Renaissance du Moyen-Âge

03 janvier 2013

03.01.2013

Renaissance du Moyen-Âge

La publication d’Hommes et femmes du Moyen Âge et la republication de Chevalier et châteaux forts viennent, dans deux registres très différents, rappeler aux curieux la richesse de ces dix siècles. Trop souvent encore le Moyen Âge est assimilé à une période d’obscurantisme, de frénésie guerrière, pour le dire en un mot, de barbarie. Certes, depuis au moins Huizinga et Bloch, il s’agit d’un poncif que de revenir sur cette appréciation[1], il n’en demeure pas moins nécessaire de répéter que le Moyen Âge n’a pas été une parenthèse sur la route du progrès.

Le premier est une entreprise collective dirigée par l’historien Jacques le Goff. Elle revient sur de grands personnages de la période (réels mais aussi imaginaires ou symboliques comme par exemple la Vierge Marie ou bien Mélusine).

Le second est un dossier de la revue histoire publiée sous la forme d’un livre par les éditions Taillandier qui reviennent sur la question de la chevalerie au Moyen Âge. En effet, s’il est une représentation de cette période qui a marqué les esprits c’est bien celle du chevalier en armure, du château-fort avec son donjon et les mystères qui peuvent s’y dérouler. Loin d’une vision stéréotypée ce dossier revient sur ces images d’Epinal sans pour autant enlever toute saveur à ce récit.

Hommes et femmes illustres du Moyen Âge

C’est tout d’abord un beau livre que proposent les éditions Flammarion. Richement  illustrés avec une iconographie variée c’est un bel objet qui est proposé. Il permet ainsi au lecteur de se représenter les personnages évoqués. Il faut ajouter que les illustrations sont choisies avec une grande justesse. A ces qualités viennent s’ajouter une chronologie et une bibliographie suffisamment complètes pour qu’un lecteur désireux de poursuivre ses découvertes puisse être guidé.

112 portraits qui vont  de Saint Martin de Tour à… Satan. Il n’est pas inintéressant de s’arrêter sur la préface de Jacques le Goff. Cet héritier et continuateur de l’école historiques des Annales a fait depuis longtemps déjà son aggiornamento avec sa magistrale biographie de Saint Louis[2]. Il revient néanmoins de manière discrète sur la question dans son texte introductif : « L’histoire semble se présenter dans ce livre sous une forme relativement périmée, puisqu’elle s’appuie essentiellement sur les grands personnages. Or, depuis le mouvement des Annales au milieu du XXe siècle, on va chercher l’essentiel de son sens dans l’ensemble de la société et des couches sociales. Les historiens qui ont conçu et composé cet ouvrage ont cependant pensé que les hommes et les femmes célèbres pouvaient être des étendards très parlant d’une société et d’une époque. C’est donc en tant que révélateurs de leur temps et héros de la mémoire historique que sont ici présentés les individus qui illustrent ce livre collectif »[3]. Ce court passage est révélateur de l’évolution de la pensée historiographique de cette génération d’historiens et de son rapport à la biographie. A vrai dire, cette réhabilitation du genre et des « grands hommes » ne retrouve-t-elle pas l’esprit des premières Annales et des grands ouvrages de Lucien Febvre sur Luther, Rabelais ou Marguerite de Navarre, ainsi que, là encore, la démarche de Huizinga dans son célèbre Automne du Moyen Âge ?

Ces portraits, rédigés par une quarantaine de spécialistes, présente plusieurs caractéristiques qui découle de principes énoncés par Jacques le Goff. Ils prêtent une aussi grande attention à la vie du personnage qu’aux différentes mémoires qui se sont agrégés à leur personne. Il ne s’agit pas de séparer le bon grain historique de l’ivraie légendaire mais de rapporter comment les deux sphères sont constitutives d’une figure historique. Par ailleurs, ils sont toujours abordés dans le souci de rendre compte de leur statut archétypal. La conclusion du portrait de Bertrand du Guesclin est à cet égard révélatrice : « Du Guesclin aimait l’argent et le luxe comme le montre le train de ses châteaux et de son hôtel parisien. On ignore s’il savait lire et écrire, mais sa première épouse Tiphaine Raguenel, était astrologue, tandis que la seconde, Jeanne de Laval, appartenait à la grande noblesse bretonne. S’il a dû son ascension sociale à son talent militaire et à la force de ses amitiés, il a bénéficié de son vivant d’une grande popularité… »[4]. Nous voyons combien le portrait reflète l’évolution de la carrière des armes dans la deuxième moitié du XIVe siècle.

Au temps des chevaliers et des châteaux forts

Le preux paladin sur son cheval reste une image qui peuple l’imaginaire de beaucoup de jeunes élèves lorsqu’il est question de définir le Moyen-Age. Evidemment il y a un noyau de réalité dans cette dernière. Néanmoins le dossier de la revue Histoire nous invite, à travers une vulgarisation savante, à revoir ces images et autres impressions.

Depuis les travaux de Georges Duby, les historiens français se sont attachés à mettre en avant la permanence d’une éthique chevaleresque, laquelle perdure tout le Moyen Âge (en tout cas jusqu’à une date avancée de la guerre de Cent ans).Mais, à partir du milieu du XIVe siècle et tout au long du XVe siècle le métier des armes ne cesse de se professionnaliser, entrainant une reconsidération progressive du statut du guerrier.

Les différents textes présents dans ce recueil font la part belle à cette recomposition sociale qui a lieu au sein de la classe dirigeante. Ils retracent les continuités qui animent cette classe. Ils mettent aussi en exergue les discours qu’elle tient sur elle-même. Il s’agit de montrer tout ce que peut avoir d’idéologique l’idéal chevaleresque. Le dernier texte, dû à Arlette Jouanna, spécialiste du XVIe siècle, montre les évolutions de cet idéal pendant le règne de François Ier: « L’honneur militaire, le devoir du soldat, change de valeur, Il est lié à l’accomplissement correct d’une fonction au service du roi. Cependant si bien des gentilshommes estiment encore que le métier des armes est celui qui permet aux plus hautes qualités humaines de s’épanouir, ils ne vont plus jusqu’à prétendre qu’aucune autre activité ne l’égale de ce point de vue ». Le changement définitif intervient au XVIIIe siècle avec la montée en puissance de la bourgeoisie marchande laquelle se double d’un discours justificatif avec le libéralisme.

Jean Senié

Crédit photo: Flikr, jacme31


[1] Jacques Heers, Le Moyen Âge, une imposture, Paris, Perrin, 1992.

[2] Jacques Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996

[3] Jacques Le Goff (dir.), Hommes et Femmes du Moyen Age, Paris, Flammarion, 2012, p. 9.

[4] Ibid., p. 315.

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