Second tour FN-PS dans le Doubs : pourquoi le « ni-ni » de l’UMP n’est pas toujours efficace pour contrer le FN
Romain Millard | 07 février 2015
Second tour FN-PS dans le Doubs : pourquoi le « ni-ni » de l’UMP n’est pas toujours efficace pour contrer le FN
Par @Romain Millard, étudiant en Master Droit Economique à Sciences Po Paris, conseiller municipal
La configuration inédite qu’offre le second tour de la législative partielle du Doubs (Front National contre Parti Socialiste) doit amener l’UMP à hiérarchiser ses priorités et à adapter ses stratégies aux nouvelles circonstances. Si le « ni-ni » est acceptable avec un PS en tête au premier tour, il n’est plus tenable stratégiquement quand c’est le FN qui remporte la première place.
Les électeurs n’ont pas besoin de consigne de vote, mais les partis si…
Du point de vue de l’électeur, même de droite, les consignes de vote n’ont aucune utilité. Quel politique serait en effet assez présomptueux pour penser qu’il peut effectivement guider le choix de citoyens libres ? En ce sens, la « ligne Sarkozy » proclamant le libre choix des électeurs peut apparaître pertinente.
Cependant, les consignes de vote demeurent essentielles pour la cohésion d’un parti politique. Le comportement dans la défaite permet de révéler les priorités stratégiques et les alliances auxquelles on est prêt à consentir. Elles révèlent surtout la hiérarchie des adversaires. Or, ces éléments-là seront déterminants dans le choix des électeurs à long terme.
C’est pourquoi le « libre choix laissé aux électeurs » n’était pas une ligne tenable pour un parti politique, ce qui explique la défaite interne de Nicolas Sarkozy au Bureau politique de l’UMP du mardi 3 février. L’UMP devait choisir une option claire : appeler à voter PS, appeler à voter FN ou appeler à voter blanc.
Mission impossible : faire perdre le FN sans faire gagner le PS
Un consensus s’est dégagé sans surprise pour écarter d’emblée l’idée de voter Front National. Au-delà des oppositions sur les valeurs, il est apparu évident que le seul objectif de Marine Le Pen est de « tuer » la droite parlementaire pour se retrouver en face à face avec la gauche. Une alliance avec elle serait donc non seulement une faute morale mais aussi une grossière erreur tactique pour l’UMP.
Dès lors, la réelle question posée au parti d’opposition est celle-ci : doit-il renvoyer dos à dos le FN et le PS et les considérer comme des adversaires de même nature ?
Les partisans du « ni-ni » – majoritaires au sein des cadres et des électeurs UMP – répondent par l’affirmative : le Parti Socialiste serait aussi dangereux pour la France que le Front National et aucun ne mériterait le soutien des électeurs de droite au second tour d’une élection. Cette position est renforcée depuis 2011 par l’exaspération vis à vis des leçons de morale venues des cadres socialistes qui, dans le même temps, négocient des alliances avec l’extrême-gauche.
D’autres voix, parmi lesquelles celles d’Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet et Gérard Larcher, mettent au contraire le FN sur un niveau plus élevé que le PS sur l’échelle de la dangerosité. Ils en tirent toutes les conséquences en appelant à lui faire barrage et à voter pour le candidat socialiste. La difficulté de cette décision est qu’elle semble accréditer la thèse lepéniste d’une connivence entre la droite et la gauche de gouvernement et qui revient à placer le Front National comme seule force d’opposition authentique au gouvernement.
L’erreur de ces deux camps est de systématiser leur stratégie à tous les cas de duels entre le Parti Socialiste et le Front National alors qu’ils devraient décider au cas par cas selon l’ordre d’arrivée.
Le « ni-ni » : du pain béni pour le vainqueur d’un premier tour
Les partisans du « ni FN-ni PS » doivent avoir conscience qu’en appelant au vote blanc, ils favorisent la reproduction des rapports de forces partisanes du premier tour. Le vote blanc ou l’abstention ont le même effet qu’un maintien dans une triangulaire : les voix de droite ne se déplacent pas et ne viennent pas changer l’ordre d’arrivée entre le premier et le second candidat. Le « ni-ni » est donc une prime au candidat arrivé en tête au premier tour.
Or, c’est cette stratégie de « non-déplacement » des voix pratiquée par l’UMP comme par le PS qui a permis l’élection des deux actuels députés du Rassemblement Bleu Marine en juin 2012.
Dans le Gard, Gilbert Collard est arrivé en tête au premier et au second tour parce que le candidat UMP arrivé troisième s’est maintenu et n’a pas permis que ses électeurs fassent passer la candidate socialiste en tête.
A Carpentras, c’est le maintien de la candidate PS (exclue depuis) qui a permis l’élection de Marion Maréchal-Le Pen qui était déjà arrivée en tête au premier tour.
La stratégie du « ni-ni » a pu permettre de faire barrage au FN sans voter socialiste quand c’est le PS qui était arrivé effectivement en tête au premier tour. Même quand celui-ci était second, il était suffisamment haut pour passer en tête grâce aux voix de ses alliés de gauche. Cependant, le Parti Socialiste a tellement décliné dans les urnes en trois ans que même les reports de voix de gauche risquent de ne plus être suffisants.
Si l’UMP a pour réel objectif prioritaire de faire barrage au Front National, elle doit dès lors appeler, pour ce cas particulier de la quatrième circonscription du Doubs, à voter pour le candidat socialiste, Frédéric Barbier.
Systématiser l’appel à voter PS n’est pas nécessaire
Cet appel à voter socialiste lancé par d’importantes figures de l’UMP s’est systématiquement accompagné de la formule « il ne s’agit pas d’un Front Républicain ». Contrairement à ce que pourraient croire les commentateurs, il ne s’agit pas d’une simple circonvolution langagière. Appeler les électeurs de droite à voter PS cette fois-ci ne doit pas être présentée comme une alliance formelle qui sera systématiquement utilisée en cas de second tour entre l’extrême droite et la gauche. Ce ne doit être qu’une solution de dernier recours si le Front National arrive en tête à un premier tour. Dans le cas où la victoire socialiste serait probable même sans report des voix de droite, rien n’empêcherait les cadres de l’UMP de réutiliser le « ni-ni ».
Enfin, à l’anathème de « l’UMPS », l’UMP doit pouvoir répondre sans trembler qu’une telle connivence vaudrait toujours mieux pour le pays que celle entre le Front National et l’extrême-gauche grecque. Elle doit assumer, pour reprendre la formule de Benoist Apparu, député-maire de la Marne, qu’elle est « en désaccord à 80% avec le Parti Socialiste mais à 100% en désaccord avec le Front National »[1].
Crédits photo :
[1] Benoist Apparu: L’invité de Ruth Elkrief, 03/02, http://www.bfmtv.com/mediaplayer/replay/19h-ruth-elkrief/
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