Tocqueville ou Torreton?
Fondapol | 31 décembre 2012
« L’affaire Depardieu », dont on n’a certainement pas fini de parler car elle excite de toutes parts les passions et alimente tous les excès verbaux d’une démocratie en crise, pourrait bien constituer l’un de ces « faits sociaux totaux » qu’affectionnait Marcel Mauss. Mais un énième commentaire ne saurait dire mieux que le passage suivant de La Démocratie en Amérique, où Tocqueville, à son meilleur, fait à la fois le diagnostic de la passion égalitaire et dénonce son plus grand péril : le sacrifice, non seulement de la liberté, mais aussi des générations futures. Les principaux protagonistes de l’affaire Depardieu – à chacun de s’y reconnaître – y sont comme dépeints d’avance ; tout comme notre société dans son ensemble, qui sacrifie l’avenir à l’égoïsme du présent…
« Que la liberté politique puisse, dans ses excès, compromettre la tranquillité, le patrimoine, la vie des particuliers, on ne rencontre point d’hommes si bornés et si légers qui ne le découvrent. Il n’y a, au contraire, que les gens attentifs et clairvoyants qui aperçoivent les périls dont l’égalité nous menace, et d’ordinaire ils évitent de les signaler. Ils savent que les misères qu’ils redoutent sont éloignées, et ils se flattent qu’elles n’atteindront que les générations à venir, dont la génération présente ne s’inquiète guère. Les maux que la liberté amène quelquefois sont immédiats; ils sont visibles pour tous, et tous, plus ou moins, les ressentent. Les maux que l’extrême égalité peut produire ne se manifestent que peu à peu; ils s’insinuent graduellement dans le corps social; on ne les voit que de loin en loin, et, au moment où ils deviennent les plus violents, l’habitude a déjà fait qu’on ne les sent plus. »
On en redemande :
« La passion d’égalité pénètre de toutes parts dans le cœur humain, elle s’y étend, elle le remplit tout entier. Ne dites point aux hommes qu’en se livrant ainsi aveuglément à une passion exclusive, ils compromettent leurs intérêts les plus chers; ils sont sourds. Ne leur montrez pas la liberté qui s’échappe de leurs mains, tandis qu’ils regardent ailleurs; ils sont aveugles, ou plutôt ils n’aperçoivent dans tout l’univers qu’un seul bien digne d’envie ».
« L’envie »: Cette envie qui sous-tend trop souvent « l’égalité à la française » et contraste avec « l’égalité compétitive » à l’américaine, autre distingo tocquevillien. »Cette trop belle voiture, il faut que l’Etat la prenne à mon voisin », dit le Français; « cette si belle voiture, il faut que je me l’offre », dit l’Américain.
A bon( s) entendeurs(s)!
Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Tome II (1840) deuxième partie, chapitre premier :
« Pourquoi les peuples démocratiques montrent un amour plus ardent et plus durable pour l’égalité que pour la liberté »
crédit photo: domaine publique
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