RSA : « Rien à Signaler » ?
Fondapol | 22 juin 2011
La polémique de ces dernières semaines sur le RSA est une illustration exemplaire d’un débat public où l’argument d’autorité et l’argument ad hominem remplacent l’examen pragmatique du problème soulevé et les considérations de fond.
Le RSA, enjeu central, méthode originale
De quoi s’agissait-il ? De dresser, ni plus ni moins, un premier bilan d’une des mesures-phares du quinquennat, conçue dès 2005, expérimentée depuis 2007, avant sa généralisation il y a tout juste deux ans. Examen en soi légitime en démocratie et d’autant mieux venu que la mesure était importante sur le fond (la réforme d’un des piliers de notre système de protection sociale, le RMI) et originale par sa mise en œuvre à travers, non pas un ministère classique, mais un « Commissariat aux solidarités actives ». Choix significatif, comme dit la doctrine, d’une « administration de mission » et non de « gestion » et qui fleurait bon, par le terme très connoté de « commissaire », les références glorieuses de l’An II et de la Libération.
Commissariat confié de plus à un homme, Martin Hirsch, qui combinait deux légitimités de poids dans l’échelle des valeurs contemporaines : celle, technique, du haut fonctionnaire et celle, éthique, du parcours humanitaire à la tête d’Emmaüs. Le tout constituant l’une des illustrations les plus fortes de la politique d’ouverture des débuts du mandat de Nicolas Sarkozy.
La possibilité d’un consensus droite/gauche
Peut-être même la plus forte, car il ne s’agissait pas là de « capter » une personnalité d’opposition, ni même de faire enfin place à la « diversité » mais de proposer une réforme sociale ambitieuse, où, fait impensable en France, la droite et la gauche pouvaient véritablement se rencontrer : la première en y retrouvant la priorité donnée à la valeur travail, au coeur de sa culture politique comme de la campagne présidentielle ; la seconde en y voyant un moyen innovant de remédier au chômage de masse, enjeu central de son discours social depuis des décennies : et tant pis pour les fatalistes qui, parmi elle, croyaient avoir « tout essayé » !
De fait, il ne s’agissait de rien moins que d’activer l’immense « stock » de Rmistes qui dérivaient dangereusement loin des rivages de l’emploi. Pour ce faire, un dispositif à deux étages : un « RSA socle », revenu minimum de solidarité héritier du RMI et un « RSA activité », complétant les ressources du travail par le maintien d’une partie des allocations sociales, afin d’éviter les « effets de seuil » qui décourageaient le retour à l’emploi. Et un principe clef : stimuler, par une forte progressivité du revenu final, le passage de l’assistance à l’activité.
Bref, un passionnant débat en perspective où il y avait de quoi intéresser l’historien, l’économiste, le juriste, le spécialiste des questions sociales, l’observateur de la vie politique, voire le philosophe, sans oublier le citoyen ordinaire. D’autant que la question était à 10 milliards d’euros…
« Stigmatisation ! »
Or ledit débat a rapidement tourné court, s’abîmant dans la polémique où les « grands mots » ont occulté l’essentiel : un petit tour sur la « Toile » donne la mesure des « arguments » échangés » ! Une partie de la droite a repris le très ancien refrain conservateur contre l’ « assistanat qui pousse à la paresse ». Accusée de « stigmatiser » les pauvres sans emploi, elle s’est vue stigmatisée à son tour pour «haine de classe» ; les partisans du RSA, à commencer par le père de la mesure, se sont indignés et ont demandé temps et patience pour un enfant si jeune.
Alors, « RSA, rien à signaler » ?
Ah si ! Ce petit milliard d’euros prévu au budget pour le dispositif et non employé : évidemment détourné, ont tout de suite accusé les belles âmes, pour assurer le financement de la réduction de l’ISF ! Suivez leur regard : ce gouvernement s’en prend aux pauvres pour aider les riches !
Manœuvres de diversion
Or, si détournement il y a en l’occurrence, c’est bien celui de l’argumentation. Pourquoi donc un gouvernement saboterait-il, à l’approche de son bilan, l’une de ses mesures-phares ? Et comment effectuer un transfert des moyens du RSA vers l’ISF sans passer par un collectif budgétaire devant le Parlement ? Or le tout dernier collectif a précisément réglé par d’autres voies, purement fiscales, le financement de la réduction de l’ISF… Enfin et surtout : si les crédits budgétaires du RSA ne sont pas consommés, n’est-ce pas un signe que, justement, le dispositif ne fonctionne pas au mieux ? Tout praticien de la chose administrative sait que c’est là la première question à poser pour évaluer une politique publique.
Peu importe : procès d’intention, contre-vérité et manœuvre de diversion auront permis d’éviter la question simple : le RSA, ça marche oui ou non ?
Une approche libérale
Pour y répondre, quelques pistes :
1/ Sortir en la matière du moralisme de gauche comme de droite : nul besoin d’invoquer la « paresse » des uns pour expliquer la productivité insuffisante du RSA ; ni l’ « égoïsme » des autres pour rendre compte des interrogations légitimes sur le dispositif.
2/ Le libéralisme propose une approche simple et claire : où est l’intérêt bien compris des personnes concernées ? L’argument selon lequel « dès la première heure travaillée, le titulaire du RSA voit son sort financier s’améliorer » est juste. Il est malheureusement, tel quel, économiquement inopérant, car la vraie question est celui du choix rationnel des agents : quelle est l’utilité marginale, c’est-à-dire la rémunération supplémentaire exacte, toutes choses égales par ailleurs, apportée par le retour à l’emploi ?
3/ Or c’est dans ce « toutes choses égales par ailleurs » que le bât blesse : car il faut prendre en compte non seulement les autres prestations de la solidarité nationale (APL, CMU, et la longue liste des prestations familiales), mais aussi les petits mais nombreux avantages octroyés en nature ou en numéraire par les collectivités locales. N’y va-t-il pas de leur « politique sociale » ? Or ces prestations peuvent atteindre jusqu’à 20% du revenu effectif des ménages, faussant ainsi la logique même du RSA[1]. Martin Hirsch lui-même s’en est ému.
4/ Plus généralement l’opacité extrême du système, où l’impression prévaut que le RSA s’est surajouté aux autres dispositifs et les a rendus encore moins lisibles, n’est pas de bonne démocratie. Comment le citoyen pourrait-il s’y retrouver face aux avis si divergents des experts et des politiques sur le vrai bilan du RSA, chacun se plaçant dans les cas les plus favorables à sa propre thèse ?
C’est pourquoi, qu’on le veuille ou non, la question reviendra dans le débat public (notamment à la faveur de la prochaine évaluation du dispositif prévue en juillet prochain) : non pas « pour-stigmatiser-les-faibles-et-protéger-les-riches », mais pour sortir les premiers de la « trappe à inactivité et à pauvreté » à laquelle les condamne, avec les meilleures intentions du monde, un certain esprit de système… et contre laquelle le RSA avait précisément été inventé !
Christophe de Voogd
[expand title = « Notes »]
[1] Voir l’étude : « Réformer les aides sociales locales dans le nouveaux contexte du RSA », Yannick L’Horty et Denis Anne, mars 2010
Crédit photo, Flickr: revenudebasefr
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