Télé, viol, silence, quelle place pour la femme nippone ?
Axel Basth | 30 septembre 2016
Le 23 août dernier, le célèbre acteur japonais Yuta Takahata [1], a été arrêté pour agression sur une femme de chambre d’un hôtel de Maebashi dans lequel il résidait. Le 7 septembre, ce fut au tour de Gencho Komutsu, à la tête de la très vénérable secte de Tendai, de s’exprimer à propos d’une affaire de harcèlement sexuel à l’encontre de deux employées du temple Daikanjin [2]. Dans un pays où la tradition et le conservatisme sont omniprésents, les scandales sexuels se multiplient et poussent les femmes nippones à s’émanciper.
La culture de l’apparence
Rares sont les crimes sexuels rendus public au Japon. En effet, d’après une étude menée par le Cabinet Office Survey, 70% des viols commis seraient tus par les victimes [3]. Cette proportion impressionnante s’explique par une culture du silence beaucoup plus forte qu’en Occident. Le simple fait de crier voire d’appeler à l’aide en cas d’agression dans un lieu public est en rupture totale avec les codes de la société nippone [4]. Violée dans une rue tokyoïte par des inconnus alors qu’elle rentrait d’une journée de travail, Mika Kobayashi confie ce qu’elle a pu ressentir [5] : la culpabilité fut le plus dur à surmonter pour elle, comme pour beaucoup de femmes violées. Au Japon, un viol semble souvent vécu comme un échec de la conformité à l’idéal féminin. Se taire parait être alors la meilleure solution, pour ne pas entacher la réputation de la famille, du mari. Au Japon, la femme est avant tout une épouse, une mère. Dans le pays des Zaibatsu (grands groupes industriels nippons), les femmes n’occupent que peu de postes décisionnels.
Une justice lacunaire
L’Archipel, qui se complaît à se présenter comme le pays « le plus sûr du monde », n’est pas pour autant un exemple à suivre dans la stigmatisation des victimes de viol. Certes les statistiques de viols paraissent exemplaires en comparaison avec une majorité de pays développés, mais ils résultent d’une manipulation judiciaire et culturelle. En effet, deux types de viols sont souvent distingués au Japon, le tsūyō et le fushizen. Si le premier traite du viol par une personne inconnue de la victime, le second est relatif aux viols commis par une personne connue par la victime. Or, seul le premier type est condamné par la justice nippone, alors que le second couvre la majorité des viols. De plus, nombreux sont les policiers exigeant des preuves formelles d’agression sur la personne pour enregistrer la plainte. Les vêtements de la personne, son attitude, sont autant d’éléments examinés arbitrairement par les policiers en dépit du désarroi de la victime. Celle-ci doit aussi avoir été consciente durant l’acte et avoir manifesté des signes de désaccord. Tout ceci freine bien évidemment les femmes à porter plainte et fausse donc pleinement les statistiques du pays. La femme objet versus femme sanctifiée Nul n’ignore les images de manga, étendard mondial de la culture japonaise, montrant des femmes voire des filles à moitié nues. Il en est de même pour l’industrie pornographique de l’Archipel en plein essor. Pourtant si les femmes sont très fortement sexualisées, elles ne sont encore que peu maîtresses de leur vie sexuelle et amoureuse, en témoigne le renvoi d’une star de télévision locale après que son adultère a été rendu public [6]. Il en va de même pour Minami Minegishi, chanteuse à succès, qui a fondu en larmes dans sa vidéo d’excuse (dans laquelle elle se rase les cheveux) pour avoir quitté son petit-ami de l’époque, évènement contraire à son contrat avec son agence. Les femmes publiques nippones se doivent donc de montrer une attitude exemplaire alors que l’image même de la femme est sans cesse objectivée et sexualisée.
L’éveil du féminisme japonais
Il serait faux de dire que le féminisme nippon n’existe que depuis quelques années. Beaucoup voient en la date du 21 octobre 1970, la naissance du mouvement de libération des femmes dans l’Archipel [7]. Ce jour-là, des centaines de femmes ont manifesté dans les rues de Tokyo pour défendre leurs droits et leur aspiration à l’égalité dans un contexte d’occupation militaire américaine où la prostitution était fréquente. Il s’agissait alors d’un véritable mouvement endogène à l’Archipel, certes avec des influences américaines, mais dont le but restait un changement profond de la société nippone, déjà en pleine modernisation. Pour autant, ce mouvement n’a pas fait écho dans la société japonaise. Depuis, des voix se sont élevées et se font de plus en plus fortes face aux multiples scandales sexuels dont les femmes sont victimes. Des projets sont en cours pour durcir les peines pour viol et pour mieux définir notamment l’acte de viol lui-même. En effet, la loi nippone ne prend en compte pour l’instant que la pénétration vaginale, réduisant alors considérablement le champ de définition du viol. Si des victoires judiciaires peuvent être à constater dans l’Archipel, les mentalités restent encore sensibles à une image archaïque de femme/épouse. Pour autant, la prise de parole de plus en plus importante des femmes au Japon reste un premier pas considérable vers l’émancipation totale.
Pour aller plus loin:
[1] http://www.japantimes.co.jp/news/2016/08/26/national/japans-apology-culture-takahata-mother-says-sorry-adult-sons-alleged-sexual-assault/#.V9pnXk2LRD8
[2]http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/09/12/le-japon-choque-par-les-frasques-du-venerable-bonze_4996134_3216.html
[3] http://dozodomo.com/bento/unagi/viol-japon-donnees-representees/
[4] The Social and Cultural Construction of Silence, Robert N St. Clair, University of Louisville
[5] http://www.japantimes.co.jp/news/2015/11/15/national/revision-archaic-sex-crime-laws-falling-short-critics/#.V9lodE2LRD8
[6] https://www.theguardian.com/world/2016/feb/08/downfall-japan-tv-becky-industry-sexism
[7] http://www.japantimes.co.jp/life/2015/10/03/lifestyle/women-japan-unite-examining-contemporary-state-feminism/#.V9ldFk2LRD8
« Crédit photo Flickr: usaigaijin»
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