Règles budgétaire : règles contrainte ou règles d'engagement
Fondapol | 17 octobre 2014
Les règles budgétaires : Règles contrainte ou règles d’engagement
Par @BernardSchwengler, auteur de « Les règles budgétaires. Un frein à l’endettement ? »
Pendant les débats autour de l’adoption du traité budgétaire européen de mars 2012 et de la transposition de certaines de ses dispositions dans le droit national français, les règles budgétaires figurant dans ce traité étaient souvent qualifiées de « règle d’or ». Cette expression fait référence de façon implicite à des dispositions imposant de façon rigide l’équilibre budgétaire et constituant un cadre contraignant pour la politique budgétaire. Il convient en fait d’effectuer la distinction entre deux types de règles budgétaires, en fonction de leurs mécanismes de mise en œuvre.
Le premier type correspond aux règles dont la fonction est de contraindre les décideurs politiques, enclins au biais pour le déficit, à la discipline budgétaire. Ces règles peuvent être qualifiées de règles contrainte. Leur mise en œuvre repose sur des mécanismes d’ordre juridique et l’application de sanctions formelles en cas de non-respect. L’efficacité de ce type de règles suppose un ancrage dans une norme juridique de niveau élevé (Constitution, Traité international) et une procédure de mise en œuvre pilotée par un organisme indépendant du pouvoir politique (Tribunal, Cour constitutionnelle etc…). Les règles allemandes, suisses ou espagnoles s’apparentent à ce type de règles.
Le second type de règles correspond aux règles d’engagement. Les décideurs politiques s’engagent sur des cibles budgétaires qui figurent en général dans des budgets pluriannuels. Ces engagements ne sont pas contraignants d’un point de vue juridique mais ont une dimension politique. Le non-respect des cibles se traduit par un coût politique pour les décideurs politiques. Les règles en vigueur aux Pays-Bas, en Belgique et également dans une certaine mesure en Suède correspondent à ce second type de règles. Mais l’efficacité des règles d’engagement dépend d’un contexte politique et institutionnel spécifique. Dans ces pays, les éléments de ce contexte sont les suivants :
- Le souvenir d’une crise des finances publiques, qui a pour effet que l’opinion publique est sensible aux questions relatives à la discipline budgétaire et au respect des règles budgétaires. (La Suède avec la crise du début des années 1990)
- Le consensus autour des règles budgétaires. Ce consensus peut découler du point précédent mais également du fait que la mise en place des règles budgétaires résulte de négociations menées entre les partis politiques. Il peut s’agir de négociations menées entre les partis de gouvernement et les partis d’opposition (en Suède à la fin des années 1990) ou de négociations menées en vue de la signature d’un accord de coalition entre des partis appelés à gouverner ensemble (Pays-Bas, Belgique). Les incitations au respect des règles découlent du fait que l’absence de respect constitue une rupture de l’accord de coalition et par conséquent un danger potentiel pour la survie du gouvernement. Dans la mesure où il est plus facile de respecter une trajectoire budgétaire établie à partir de prévisions prudentes qu’à partir de prévisions optimistes, l’utilisation de prévisions macroéconomiques prudentes (en général fournies par un comité budgétaire indépendant) au moment de la détermination des cibles budgétaires, correspond à un comportement rationnel.
- L’intervention d’un comité budgétaire, disposant d’une forte légitimité dans l‘opinion publique, sous la forme de recommandations et d’analyses en matière de politique budgétaire.
La règle budgétaire française n’est pas une règle contrainte. La réalisation de l’équilibre budgétaire – en fait l’équilibre structurel – dépend d’une loi de programmation des finances publiques, qui définit la trajectoire menant à cet équilibre. Cette loi de programmation des finances publiques ne constitue pas une contrainte juridique pour le législateur au moment du vote des lois de finance annuelles. La règle budgétaire française a par conséquent les traits d’une règle d’engagement, du moins en apparence. Mais les éléments du contexte politique et institutionnel favorable au respect des règles d’engagement n’existent pas en France. Il n’existe pas de consensus en faveur de la discipline budgétaire et la forme de gouvernement est très différente de celle des pays dirigés par des gouvernements de coalition.
L’un des éléments du caractère inopérant de la règle française provient du fait que les lois de programmation des finances publiques sont établies à partir de prévisions macroéconomiques optimistes. Il en va d’ailleurs de même en ce qui concerne les programmes de stabilité envoyés chaque année à la Commission européenne depuis 1999. Avec des prévisions optimistes, le retour à l’équilibre budgétaire est programmé à moyen terme…avant d’être reporté, du fait d’une croissance moins forte que prévue.
La mise en place en 2013 du Haut conseil des finances publiques, chargé de se prononcer sur la qualité des prévisions macroéconomiques, constitue certes un progrès, dans la mesure où le recours à des prévisions optimistes est plus visible qu’avant. Mais le recours à ces pratiques perdure.
L’avantage d’une règle budgétaire basée sur des budgets pluriannuels réside dans le fait qu’elle permet en principe de concilier le sérieux budgétaire, représenté par la maîtrise des finances publiques en termes de trajectoire budgétaire, et une certaine souplesse : la trajectoire envisagée a un caractère indicatif et en cas d’évolution macroéconomique imprévue les écarts par rapport à la trajectoire sont possibles. Le sérieux budgétaire cependant suppose le recours à des prévisions macroéconomiques prudentes pour l’établissement de la trajectoire budgétaire. Des prévisions macroéconomiques prudentes ne constituent pas en soi une solution au problème posé aux finances publiques par une croissance du PIB faible. Mais elles obligent les décideurs politiques à envisager les questions budgétaires sur une base réaliste et à définir une trajectoire budgétaire crédible.
D’une façon générale, il peut être difficile pour les décideurs politiques d’effectuer des prévisions macroéonomiques prudentes alors que par ailleurs l’action publique suppose une part de volontarisme et d’optimisme. Agir en faveur de l’accélération de la croissance du PIB – ou du moins s’efforcer d’agir dans ce sens – suppose un état d’esprit peu favorable à l’établissement de prévisions macroéconomiques prudentes. Il est par conséquent important d’effectuer une séparation des tâches et de confier l’établissement des prévisions macroéonomiques utilisées pour la programmation budgétaire à un organisme indépendant du pouvoir politique. A cet égard il serait souhaitable, en ce qui concerne la France, que ce soit le Haut Conseil des finances publiques qui effectue les prévisions macroéconomiques servant de base aux différentes lois de finance et aux programmes de stabilité établis par les décideurs politiques.
Crédits photo : Marc Dupuy
Aucun commentaire.