, The Diplomat, 5 mai 2025. Cet article montre le lobbying agressif des Chinois pour empêcher la tenue d’un forum universitaire indépendant (c’est-à-dire non financé par Pékin) sur la présence de la Chine en Amérique latine [en ligne].

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35.

Fondée en 2004 par Cuba et le Venezuela.

+ -

36.

Créée en 2010 pour être une alternative à l’OEA (considérée comme soumise aux États-Unis).

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En matière de relations diplomatiques, l’enjeu du scrutin présidentiel réside en effet dans la continuité ou non de la relation avec l’allié américain. Luisa González rejette l’interventionnisme de l’Oncle Sam, dans la droite ligne altermondialiste de son mentor. À l’heure où l’administration Trump 2 met en place sa nouvelle politique d’influence sur le sous-continent, considéré pendant longtemps comme le pré carré des États-Unis mais délaissé ces dernières années, l’Équateur se positionne comme un allié fidèle. D’ailleurs, Daniel Noboa a été l’un des rares chefs d’État présents à l’investiture de Donald Trump le 20 janvier dernier et à se rendre le 29 mars suivant à la résidence personnelle du président américain en Floride (Mar-a-Lago).

Cette proximité avec Washington devrait accélérer l’équipement, la formation et l’appui logistique des forces équatoriennes. Mais elle n’est pas sans risques pour les observateurs. Incarnée par Nayib Bukele (lui aussi proche du nouveau président américain), la réussite du modèle salvadorien en matière de sécurité fascine en Amérique latine en général, et au sein de la droite équatorienne en particulier ; elle interroge plus largement en Occident 31. Dans la guerre totale déclarée aux bandes armées sur fond de narcotrafic, l’importation d’un modèle autoritaire salvadorien pourrait être une solution provisoire efficace. Cependant, elle poserait des problèmes d’image internationale en raison de sa difficile, mais pas impossible, conciliation avec le respect des droits humains, question soulevée par plusieurs ONG.

Dans ses relations régionales, l’Équateur doit également composer avec ses voisins immédiats. La brouille avec le Mexique va perdurer puisque la présidente Claudia Sheinbaum refuse de renouer des liens diplomatiques tant que Daniel Noboa sera président 32. Plus globalement, la gauche latino-américaine se divise puisque les présidents Gabriel Boric (Chili), Luiz Inácio Lula da Silva (Brésil) et Xiomara Castro (Honduras) reconnaissent la victoire de Daniel Noboa, tandis que les présidents Gustavo Petro (Colombie), Nicolás Maduro (Venezuela) et les Ortega- Murillo (Nicaragua) la rejettent. Par ailleurs, Gustavo Petro est partisan d’une approche moins répressive du narcotrafic : ne serait-ce que dans le cadre de la lutte contre le trafic de cocaïne et la gestion des migrants (souvent vénézuéliens et passant par le territoire colombien), la coopération entre l’Équateur et la Colombie devra reprendre pour le bien commun des deux pays ; mais, bien que vitale, la coordination sécuritaire s’annonce délicate entre les deux États. Avec le Pérou, où les cultures de coca progressent à nouveau, la coopération reste un impératif, malgré une instabilité politique persistante à Lima. Enfin, sous l’influence des États- Unis, l’Équateur pourrait décider de sortir officiellement des Nouvelles routes de la soie (programme chinois « La Ceinture et la Route » qu’il a rejoint en 2018) afin de devenir un concurrent du méga port chinois construit en eau profonde à Chancay, au Pérou, et inauguré par Xi Jinping en novembre 2024 33. Mais Quito ne semble pas encore tout à fait prête à réduire ses relations commerciales avec Pékin (Beijing), comme le montre le choix équatorien récent de l’entreprise chinoise Sinopec pour procéder à de nouveaux forages de puits de pétrole en Amazonie 34.

Sur le plan multilatéral, l’Équateur privilégie une diplomatie pragmatique. Il maintient sa participation à des instances régionales comme la Communauté andine (CAN) et l’Organisation des États Américains (OEA). Toutefois, il prend ses distances avec des organisations plus politisées, telles que l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) 35 ou la Communauté d’États latino-américains et caraïbes (CELAC) 36. Ce repositionnement consacre une rupture franche avec l’héritage corréiste, fondé sur une alliance sud-américaine alternative. Daniel Noboa n’est pas un partisan du Sud global.

Avec la réélection du président Noboa au terme d’un premier mandat de seulement 15 mois, l’Équateur se retrouve au pied du mur, à la croisée des chemins, face à son destin. Le chef de l’État dispose d’un mandat renforcé et désormais de quatre années pour agir. Il doit composer avec une réalité politique interne (l’absence de majorité parlementaire pour l’instant) et un environnement régional en mutation.

Notes

37.

L’Équateur va conclure en 2025 un contrat avec le groupe d’Erik Prince, le fondateur de la société de sécurité privée Blackwater (revendue en 2011), pour conseiller et former les forces de sécurité du pays dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue et le terrorisme. Agence EFE, « Erik Prince volverá a Ecuador contratado para formar a fuerzas de seguridad », El Comercio, 20 juin 2025 [en ligne].

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38.

Javier Corrales, « Autocratic Legalism in Venezuela », in Dossier « The Authoritarian Resurgence », Journal of Democracy, Vol. 26, N° 2, avril 2015, p. 38 : le « légalisme autocratique comporte trois éléments clés : l’utilisation, l’abus et le non-usage de la loi au service du pouvoir exécutif » ; Kim Lane Scheppele, « Autocratic Legalism », The University of Chicago Law Review, Vol. 85, N° 2, mars 2018, p. 545.

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Sa politique sécuritaire reste sa priorité 37 : en effet, du 27 avril au 8 mai, il effectuait une première tournée internationale en Europe et au Moyen-Orient pour trouver des alliés dans sa lutte contre le crime organisé (Espagne, Émirats arabes unis, Israël, Royaume-Uni et France). Cependant, va-t-il éviter de tomber dans une gouvernance autoritaire ? L’avenir de l’Équateur dépend de sa capacité à dépasser la seule logique punitive et à ne pas céder à la tentation du légalisme autocratique 38, en somme à s’attaquer aux autres aspects de la crise : pauvreté, attractivité économique, renforcement de l’éducation et de la formation. Daniel Noboa va devoir se comporter en président de tous les Équatoriens, par exemple en mettant en place une politique de relance économique diversifiée pour être moins dépendant des ressources de l’extractivisme et des cours du pétrole. Il devra probablement aussi favoriser une politique sociale inclusive afin de s’assurer un soutien populaire pérenne.

Face aux enjeux de gouvernance, de recomposition politique et de dépendance stratégique, l’Équateur cherche son équilibre et de nouvelles alliances. Au-delà d’un simple virage sécuritaire, ce premier vrai mandat de Daniel Noboa devra poser les bases d’une stabilité durable, capable de faire renaître la confiance dans les institutions démocratiques et le fonctionnement de l’économie. Dans une région en recomposition géopolitique, l’Équateur devrait continuer à être un partenaire fiable pour les États-Unis, en particulier dans la stratégie d’endiguement des ambitions russes et chinoises.