Tripoli et après : vers une "realpolitik" des droits de l'homme?

Fondapol | 08 septembre 2011

8.09.2011Retour sur la question libyenne

Aura-t-on la cruauté de confronter les  déclarations des uns et des autres depuis six mois avec le résultat –provisoire- de l’intervention en Libye? Certes, mille incertitudes et mille périls sont devant nous et surtout devant le peuple libyen: mais n’est-ce pas, depuis l’analyse d’Aristote, le propre même de l’action politique, dont le but et la vertu est de dégager non la solution vraie mais la solution la plus probable ?

Or quelle était la solution la plus probable,  face au dilemme intervention/non intervention en mars dernier ? La défaite d’une coalition puissante, appuyant une intense sinon efficace rébellion locale, ou bien la victoire finale du chef d’Etat, pardon, du « guide suprême de la révolution libyenne » ?

Le discours du chef

La deuxième hypothèse était évidemment celle du principal intéressé, qui avait promis le « désastre »  à ses ennemis, juré qu’il « ne quitterait jamais le sol libyen » et lutterait « jusqu’à la dernière goutte de son sang ». Mais qui, après avoir fait parler la poudre des armes contre son peuple chéri, semble aujourd’hui se rabattre sur la poudre …d’escampette. On ne s’en étonnera pas : Kadhafi est sans doute l’exemple le plus accompli de ces tyrans dont la forfanterie sans limite va de pair avec une lâcheté absolue, l’orgueil paranoïaque avec l’aveuglement politique et le discours révolutionnaire avec la cupidité la plus cynique. Personnage ubuesque, que les torrents de sang par lui versés empêche de tourner en dérision ; comme le déclarait l’un des combattants de la rébellion pour expliquer son engagement, ce dirigeant aura été au final une honte pour son peuple.

Et des autres…

Mais que dire des mises en garde de ces diplomates professionnels « qui-savent-de-quoi-il- retourne » ? De ces experts militaires, férus de « précédents » et, du coup, en retard d’une guerre ? De ces humanitaires reconvertis en « realpoliticiens » ? De ces belles âmes, pour qui on n’en fait jamais assez et de ces hommes du ressentiment, pour qui on en fait toujours trop ? Sans oublier ces antisarkozystes viscéraux qui, si le président vient à rejoindre leur position, préfèrent en changer plutôt que de lui donner raison ? Comme on l’aura entendu ce chœur si varié et si puissant, entonnant tout à tour l’air du « risque d’enlisement », de « l’engrenage », des « apprentis sorciers », de « l’alignement sur l’Amérique », du « bushisme à la française », du « danger islamiste » de « la violation du droit international » et, bien sûr, du bon vieux « néocolonialisme » !

L’action est un risque… calculé

Bref tous ceux qui, pour les pires et les meilleures raisons du monde, s’opposent toujours à l’action, c’est-à dire au risque, et qui, parés souvent des vertus du progressisme, sont de vrais conservateurs, confits dans l’horizon étroit de leurs certitudes vieillottes ; ou qui, derrière le paravent d’un culturalisme différentiel (« les Arabes sont-ils vraiment prêts pour la démocratie ? »), dissimulent l’égoïsme peureux des peuples satisfaits. Toujours les mêmes, de droite comme de gauche : ceux qui capitulèrent à Munich, à Vichy ou à Sarajevo. Sans parler des délires de la Toile (Ah ! quelle audace ne permet pas un « pseudo » protecteur?), où les plus modérés y sont allés d’un « Sarkozy, Kadhafi, même combat ! »

Eléments du calcul libyen

Mais voilà, sauf pour ceux qui s’accrochent aux dernières poches de résistance kadhafiste comme aux ultimes lambeaux de leur argumentation, les faits sont têtus. La fragilité caractérielle du leader libyen que le raid éclair américain de 1986 avait transformé en gamin terrorisé ; une armée handicapée par la gabegie et la négligence, reposant sur des mercenaires et donc sur une loyauté proportionnelle à l’argent disponible ; une population certes divisée, mais clairement lasse de la dictature (jamais, depuis le début des événements, l’a-t-on assez remarqué, le « guide suprême » n’a rassemblé les « millions » censés l’adorer);  une rébellion peu efficace militairement mais résolue et sollicitant l’appui extérieur ; un territoire « utile » réduits à quelques axes et villes clefs, propice à l’intervention aérienne ; un contexte régional favorable depuis les révolutions des voisins tunisien et égyptien ; enfin la montée depuis une quinzaine d’années dans le droit international, non d’un « droit d’ingérence » trop élastique, mais de l’exigence de « protection des populations civiles », désormais invoqué de résolution en résolution.

Pragmatisme principiel

Des faits qui n’ont pas échappé à ces grands pragmatiques que sont les dirigeants français et britanniques : ils ont pris le risque calculé de l’intervention. Un risque évalué par des diplomates et des experts militaires, mieux inspirés ceux-là, et qui, tel le chef d’état major de l’armée de l’air française, avaient estimé qu’il faudrait, pour l’emporter, « non des jours, des semaines sans doute, peut-être des mois, mais pas des années ». Bien vu ! Qu’un Alain Juppé, qui n’est pas spécialement un va-t-en guerre, ait été l’habile artisan de la résolution 1973, devrait faire réfléchir ; que son action ait été soutenue par un Hubert Védrine qui n’est pas vraiment un sarkozyste convaincu ni un idéaliste des relations internationales, également…

Le double impératif de la sécurité

Des faits qui devraient dès lors nous conduire à remettre en cause le pont-aux-ânes de l’opposition entre « realpolitik » et droits de l’homme, polarité séduisante qui anime manuels de relations internationales et commentaires de la Toile. Mais dualisme qui rebute d’emblée, sur le plan philosophique, tout libéral qui se respecte. Pour une raison simple ici : le premier objectif de la realpolitik comme des droits de l’homme est le même, à savoir la sécurité (des individus et des Etats); inversement, comme l’observait John Rawls[1], il y a concordance absolue dans l’histoire moderne entre grands violateurs des droits de l’homme à l’intérieur et grands agresseurs à l’extérieur : un panorama des menaces du monde actuel, de l’Iran à la Corée du Nord, le confirmera encore. Voilà qui devrait une fois pour toutes démonétiser l’opposition et accréditer la possibilité d’une realpolitik des droits de l’homme. Ce qui ne signifie donc pas l’invasion systématique : le contre-exemple irakien est là pour le montrer et l’on en a tiré justement les conséquences en Libye.  Calcul de probabilité des options en présence, à chaque fois différent, n’en déplaise aux critiques du « un poids, deux mesures ». Eh oui, la Syrie n’est pas la Libye ! Ce qui n’implique pas, bien au contraire, qu’il faille rester passif, mais que d’autres modalités d’intervention sont à trouver.

Le point d’équilibre de la diplomatie française

Pour ce qui concerne la France, on remarquera qu’après le succès en Côte d’ivoire, (que n’a-t-on pas entendu alors !) la crise libyenne semble consacrer le « format d’équilibre » de la diplomatie de Nicolas Sarkozy : initiative vigoureuse mais inscrite dès le départ dans un cadre multilatéral, dispositif préfiguré lors la crise géorgienne, évitant aussi bien les pièges de l’inaction (Tunisie) que de l’action trop unilatérale (« union méditerranéenne » première manière, mécomptes libyens et chinois de 2007-2008). Format qui est clairement, dans le domaine économique, la ligne d’action de Paris au sein des 27 et du G8/G20.

Et qui invite, en passant, à s’interroger sur l’étrange surdité de certain(e)s, qui, pourtant candidats à la fonction suprême, « n’entendent plus la voix de la France »…

Christophe de Voogd est responsable du blog « trop libre »

Crédit photo : Flickr, Magharebia


1) Voir l’article du 11 mars dernier: http://www.trop-libre.fr/la-tradition-revisitee/%C2%AB-rawls-en-egypte-%C2%BB-pour-une-reponse-liberale-aux-revolutions-arabes

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