Sortir de la Religion ou comment vivre notre toute-puissance ?
26 octobre 2012
Qui n’a jamais rêvé d’enterrer la religion de façon définitive tout en prenant bien soin de choisir la pierre tombale et de composer un requiem? Abdennour Bīdar consacre son ouvrage intitulé Comment sortir de la religion à cette tâche méritoire et nous fait part de son intuition avec l’optimisme d’un nouveau converti.
Dans une première partie, l’auteur, qui reprend l’idée de Marcel Gauchet selon laquelle le christianisme est la religion de la sortie de la religion mais en l’appliquant aussi à l’islam, s’interroge sur l’incapacité du monde occidental à sortir de la religion. Dans un second temps, il tente de lancer des pistes pour une humanité qui serait sortie définitivement de la matrice religieuse.
Revendiquer la toute-puissance des dieux
Selon l’auteur, sortir de la religion est un processus qui va bien au-delà du rejet de la religion que propose l’athéisme. Cela implique que l’homme revendique pour lui-même la toute-puissance qu’il attribuait à un dieu ou des dieux. Cette démarche ne doit pas être abrupte : il s’agit de reconnaître ce que les religions ont apporté à l’humanité, en tant que matrices d’un monde voué à les dépasser. L’ouvrage les présente ainsi comme des boîtes à outils ou des recueils de préceptes moraux.
L’échec occidental de la sortie de la religion
Depuis la Renaissance, l’Occident a, selon l’auteur, revendiqué la toute-puissance humaine. Toutefois, les errements de l’histoire, un discours athée centré sur la finitude et la mort ainsi qu’un certain cynisme, ont brisé cet élan. Aujourd’hui, le projet humaniste est détourné par une élite et, en son nom, sont commises beaucoup d’injustices. C’est pourquoi, selon l’auteur, l’Occident a raté sa sortie de la religion.
Dès lors, la relève, dans l’émancipation du religieux, doit venir des pays extra occidentaux comme les pays arabes. Toutefois, même si, aux yeux de l’auteur, l’islam (surtout le soufisme) est la religion la plus proche d’une société post-religieuse, elle ne prône pas moins un discours de la limitation du pouvoir humain.
L’homme-théophage
Que faire ? L’ouvrage invite à lever les obstacles à la sortie des religions, en « mangeant » les dieux, c’est-à-dire en devenant théophage. Il s’agit en cela d’imiter la transsubstantiation du mystère eucharistique, « image clé de la sortie de la religion » destinée à devenir une valeur universelle. Ainsi, en s’assimilant les propriétés divines, l’homme peut devenir pleinement créateur à un niveau de toute puissance inégalé. Le poète pakistanais Mohamed Iqbal, source d’inspiration importante de l’auteur, aurait exprimé cette intuition dans ses poèmes sans pour autant revendiquer pour l’homme la place de dieu.
Une toute-puissance orientée vers notre « sur-nature créatrice »
Les maux dont souffrirait l’humanité viendraient de l’incapacité ou du refus de certaines élites d’orienter la toute puissance de l’homme vers le plein épanouissement de sa sur-nature créatrice. Par sur-nature, l’auteur reprend l’idée aristotélicienne des arrières-mondes, en la vidant de son contenu surnaturel : la sur-nature est un au-delà de la nature humaine mais qui rentre dans le domaine du tangible et se prête à l’expérimentation. Pour passer ainsi de l’homme limité à l’homme tout puissant (Homo pantocrator), l’humanité doit s’accorder sur des principes qui peuvent trouver leurs sources dans les religions.
Organiser notre toute-puissance
Audacieux, l’auteur se permet de dessiner les contours d’un meilleur des mondes possible. Il s’agirait d’une république d’égaux, fondée sur le principe moral de la dignité suprême et égale de tous les hommes et dont l’objectif est l’accomplissement de l’homme créateur par l’affirmation de l’autonomie de sa raison et de sa liberté. Au Léviathan du temps des dieux et des idéologies se substituent les centimanes, ces dieux aux cents bras de la mythologie romaine, image de l’homme tout puissant et capable de tout, que nous sommes censés devenir.
Une société qui ne peut être égoïste
Comment s’assurer que ce projet ne conduira pas à une société égoïste? L’auteur répond que le bonheur individuel véritable ne peut se concevoir sans unité profonde avec celui des autres. Bidar affirme (par le biais d’un syllogisme un peu simple), que si créer rend heureux et digne, alors ce bonheur de créer ne peut aller sans l’envie désintéressé de donner à l’autre cette égale liberté de créer: « la dignité créatrice ne peut pas être égoïste ».
Un ouvrage humaniste…
En définitive, cet ouvrage est celui d’un auteur sincèrement humaniste, émerveillé par le prodige de l’être humain et de ses capacités. Bidar est véritablement scandalisé par le jugement dépréciatif qu’une certaine élite intellectuelle occidentale a porté sur l’homme. Il cite entre autres Claude Levi- Strauss, qui affirme que l’homme n’a pas de conscience propre. Plus profondément, l’auteur dénonce à juste titre la conception figée de l’homme qui a servi à l’élaboration d’une pensée métaphysique ou anthropologique réductrice et finalement inhumaine.
Dans ce livre stimulant, l’auteur forge de nouvelles notions, en revisitant les anciennes. Il utilise ainsi les auteurs latins, grecs, musulmans, chrétiens dans un but syncrétique pour mieux les dépasser.
…. mais rempli de contradictions.
Toutefois, son essai recèle de nombreuses contradictions. Bidar proclame ainsi la sortie des religions tout en nous invitant à y puiser des principes de vie. Il souhaite dé-spiritualiser la religion mais spiritualiser la vie humaine. Surtout, il rejette les idéologies et leurs dieux mais semble en élaborer une nouvelle, la sienne, à travers une pensée systématique et finaliste.
Enfin, la place de la science dans ce système n’est pas non plus évidente à identifiée dans la pensée de l’auteur. Selon lui, l’Occident a raté sa sortie de la religion en y accordant trop d’importance. Or, c’est selon lui la science, loin devant la morale et l’éthique, qui intervient dans le processus d’amélioration de l’homme.
François de Laboulaye.
credit photo: Jeanne Menj
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