Une analyse (pas si objective) du discours sarkoziste

Fondapol | 30 mai 2012

6888564604_2f8611425e_bDamon Mayaffre, Nicolas Sarkozy : mesure et démesure du discours, 2007-2012, Paris, Presses de Sciences-Po, 2012.

Dans son dernier livre, Nicolas Sarkozy. Mesure et démesure du discours, Damon Mayaffre étudie le corpus discursif (discours de campagne et discours du quinquennat) du sixième président de la République française. Une démarche intéressante que viennent malheureusement parasiter des a priori et des prises de position idéologique intempestives. L’ouvrage finit par ressembler à un réquisitoire dont le but principal serait d’utiliser la parole de l’accusé contre lui-même. Ce livre à charge offre une image exacte de ce qu’a pu être l’ « anti-sarkozysme  rabique » identifié et analysé par Marcel Gauchet[1].

 

Des chiffres et des mots

Damon Mayaffre fonde son propos sur les données issues du logiciel logométrique, Hyperbase (version 9.0 – 2011). A de nombreuses reprises, l’auteur rappelle le caractère scientifique d’une telle méthode, censée conférer un fondement tout scientifique[2] à sa démonstration. L’outil est mathématique, le raisonnement ne peut donc qu’être exact (CQFD). Une telle conclusion est pour le moins hâtive. L’utilisation de la logométrie informatisé semble ainsi  suffire à donner au propos un statut irréfragable. Nous sommes passés du scholastique Aristoteles dixit (Aristote a dit …) au logométrique Hyperbase dixit (Hyperbase a dit  …).

Pourtant, à y regarder de près, le logiciel utilisé se limite à la production de séries statistiques. L’interprétation, elle, est le fait de l’auteur. En elles-mêmes, les occurrences de mots ne sont que des données brutes, qui ne disent rien ou presque, même traités comparativement aux discours d’autres personnalités. Par un tour de passe-passe exécuté avec maestria, l’auteur parvient à mêler interprétation subjective et données objectives, en supposant une interconnexion entre elles.

 

Une grille de lecture toute personnelle

Or, l’interprétation de l’auteur obéit indiscutablement à un parti pris. Elle participe du phénomène classique d’asymétrie réthorique[3]. Que Nicolas Sarkozy parle de travail, de famille ou d’autorité, le voilà affublé de l’épithète de « pétainiste »[4]. Si l’auteur ne compare pas Sarkozy directement au maréchal Pétain comme un quotidien communiste l’a fait pendant la campagne, il l’associe au même courant de pensée réactionnaire. Le « pétainisme transcendantal » cher à Alain Badiou n’est pas loin[5].

D’autres références historiques existaient cependant auxquelles rattacher les vocables récurrents du discours sarkoziste.  L’autorité du « maître » (Jules Ferry, que le nouveau président vient de remettre au goût du jour)  la patrie (le général de Gaulle puis François Mitterand) ne sont pas la propriété exclusive du vieil homme de Vichy. L’auteur préfère écarter ces grandes figures : pour lui, cela ne fait guère de doute, Sarkozy tient un discours résolument réactionnaire[6].

Sarkozy, libéral et réactionnaire ?

Réactionnaire, pétainiste, mais encore ? Pour l’auteur, qui ne craint pas la contradiction, l’ancien président est aussi le parangon de la révolution néo-libérale – on ne prête qu’aux riches, soit à Sarkozy et ses amis. Le voilà « révolutionnaire conservateur » à tendance libérale individualiste[7].

Or, le libéralisme est une figure du mal – au même titre que le pétainisme, les deux faisant d’ailleurs la paire – que Nicolas Sarkozy, dans ses discours, aurait honteusement banalisé. En réalité, l’ancien président n’aura fait que promouvoir le « principe de responsabilité individuelle ». Mais c’en est trop pour l’auteur pour qui c’est remettre en cause le caractère supposé holiste de toute société. Débat tabou, débat interdit et débat condamné.

Sarkozy ou l’autre nom du Mal

Dans la forme du discours, l’auteur reproche à Sarkozy de manipuler les foules par le verbe.

Les questions rhétoriques, anaphores, gradations, amplifications, antanaclases, chiasmes, syllepses et autres joyeusetés relevées dans l’ouvrage, la mise en avant de la personnalité, le recours au registre compassionnel sont ainsi présentés comme des armes discursives déloyales. Elles sont pourtant constitutives du discours politique. Que l’on relise Démosthène, Xénophon, Cicéron, César ou même Colber, l’on verra que le discours politique fait toujours un usage excessif, intensif de la parole. Reprocherait-on à Nicolas Sarkozy de faire de la politique ?

En définitive, on ne serait trop attendre de ce livre sinon que l’auteur lui donne une suite, dans l’espoir qu’il témoigne du même esprit critique à l’égard du nouveau président.

Crédit photo: flickr, Grégory Garestier


[1] GAUCHET Marcel et IMBERT Claude, « Le brouillage des lignes Marcel Gauchet, Claude Imbert : un échange », dans Le Débat, n°166, t. 4, Paris, Gallimard, 2011, p. 32-41.

[2] MAYAFFRE Damon, Nicolas Sarkozy. Mesure et démesure du discours (2007-2012), Paris, Science-Po Les Presse, 2012, p. 26-29 ; p. 35-36 ; p. 55 ; p. 81 ; p. 153 ; etc.

[3] http://www.trop-libre.fr/paradoxa/petit-manuel-d%E2%80%99asymetrie-rhetorique-a-l%E2%80%99usage-du-debat-gauchedroite

[4] MAYAFFRE Damon, Nicolas Sarkozy. Mesure et démesure du discours (2007-2012), Paris, Science-Po Les Presse, 2012, p. 115-116.

[5] BADIOU Alain, Circonstances, 4. De quoi Sarkozy est-il le nom ?, Paris, Éditions Lignes, 2007.

[6] MAYAFFRE Damon, Nicolas Sarkozy. Mesure et démesure du discours (2007-2012), Paris, Science-Po Les Presse, 2012, p. 274.

[7] Ibid., p. 40.

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