Retour à Outreau
Fondapol | 19 septembre 2011
Justice et « parole de l’enfant »
L’affaire d’Outreau continue à tourmenter l’opinion. Ce « Tchernobyl judiciaire » (rapport de l’enquête parlementaire) qui a vu 18 personnes accusées de viols sur enfants, incarcérées en 2001, l’une d’elles mourir en détention et 13 définitivement acquittées en 2005, n’a cessé de troubler les uns et d’échauffer les esprits des autres. Malgré les acquittements, les témoignages successifs des anciens accusés, l’enquête parlementaire dévastatrice, un blâme – sanction bien légère – pour le juge d’instruction Burgaud, certains continuent à exprimer leur doute sur l’innocence des accusés d’Outreau, en affirmant qu’il demeure des « zones d’ombre». Comme Marie-Christine Gryson-Dejehansart, psychologue et la première experte à avoir rencontré les enfants du quartier de la Tour du Renard. Malmenée pendant le procès, critiquée par l’enquête parlementaire, elle n’a jamais dévié de sa ligne d’argumentation : il faut croire « la parole de l’enfant ». Elle écrit régulièrement dans Médiapart et publie en 2009 Outreau, la vérité abusée, 12 enfants reconnus victimes (éditions Hugo & Cie).
Autour d’elle s’est formée « une étrange nébuleuse » [1] composée de travailleurs sociaux, policiers, magistrats et journalistes, tous convaincus que les enfants n’ont pas été entendus. L’une des derniers tentatives destinés à rétablir la « vérité abusée » : la publication, en mai dernier, de Je suis debout. L’aîné des enfants d’Outreau sort du silence (Edition du Cherche midi), livre sur et coécrit par Cherif Delay, le propre fils du couple Delay-Badaoui. A l’occasion de la publication du live, une vidéo est publiée sur Internet où l’on voit le jeune homme réaffirmer les sévices qu’il dit avoir subis de neuf personnes et non des seules quatre aujourd’hui en prison.
Un accusé « emblématique »
C’est dans ce contexte très particulier qu’est sorti le 7 septembre dernier Présumé coupable de Vincent Garenq, qui signe ici son deuxième long métrage. En 2008, il s’était déjà fait remarquer avec Comme les autres (2008) avec Lambert Wilson, un plaidoyer pour l’homoparentalité[2]. Pour Présumé coupable, sa source d’inspiration est Chronique de mon erreur judiciaire : une victime de l’affaire d’Outreau d’Alain Marécaux, l’un des accusés les plus médiatiques de l’affaire d’Outreau. Le scénario de Garenq se fonde également sur les procès verbaux des entretiens de Marécaux avec le juge Burgaux, le tout dans le souci de rester au plus près de la réalité de l’instruction.
Pourquoi Marécaux ? Le réalisateur dit que l’histoire de Marécaux est « emblématique » de celle de tous les accusés et il est vrai que « l’huissier d’Outreau » a vécu, un calvaire particulièrement douloureux. Sa femme, également accusée, le quitte, son propre fils le dénonce –il se rétractera plus tard –, il perd maison et emploi. A trois reprises, il tente de se suicider et entame une grève de la faim afin d’obtenir sa libération. Bref, Marécaux est une victime hélas exemplaire de ce désastre juridique et humain. En même temps, Garenq se défend de faire un film sur Outreau en général : « je fais un film centré sur Alain Marécaux pris dans l’affaire d’Outreau, ce qui est très différent.» Nous y reviendrons.
La parole des médias
L’élément central de son film est bien sûr constitué par les interrogatoires glaçants du juge Fabrice Burgaud, qui reste sourd à tout argument allant dans le sens contraire à son enquête à charge. Une séquence montre particulièrement bien la personnalité et les méthodes du juge : Marécaux, qui vient juste d’apprendre le décès de sa mère, subit une énième interrogatoire de Burgaud qui lui pose des questions de pure formalité sur… sa mère.
Il y a d’autres moments tout aussi difficilement supportables. Ainsi de cette terrible tension dans la cellule surpeuplée où Marécaux risque à tout moment d’être reconnu comme un violeur d’enfants, d’autant plus qu’on y regarde en permanence le journal télévisé qui parle de l’affaire d’Outreau en « oubliant » d’utiliser le conditionnel pour qualifier les actes des accusés.
Une identification totale
Tout est filmé avec force et efficacité, mais sobrement, sans pathos inutile; il n’y a d’ailleurs pas de musique dans le film. L’acteur Philippe Torreton, qui se donne entièrement à son rôle, au point de perdre lui-même des dizaines de kilos, dépasse ici la « prestation d’acteur » et incarne entièrement le personnage de l’huissier. L’identification avec le vrai Marécaux est donc totale et c’est le but recherché par le réalisateur Vincent Garenq, dont le film suit une ligne dramatique, de l’accusation injustifiée jusqu’à la réhabilitation, qui rappelle clairement l’Affaire Dreyfus.
Pourtant, les quelques réserves que l’on pourrait avoir par rapport à Présumé coupable viennent justement de cette perspective univoque. On est tellement près du personnage Marécaux que le film en devient partiel et partial . Ainsi, le reste de l’affaire et de ses acteurs nous échappent. Les personnages tels que le juge Burgaud et plus encore l’accusatrice Myriam Badaoui restent comme des ombres sans épaisseur psychologique.
La polémique rebondit
D’autres témoignages auraient pu être utilisés pour donner un peu plus de distance et de hauteur. On pense notamment au récit du prêtre Dominique Wiel, plus révolté et combatif pendant l’instruction. Dans son livre Que Dieu ait pitié de nous, il écrit « Quelque part, je suis content, maintenant, d’avoir vécu tout ça. C’était vachement enrichissant, vous savez… On y laisse des plumes, mais on apprend plein de choses… ». Wiel dénonce depuis des années la circulaire Ségolène Royal, obligeant les travailleurs sociaux à faire un signalement au procureur dès qu’ils soupçonnaient une agression sexuelle.
De toute façon, le film n’a pas désarmé Madame Gryson et ses alliés. Jacques Cuvillier renvoie ainsi le film résolument au domaine de la fiction – alors même que Garenq ne cesse de souligner la véracité de son récit – non pas en le confrontant avec les faits, mais en détournant le sens d’une lettre du producteur du film envoyée à Marie-Christine Gryson[3]. Le procédé en rappelle d’autres, mais il est vrai que le réalisateur leur facilite quelque peu la tâche par la contradiction de ses propos : si le personnage est « emblématique »[4] alors le film traite bel et bien, par métonymie, d’Outreau dans son ensemble et pas seulement de « Marécaux dans Outreau ».
En tout cas, une autre réponse – anticipée – au film est venue de la part de la magistrature : en juillet dernier, Fabrice Burgaud était nommé auditeur du premier grade à la Cour de cassation. Il a pris ses fonctions deux jours après la sortie de Présumé coupable…
Harry Bos est responsable du cinéma et des arts de la scène à l’Institut néerlandais de Paris
Crédit photo : Google Images, domaine public
[1] Sophie des Deserts, « Innocents ou coupable ? Outreau, le poison du doute » sur nouvelobs.com
[2] Le film sera diffusé dimanche 25 septembre 2011 de 20h45 sur France 2
[3] Voir la chronique des abonnés « Présumé coupable, réalité ou fiction ? » de Jacques Cuvillier dans www.lemonde.fr et le lien vers la lettre du producteur.
[4] Voir le dossier de presse du film : http://www.marsfilms.com/pro/film/list/a_l_affiche
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