Remettre à flot le navire français
18 octobre 2013
Remettre à flot le navire français
Augustin Landier, David Thesmar, 10 idées qui coulent la France, Flammarion, 2013, 169 p, 13 €
Délocalisation, chômage, crise : ces mots qui paralysent la France. Pourtant les capacités économiques, sociales et industrielles du pays peuvent permettre de redresser la barre. Est-ce un problème concret ou une persuasion française de ne pas pouvoir lutter contre la tempête ?
« Government is not the solution to our problem »
Si une formule devait caractériser cet essai, de façon provocatrice, ce serait celle prononcée par Ronald Reagan, lors de son premier discours de l’Union en 1981. Ce petit livre, partagé en dix chapitres thématiques, porte sur les politiques économiques structurelles et les (trop) nombreuses idées reçues s’y rattachant. Commis par un duo d’économistes désormais reconnus dans le début public, ce livre prolonge l’ouvrage de salubrité économique entamée il y a six ans[i].
Alors que le débat est saturé d’appels à la « réindustrialisation » du pays[ii], à l’émergence d’un Etat stratège et à la fin de la dictature des marchés, les deux économistes balayent une à une des idées regrettablement ancrées dans le débat français. Ils démontrent ainsi la nocivité des concepts qui fondent la nouvelle toile de fond du débat économique : du capitalisme nostalgique au « colbertisme 2.0 », la France semble regarder dans le rétroviseur au lieu de se préparer, grâce à ses atouts, à l’économie de demain.
De quoi « industrie » est-il le nom ?
La désindustrialisation et ses affres sont devenus un lieu commun, l’industrie est parée de toutes les vertus : sans elle, point de croissance, point d’exportations, point d’emplois et, in fine, point de salut… Les appels à une « industrie forte »[iii] se tournent avec une nostalgie non dissimulée vers l’âge d’or des années Pompidou, ses grands projets, ses champions nationaux et sa croissance de plus de 6 % par an. Et pourtant, comme le montrent les auteurs, les économies modernes sont principalement caractérisées par un puissant secteur des services.
Les services sont le véritable moteur de la croissance, contribuant à l’accroissement du PIB de 98 % dans les années 2000, mais déjà de plus de 65 % pendant les Trente Glorieuses (dont 15 % correspondant à la finance et à l’immobilier contre seulement 20 % pour l’industrie). D’autre part, il est notable que les pays dont le secteur industriel est relativement plus important ont vu leur richesse par habitant croître moins rapidement ces vingt dernières années, démontrant qu’aucun lien n’existe entre faible croissance et désindustrialisation.
En outre, les services sont source de compétitivité : en France, ils représentent aujourd’hui près de 80 % de l’investissement et 60 % des emplois de R&D. D’autre part, ils participent activement au commerce extérieur français, contrairement à la croyance commune. En effet, ces derniers contribuent de façon décisive à la valeur ajoutée qui est ensuite exportée. Calculée ainsi, 55% de la valeur des exportations brutes totales proviendraient des industries de services[iv].
L’entretien du « Jurassic Park » industriel
L’idée que le chômage serait dû à la désindustrialisation a la vie dure. Il est souvent mis en avant que l’industrie aurait un « effet d’entraînement » fabuleux… par les lobbys industriels eux-mêmes. En réalité, l’élasticité de l’emploi industriel sur l’emploi total est faible ; d’autant plus au niveau macroéconomique : à peine 0,1 selon les auteurs. A vrai dire, il y a une méprise profonde sur ce que sera l’industrie de demain en France. Celle-ci sera robotisée ou ne sera pas[v], fera travailler des ingénieurs et des fonctions support.
L’emploi de demain ne ressemblera pas à celui d’aujourd’hui. Il sera probablement divisé en deux catégories : ceux ayant un contact direct avec le client (santé, services à la personne, emplois commerciaux) et ceux manipulant des concepts abstraits (ingénieurs, cadres, juristes…). Cette bipolarisation posera également d’autres problèmes par ailleurs. Le peu d’emploi restant dans l’industrie sera de plus en plus qualifié ; pour les non-diplômés, les gisements d’emploi résideront dans les services.
« Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue à bouger, régulez-le. Si ça s’arrête de bouger, subventionnez-le »[vi] : les limites de l’Etat stratège
La liste des échecs des grands programmes industriels impulsés par l’Etat est longue : Bull, le Minitel, le plan Calcul, le Concorde, l’éolien plus récemment… Néanmoins l’idée de l’Etat stratège, un temps mise en sourdine, revient en majesté. Les deux économistes évoquent ainsi la « fascination quasi créationniste » d’un état visionnaire, grand arrangeur de l’économie.
Pourtant ces politiques ne sont pas exemptes de critiques. Le risque de capture des subventions publiques par des lobbys publics ou privés, favorisés par une économie de copinage, bien mise en évidence par l’école du Public Choice, handicape l’efficacité d’une économie de marché (l’exemple récent d’Heuliez tend une fois de plus à le confirmer). Le manque d’information transforme en prestidigitateur les hommes politiques : les grands plans flattent leur ego sans qu’ils aient de vision claire de l’avenir économique, pensant mieux le connaître que les millions d’acteurs qui y contribuent. Enfin, ces projets perturbent l’allocation des ressources économiques en créant des rentes particulièrement attractives, diminuant souvent la croissance potentielle d’un pays.
Pour une nouvelle politique économique du XXIe siècle
La politique industrielle du XXIe siècle devra reposer sur trois mots : la stabilité, la confiance et l’évaluation. L’Etat a des légitimités à intervenir, pour favoriser les externalités positives notamment (recherche, industrie de réseaux, investissements à forte rentabilité sociale…). Mais son action doit viser le long terme : stabilité juridique et fiscale, environnement réglementaire propice à l’investissement, préservation de l’envie d’entreprendre et de la prise de risque, fluidification du marché des biens et des services, ainsi que de celui du travail…
Tant les organisations internationales (OCDE, FMI) que des auteurs sociaux-démocrates[vii] ou libéraux[viii] mettent en exergue l’importance des politiques pro-concurrence, favorisant un environnement propice à l’innovation et à la suppression des rentes. Parallèlement, la France doit mettre en œuvre un processus systématique d’évaluation de ses politiques et inciter à l’expérimentation[ix]. Ce brillant essai ne déroge pas à cette règle et constitue une piqûre de rappel fort utile : la France doit se réformer plus efficacement, accepter l’économie de la connaissance et ses contraintes, pour regarder l’avenir avec plus de confiance.
Louis Nayberg
Crédit photo : Flickr, Clément Livolsi
[i] David Thesmar, Augustin Landier, Le grand méchant marché: Décryptage d’un fantasme français, 2007
[ii] Patrick Arthus, Marie-Paule Virard, La France sans ses usines, 2011 : http://www.trop-libre.fr/le-marche-aux-livres/faut-il-sauver-le-soldat-industrie
[iii] Louis Gallois, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, novembre 2012 ; Jean-Louis Beffa, Pour une nouvelle politique industrielle, mai 2013
[iv] Résultats du commerce extérieur en 2012, février 2013
[v] Robin Rivaton, Christian Saint-Etienne, LE KAPITAL. Pour rebâtir l’industrie, avril 2013
[vi] Citation de Ronald Reagan, 15 août 1986
[vii] Philippe Aghion, Alexandra Roulet, Repenser l’État, Pour une social-démocratie de l’innovation, 2011
[viii] Jean-Marc Daniel, Le socialisme de l’excellence : Combattre les rentes et promouvoir les talents, 2011 : http://www.trop-libre.fr/le-marche-aux-livres/le-liberalisme-au-service-de-la-justice-sociale
[ix] Marc Ferracci, Etienne Wasmer, Etat moderne, Etat efficace : Evaluer les dépenses publiques pour sauvegarder le modèle français, 2011 : http://www.trop-libre.fr/le-marche-aux-livres/l%E2%80%99evaluation-exigence-de-la-democratie
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