Super-héros à la dérive

Fondapol | 05 septembre 2012

05.09.2012Un auteur très personnel

Le travail de Nolan se situe à la frontière du film de genre, souvent le thriller fantastique, et d’un cinéma plus ambitieux et personnel; il se distingue ainsi nettement d’autres réalisateurs de blockbusters hollywoodiens. Avec The Dark Knight Rises, il s’attaque pour la troisième fois à Batman. Il s’agit de films dont l’initiative vient du studio Warner Bros, mais Nolan, grâce à son statut de réalisateur à succès, garde le contrôle total de la réalisation, privilège pour une superproduction hollywoodienne : on ne peut donc pas définir ces films comme des œuvres de commande.

Avant lui, d’autres ont porté des aventures de l’homme chauve-souris à l’écran, notamment Tim Burton, qui en a réalisé deux volets. Pour Burton, l’intérêt de Batman se trouve dans son potentiel de référence au style du cinéma expressionniste et au film noir, à travers décors et effets visuels volontairement rétros ; Nolan, lui, situe son Batman dans un paysage résolument contemporain, la ville américaine d’aujourd’hui.

Film noir

Cependant, Nolan est, peut-être encore plus encore que Burton, obsédé par les thèmes de l’expressionisme allemand et du cinéma américain des années 1940 et 195O : narration complexe, personnages ambigus, lumière en clair-obscur, la fascination était déjà perceptible dans ses films précédents. L’un des meilleurs exemples en est Memento (2000), où Shelby, ancien agent d’une compagnie d’assurance qui souffre de troubles de mémoire, tente néanmoins de retrouver l’assassin de sa femme. La tâche paraît quasiment impossible et Nolan complique encore son film par un récit partiellement inversé, des séquences filmées en noir et blanc et la voix off de l’amnésique Shelby lui-même, qui devient ainsi un « narrateur ambigu ».

Le clair-obscur de la corruption

Dans sa trilogie « batmanienne » on se trouve dans un même univers de confusion et d’ambigüité – et de clair-obscur. Déjà par le personnage de Batman/Bruce Wayne, homme à double identité : riche héritier, il devient justicier solitaire, d’abord pour venger l’assassinat de ses parents, puis pour affronter le crime en général. En acceptant sa tâche, il sacrifie définitivement toute possibilité de vie normale et se met en marge de la société, tout comme ceux qu’il combat. Le décor ensuite, la ville métropole de Gotham, symbole de corruption, où les pouvoirs publics sont impuissants – ou complaisants – face au crime. C’est une espace sombre et hostile, où règnent pluie et brouillard (voire neige, dans The Dark Knight Rises) tout comme dans la ville criminelle des films américains des années après-guerre.

Un conte moral… et brouillon

Malgré leur ambiguïté, ces films-là étaient des contes moraux, où le mal finit toujours par être puni, et Nolan ne fait pas autre chose dans ses Batman. Dans The Dark Knight Rises, le mal est incarné – pour la deuxième fois – par la Ligue des Ombres, une secte qui rêve de détruire entièrement la ville de Gotham. Cette fois-ci, la Ligue est menée par le sinistre criminel Bane (on ne reconnait jamais l’acteur Tom Hardy) et réussit pour un temps à s’approprier les commandes de la cité, avant sa destruction définitive par une petite bombe atomique cachée dans un camion. Mais c’est sans compter sur notre héros de l’ombre Batman (Christian Bale, plus torturé que jamais), qui revient après huit ans d’absence, épaulé comme toujours par le commissaire Gordon (l’inoxydable Gary Oldman), ainsi que par l’inventeur et taupe au sein de l’entreprise Wayne Lucius Fox (Morgan Freeman, encore plus inoxydable), mais aussi par l’assistant du commissaire John Blake (Joseph Gordon-Levitt, qui se prépare déjà pour un autre rôle) ; et apparemment aussi, dans un premier temps par une femme d’affaires bien mystérieuse, Miranda Tate (Marion Cotillard en femme fatale). Suite à moult renversements de situation et autres développements imprévisibles et peu crédibles, tout rentre plus ou moins dans l’ordre, après 2 heures 45 d’un film brouillon dont on sort littéralement épuisé.

Bombastic !

Que manque-t-il donc à The Dark Knight Rises ? Ou plutôt, qui a-t-il de trop ? On a, de fait, l’impression que la réalisation a tellement peur de s’essouffler, qu’elle en rajoute en permanence dans tous les registres : processus fatal qui fait dériver l’ensemble du film vers l’enflure et encore renforcé par la musique étourdissante de Hans Zimmer. L’anglais a aussi un mot pour cela : bombastic !

Un message troublant

Ce qui est surtout gênant dans The Dark Knight Rises, c’est la maladresse et l’ambiguïté du propos. Dans son désir de projeter son film dans la ville américaine d’aujourd’hui, Nolan s’est risqué à des interprétations politiques, qu’il dit pourtant ne pas avoir cherchées. Car la ville où se joue le (mélo-) drame est clairement New York et cette référence n’est pas sans péril après les événements de septembre 2001. Surtout quand on réalise que le scénario – sans aucune ironie – la dit menacée de destruction par une « secte » qui s’attaque violemment au grand capital boursier de New York en prônant une « révolution ». La référence est inévitable au mouvement Occupy Wall Street, un mouvement – certes militant mais pacifiste – qui proteste depuis plusieurs années contre le capitalisme financier. Tout cela est très étrange : pourquoi Nolan a-t-il ressenti le besoin de tirer son film vers cette zone à risques ? Est-ce uniquement naïveté ou serait-il finalement devenu un porte parole d’un autre mouvement militant, celui du Tea Party ?

Harry Bos

Crédit photo : Bart Heid

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