Relents d’une époque que l’on croyait révolue

24 mars 2015

 

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Par Corinne Deloy

La germanophobie qui va croissant, hormis ses relents d’une époque que l’on croyait révolue, empêche tout débat sur la politique allemande et plus largement sur le modèle européen.

Adenauer l’avait annoncé : « Dès que Berlin redeviendra capitale, cela réveillera la méfiance de l’étranger ». La prédiction était bonne si l’on en croit la montée de la germanophobie qui se développe, notamment au sein des élites, depuis quelques années sur le continent européen.

Une germanophobie en forte croissance

Le 12 février dernier, Avgi, le journal de la Coalition de la gauche radicale (SYRIZA), parti au pouvoir depuis le 25 janvier en Grèce, a publié un dessin représentant le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble (Union chrétienne-démocrate, CDU) vêtu d’un uniforme de la Wehrmacht et disant aux Grecs : « Nous allons faire du savon avec votre gras. Nous sommes prêts à discuter des engrais que nous allons fabriquer à partir de vos cendres ». Le Premier ministre Alexis Tsipras a mis deux jours avant de condamner le dessin qui a heurté l’Allemagne.

La caricature des dirigeants allemands en nazis est devenue quasiment banale. Dans la République hellénique, on a pu voir ces dernières années dans de nombreuses manifestations contre la politique d’austérité, qui selon les Grecs leur est imposée par Berlin, des personnes coiffées de casques à pointe, portant des brassards ornés de la croix gammée, arborant des drapeaux nazis ou vêtus d’uniformes SS et marchant bars tendus en criant « Non au IVe Reich ».

Durant la campagne électorale de janvier dernier, Alexis Tsipras avait demandé que la Grèce soit exemptée de sa dette – « L’Allemagne l’a fait en 1953, pourquoi pas la Grèce en 2015 ? » avait-il déclaré – ou que Berlin paie des réparations de guerre à Athènes pour les dommages subis par le pays entre 1941 et 1944.

En Espagne, autre pays très affecté par la crise économique, la chancelière a été comparée à Hitler dans les colonnes du grand quotidien El Pais. « Angela Merkel, comme Hitler, a déclaré la guerre au reste du continent, cette fois pour s’assurer un espace vital économique » a écrit Juan Torres Lopez, professeur d’économie à l’Université de Séville[1]. De nouveau, ces lignes ont offusqué les Allemands mais également une partie des Européens. Le quotidien espagnol les a finalement retirées de son site.

Cette germanophobie n’est pas l’apanage des seuls pays du Sud de l’Europe même si dans ces derniers, elle émane le plus souvent du peuple quand, elle est ailleurs davantage le fait des élites, politiques ou intellectuelles.

« Nous vivons aujourd’hui dans une Europe dominée par l’Allemagne, soit précisément la situation que le projet européen était censé empêcher » a affirmé Nigel Farage, dirigeant du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), certes anti-européen. En août 2011, le Daily Mail publiait un article intitulé La montée du IVe Reich, comment l’Allemagne se sert de la crise financière pour conquérir l’Europe accompagné d’une référence à Joseph Goebbels, ministre de l’Education du peuple et de la Propagande sous le régime nazi de 1933 à 1945. Dans les pages du Daily Telegraph, on pouvait lire : « Là où Hitler avait échoué à conquérir l´Europe par la voie militaire, les Allemands modernes prennent la relève à l´aide du commerce et de la discipline financière. Bienvenue dans le IVe Reich »

Un phénomène qui touche la gauche et la droite

En France, Jean-Luc Mélenchon recourt à des images nauséabondes pour condamner l’Europe qu’il n’hésite pas lui aussi à qualifier de « IVe Reich ». « L’attitude de l’Allemagne est arrogante, dominatrice et conduit l’Europe au chaos. Nous sommes appelés à collaborer dans notre propre intérêt à la politique des intérêts allemands »[2] affirme-t-il dans un langage choisi.

A la fin 2011, Arnaud Montebourg déclare : « La question du nationalisme allemand est en train de resurgir à travers la politique à la Bismarck employée par Mme Merkel (…) Ça veut dire qu’elle construit la confrontation pour imposer sa domination (…) C’estsur notre ruine que l’Allemagne fait sa fortune »[3]. « Si l’Allemagne réussit à imposer la cure grecque à tous les pays européens y compris la France, vous aurez la montée des nationalismes, du populisme dans tous les pays et des extrêmes droites » ajoute le socialiste.

Des propos qui ont fait réagir le franco-allemand Daniel Cohn-Bendit, à l’époque coprésident du groupe Verts au parlement européen, qui accuse Arnaud Montebourg de faire « du Front national à gauche ».

Mais les extrêmes ne sont pas les seuls à s’illustrer par des discours germanophones. Ainsi, quelques jours avant l’envolée d’Arnaud Montebourg, le député socialiste Jean-Marie Le Guen avait affirmé en évoquant la rencontre du président Nicolas Sarkozy avec Angela Merkel pour parler de la crise de l’euro : « C’était Daladier à Munich ».

En 2013 encore, on pouvait lire dans le projet de texte du Parti socialiste pour la Convention de la formation sur l’Europe : « Le projet communautaire de l’Europe est meurtri par l’intransigeance égoïste de la chancelière Merkel qui ne songe à rien d’autre qu’à l’épargne des déposants d’outre Rhin, à la balance commerciale enregistrée par Berlin et à son avenir électoral ».

La germanophobie ne se trouve pas non plus seulement à gauche. En campagne électorale 2007, Nicolas Sarkozy tient à indiquer : « La France n’a jamais cédé à la tentation totalitaire. Elle n’a jamais exterminé un peuple. Elle n’a pas inventé la solution finale. Elle n’a pas commis de crime contre l’humanité ni de génocide »[4].

Enfin, certains intellectuels répandent un discours tout aussi nauséabond comme Emmanuel Todd en 2013 parlant de « volonté allemande d’exterminerles autres entreprises européennes » ou rappelant qu’il existe de « bons Allemands » mais que ceux-ci « ont toujours perdu ou nous ont laissé tomber »[5]. L’ambassadeur de Suède à Paris, Gunnar Lund, avait réagi à l’émission, se déclarant « choqué et blessé en tant qu’Européen par le langage d’Emmanuel Todd ».

Les Français pourtant ne partagent pas la germanophobie de leur classe politique. En effet, selon une enquête d’opinion réalisée par l’IFOP et publiée par Le Journal du dimanche le 14 décembre dernier, 72% d’entre eux ont une bonne opinion d’Angela Merkel, dont les deux tiers des sympathisants de gauche (64%). Une même proportion estime que la France devrait s’inspirer des réformes mises en place par l’Allemagne.

L’Allemagne, entre évitement et désir de puissance

Peut-on reprocher à l’Allemagne de vouloir imposer son modèle économique fondé sur la discipline budgétaire à l’Europe entière ou de faire passer ses intérêts avant ceux de l’Union ? On rappellera tout d’abord que la monnaie unique est moins le résultat d’une exigence de Berlin qu’elle n’émane de la volonté de Paris qui souhaitait par ce biais mettre fin à la domination du Mark. L’Allemagne a accédé au désir de la France à la condition de pouvoir imposer ses règles. On précisera ensuite que la politique économique actuelle de l’Union européenne a été acceptée par les vingt-huit Etats membres et ne reflète donc pas le seul point de vue allemand. Elle est d’ailleurs également défendue par les Pays-Bas, l’Autriche et les Etats nordiques (Finlande, Suède, Danemark).

Après avoir violemment réagi lorsqu’elle a pris conscience que certains Etats membres ne respectaient pas les règles fixées par les traités européens qu’ils avaient pourtant signés, la République fédérale, où le respect de la règle est fondamental, a pourtant toujours fini par accepter ce qu’elle avait d’abord refusé et, in fine, fait de nombreuses concessions depuis le début de la crise économique, notamment en acceptant d’aider les pays en quasi faillite, alors qu’on lui avait assuré qu’elle n’aurait jamais à le faire.

Le Bundestag a d’ailleurs récemment de nouveau voté une nouvelle aide à la Grèce alors qu’une partie de la presse, et notamment le populaire quotidien Bild Zeitung, demandait l’arrêt de toute aide à ce pays.

En fait, Angela Merkel navigue souvent à vue. Si elle est celle qui, en dernier ressort, tranche et assume les décisions en Allemagne, elle ne gouverne pas seule, contrairement par exemple au président français, et doit sans cesse négocier avec son parlement, sa Cour constitutionnelle, les Länder ou encore avec les sociaux-démocrates avec lesquels elle gouverne aujourd’hui. Elle reste cependant extrêmement populaire. Après dix ans de pouvoir, sa cote de popularité atteint les 72%[6] à l’heure où la grande majorité des dirigeants européens sont sanctionnés dans les urnes par leurs populations respectives.

Quand l’Allemagne n’agit pas, c’est la peur d´une Allemagne qui se détourne de l´Europe qui apparaît » a indiqué Joschka Fischer (Verts), ancien ministre des Affaires étrangères (1998-2005). Berlin, mal à l’aise avec la notion même de puissance, semble souvent ne pas véritablement vouloir de ce leadership que sa réussite économique l’oblige à exercer. Au point que Radoslaw Sikorski a pu déclarer en 2011 :«Je serai sans doute le premier ministre polonais des Affaires étrangères de l’histoire à dire ceci: « Je crains moins la puissance allemande que je ne commence à craindre l’inaction allemande » ». 

Porteuse des relents d’une époque que l’on croyait (et souhaitait) révolue, la germanophobie a également pour effet d’empêcher tout véritable débat sur la politique allemande et plus largement sur le modèle européen à l’heure où celui-ci est fortement soumis à la question. L’Union ne peut fonctionner si Berlin et Paris divergent. Elle a besoin d’une volonté politique forte qui a longtemps été incarnée par le couple franco-allemand.

Le problème que révèle la germanophobie ambiante est peut-être moins celui posé par la puissance de l’Allemagne que celui que constitue la fragilité de la France et de plusieurs autres Etats membres dont l’Europe ne peut cependant se passer, ne serait-ce que pour éviter la domination d’un pays qui in fine compromettrait son avenir.

Notre crainte du décrochage et notre peur du déclin devraient nous conduire à nous ressaisir, comme nous avons su le faire dans d’autres temps, en investissant massivement les domaines – l’industrie, la recherche, etc. – dans lesquels excellent nos partenaires allemands.

Crédit photo : fdecomite

[1] El Pais, 24 mars 2013.

[2] C politique, France 5, 22 février 2015.

[3] Questions d’info, La Chaîne parlementaire (France info/Le Monde/AFP), 30 novembre 2011.

[4] Discours de Strasbourg, 18 avril 2007. Ces propos figurent également dans les discours de Caen (9 mars 2007) et de Nice (30 mars 2007) du candidat UMP.

[5] Ce soir ou jamais, France 2, 10 mai 2011.

[6] Baromètre du Spiegel, mars 2015.

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